Chapitre 2.1
Ganglati se précipita vers la grande halle. Le bruits de ses pas résonnait à travers les sombres couloirs d'Eliudnir¹⁶. L'oreille tendue, il percevait les murmures incertains des autres serviteurs qui, cachés derrière des portes entrouvertes, cherchaient à connaître l'origine d'une telle agitation – du remue-ménage à Helheim, cela ne présageait rien de bon ! Lorsque ses yeux se posèrent sur la mine ravie de sa maîtresse, il comprit que ses craintes étaient fondées.
Hel allait et venait sur le tapis étalé devant son trône. Le visage radieux malgré son masque austère, elle trépignait. Il y avait de la joie chez cette souveraine-là, et la pauvre Ganglot, dépassée, ne parvenait pas à en tempérer l'ardeur soudaine.
« C'est insensé, Votre Altesse ! s'exclamait la servante. Même si vous ne pouvez vous rappeler des paroles d'Odin, vous n'ignorez pas qu'il vous a interdit de vous aventurer en dehors de Helheim ! »
Ganglot savait qu'elle n'aurait jamais dû raconter toutes ces choses à propos de Midgard. Le mal était fait, à présent. Et Hel, gardienne des âmes damnées, avait décidé d'explorer la surface. Odin n'allait pas le tolérer. Pour sûr, il n'allait pas laisser impunie pareille désobéissance.
Si Ganglati s'approcha à son tour et tenta de convaincre Hel, il dut vite se rendre à l'évidence : qui était-il pour donner des ordres à celle qui l'avait sauvé d'un sort terrible et qui avait tout pouvoir sur lui ? D'un regard, il fit comprendre à sa compagne qu'il ne servait à rien d'insister.
« Je partirai sans aucun bagage, fit Hel. Il est inutile de se charger pour rien. Pour me mêler aux humains, je prendrai l'apparence d'une simple femme. Ainsi, personne ne me reconnaîtra ni ne sera obligé de se couvrir les yeux en me voyant. Je me ferai aussi discrète qu'une pensée, aussi insaisissable que le vent, si bien que partout où je passerai les gens n'auront pas le temps de se souvenir de moi. »
Aussitôt ces paroles prononcées, son armure se désolidarisa de son corps monstrueux avant de tomber par morceaux sur le sol dallé de marbre noir. En un instant, sa chevelure blanche prit une chaleureuse teinte châtain ; sa peau bleuie par le froid devint douce et rose ; son bras guérit et sa jambe retrouva son galbe. Une robe vint la recouvrir, lui donnant l'aspect d'une simple paysanne. Enfin, un manteau gris lui ceignit les épaules. Ses pouvoirs avaient fait d'elle une humaine, comme on pouvait en croiser des centaines de milliers parmi les vastes terres du dessus. Personne ne pourrait déceler la supercherie – condamnée toutefois à ne pas durer éternellement – tant le déguisement était parfait.
Si elle ne savait combien de temps durerait son voyage, elle avait dans l'idée que son retour ne se ferait que lorsque ses jambes auraient cessé de la soutenir, trop fatiguées pour continuer davantage. Son cœur glacé battait la chamade. Pour la première fois de sa vie, ses yeux allaient contempler autre chose que ces immensités de cadavres ambulants. L'expérience s'annonçait palpitante.
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Lexique :
16 - Eliudnir : forme simplifiée du nom Eljúðnir, signifiant Celle qui est mouillée par la pluie. Palais de Hel.
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