Le chef d'une petite entreprise

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— Ce que je pense des 900 a en fait pas mal évolué et je dirais que peut-être cela pourra encore changer. Pour les petites entreprises, affronter une telle évolution, ou même révolution du marché du travail a été un véritable défi. Au début des 900, je n’aurais pas employé le terme de défi, mais carrément de catastrophe. J’étais au départ très opposé. Pratiquement du jour au lendemain nous avons dû subir une transformation totale des mentalités de nos employés et il fut très difficile de redéfinir tout le fonctionnement de nos façons de gérer nos employés. D’autre part, en analysant les choses a posteriori, le fait de l’ambiance ultra-négative de contestation qui régnait parmi nous n’aider pas à chercher les vraies solutions. On préférait essayer de faire revenir en arrière le gouvernement par des actions répétées et même quelque part laisser pourrir la situation au sein des entreprises pour bien montrer que nous avions raison parce que les 900 ne marchaient pas.

— –Qu’est-ce qui a fait que la situation s’est améliorée ?

— Il y a eu deux principales raisons. La première c’est que les lois du marché nous ont vite rappelées à l’ordre. On a beau être motivé idéologiquement, il y a peu de dirigeants de petites entreprises prêtes à les sacrifier sur l’autel de la raison politique. Pour nous, nos entreprises sont nos enfants, on les aime et on y tient, sachant qu’en plus elles nous font vivre. L’instinct d’entrepreneur nous a poussé à trouver des solutions et à nous battre. La deuxième, c’est qu’il y avait deux espoirs auxquels on pouvait se raccrocher et qui affaiblissaient les arguments de notre lutte. Nous avions d’abord l’espoir d’une grosse baisse des charges et des couts qui allaient fortement augmenter notre compétitivité. Pour les entreprises qui avaient une partie de leur marché à l’international, c’était très important. Et puis, nous avions l’espoir de trouver une flexibilité au niveau de nos employés que, même pas en rêve, nous imaginions jusque là. Finalement, ces deux espoirs se sont réalisés au centuple pour le grand bien de notre pays.

— Qu’est-ce qui vous posait ou vous pose encore problème au niveau de vos employés ?

— Principalement, c’est leur mentalité qui a complètement changé. En particulier pour les bas salaires. En gros, nous perdions d’un coup le bâton de la peur de perdre son emploi qui avant les inciter à travailler. Beaucoup finalement, dans ces emplois ingrats et peu payés, travaillaient par la peur ancestrale, transmise de génération en génération, de perdre son emploi. Les conditions de travail que nous proposions étaient parfaitement bornées par cette peur. Il fallait leur mettre la pression maximale pour augmenter les rendements sans aller jusqu’à ce qu’ils se disent qu’ils préféraient perdre leur boulot que continuer ainsi. Rapidement, les 900 ont fait qu’ils ne venaient plus travailler par peur du lendemain. Et la diminution drastique du chômage a encore amplifié ce phénomène. Maintenant, on doit gérer des employés qui viennent travailler en se disant que si cela ne leur plait pas ils démissionnent et iront chercher ailleurs. Un autre problème c’était le projet qu’avait le salarié qui venait travailler. Beaucoup ne venaient plus dans l’idée de faire carrière, de développer de l’ancienneté. Bien au contraire, nombreux étaient ceux qui venaient avec l’idée d’un CDD dans la tête. Se faire un salaire pendant quelques mois histoire d’en avoir assez pour leurs projets personnels qu’ils développeraient ensuite en revenant au 900. Style : « je bosse six mois et je pars en vacances avec mes économies et les 900 qui tombent chaque mois. » En gros, on avait perdu notre principal outil de pression pour augmenter le rendement. Nous avions rapidement une majorité d’entre eux qui n’acceptait plus l’autorité de la hiérarchie.

— Alors qu’avez-vous fait pour vous en sortir ?

— Et bien le contexte ayant changé nous avons agi rapidement pour réduire les couts. Des employés qui se foutent d’être virés, pour nous, c’était très pratique du point de vue de la flexibilité. Nous pouvions entrer dans l’air de l’emploi à la demande. On pouvait recruter sans crainte du lendemain, à la moindre baisse de charge on pouvait licencier. Le premier qui a fait faillite c’est finalement le système de prud’homme. Nous avons eu une période de dérégulation totale du marché de l’emploi. L’emploi à temps partiel s’est fortement développé. En effet, d’autres préféraient travailler à temps partiel pour développer leurs projets personnels. Certains, juste pour travailler moins, tout simplement. Dans de nombreuses entreprises, on a aussi économisé sur les cadres. La notion de contremaitre n’avait plus de sens dans ces nouvelles conditions. Nos armes de motivation principale pour le bon déroulement du travail ont été l’intéressement et l’auto-organisation. Je fais partie des premiers chefs d’entreprise de mon secteur à avoir misé sur cela et cela s’est révélé gagnant. On a commencé à payer nos employés avec une partie en prime d’intéressement et en action ou part de l’entreprise. Ça, c’est pour le côté motivation financière. Ensuite, on a créé un système d’organisation ou l’employé était au centre des décisions. C’est entre lui et ses pairs que se décidaient des horaires et des taches. Certaines entreprises ont ainsi développé des conseils d’autogestion, on se prenait les décisions dans le consensus ou dans des systèmes de votes. D’autre ont opté pour la mise en place d’une hiérarchie qui pouvait être tournante, d’autre ont transformé les cadres en personnes conseils ou ressource qui permettait aux employés de s’organiser. Une sacrée révolution ! Une autre innovation plus récente a été celle de la mise en place des forfaitaires, qui est actuellement très importante.

— Comment expliquez-vous que les forfaitaires prennent peu à peu la place des employés qui avaient plus d’intéressement aux bénéfices et pratiquement plus de poids hiérarchique ?

— Ce fut pour nous une surprise, c’est difficile à expliquer. En gros, pour caricaturer, je dirais qu’avant les employés étaient les esclaves des patrons, ensuite se furent les esclaves du groupe des employés ou de la démocratie d’entreprise, maintenant les forfaitaires choisissent d’être les esclaves d’eux-mêmes.

— Finalement au niveau des travailleurs les 900 sont-elles positives ?

— Il y a des points positifs, d’autres moins. Mais je trouve que, quel que soit la forme des choix faits par les salariés, le résultat est que la grande majorité d’entre eux a retrouvé le gout du travail, du travail bien fait ou du plaisir de travailler, je veux dire, tant pour la façon de faire que pour le résultat. Ils avaient perdu cela auparavant, à la fin du vingtième et début vingt et unième nous avions trop de gens malheureux d’aller travailler, qui travaillaient dans une pression permanente nuisible. Et finalement, nous avons actuellement la même productivité avec le stress en moins à gérer.

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