Chapitre 6.1
Valgard était résolu à gagner le repaire des serpents, où l'âme de son père attendait peut-être d'être sauvée. En dépit de l'heure tardive, des défunts arpentaient les mornes couloirs d'Eliudnir. Comme dans le domaine des hommes, il régnait toujours une certaine activité entre ces murs noirs et sévères. La prudence était de mise : gagner les hauteurs de Gnipahellir pour rejoindre Garm était une chose aisée, mais traverser les plaines désertes du Niflhel pour débusquer Nidhogg s'avèrerait autrement plus difficile.
Afin de ne pas rester sans défense, l'enfant s'était mis en tête de subtiliser une petite lance ou une hache de poing dans la vieille armurerie du château. Helheim n'était pas habité par des guerriers et n'offrait qu'un choix très restreint de bonnes armes et de boucliers. Toutefois, en sachant où chercher, il était possible de trouver de quoi s'équiper pour le cas improbable où une bataille éclaterait non loin.
Au détour d'un couloir, il se plaqua contre une cloison et attendit un moment en retenant sa respiration. Il se risqua à pencher légèrement la tête sur le côté, puis constata avec soulagement que personne ne gardait l'entrée de la petite pièce qu'il désirait visiter. À pas de loup, il avança jusqu'à la porte et se saisit de la poignée. Un demi-tour vers la droite suffit à ouvrir la maigre plaque de bois sur laquelle avait été apposé un blason compliqué.
L'intérieur baignait dans l'obscurité. De temps à autre, de petites lueurs smaragdines traversaient les lamelles des persiennes et dispensaient un semblant de clarté. Une odeur de métal rouillé flottait dans l'air, qui attaquait la gorge et les poumons.
Valgard connaissait ce déplorable dépôt où l'attendaient les poignards qu'il utilisait dans ses simulacres de combat contre Garm. Cette fois, il lui fallait y dénicher quelque chose d'imposant, de dangereux.
Au cours de sa recherche, il buta sur un râtelier de fer forgé et plein de rouille. Il y trouva une vieille épée dont l'un des bords, vaguement tranchant, le blessa à une phalange. Elle semblait moins piteuse que les inoffensives haches et fléaux d'armes qui l'entouraient, entassés en vrac. Valgard marqua un temps d'arrêt avant de s'emparer de l'objet. Une impression de danger le saisissait à la gorge. Ce morceau d'acier recouvert de taches tenait à la fois du pitoyable et de l'effrayant. Sans compter qu'il s'en échappait un murmure à peine audible, que l'on pouvait saisir par bribes :
Pr... moi, choi... ai besoin... frais... besoin... forces nouv...
Inquiet, l'enfant chassa d'une pensée son malaise : ce fer, compagnon idéal d'un héros, serait sans doute suffisamment impressionnant pour faire reculer le plus hardi des monstres qui peuplaient le royaume de glaces. Il semblait même assez démoniaque pour faire fuir Nidhogg lui-même. En un sens, tout cela était plutôt rassurant.
Pour une meilleure protection, il s'habilla d'une épaisse cotte de mailles – trop grande pour lui – qu'il cacha sous son gilet et sa pèlerine de fourrure. Enfin, pour parfaire la ressemblance avec les célèbres guerriers dont il avait lu les exploits, il se saisit d'un embarrassant casque de bronze qu'il posa sur sa petite tête ronde. Ce fut ainsi qu'il quitta la pièce et se dirigea discrètement hors d'Eliudnir.
Du haut de ses six ans, le petit Valgard était rusé et agile, capable de se faire aussi silencieux qu'une ombre et aussi invisible qu'un courant d'air. Après avoir passé la porte principale du château, il se fraya un chemin à travers les multiples ponts de pierre qui surplombaient Hvergelmir et qui reliaient, telle une gigantesque toile d'araignée, la demeure de Hel au Niflhel, royaume voisin. Se glissant à travers les interminables grilles, il posa le pied sur le territoire maudit dont sa mère lui avait toujours interdit l'accès.
Il y mourrait.
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