49. Warriorévolution

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"Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi."

Dune, Franck Herbert

Je suis tombée sur un article il y a deux ans, en surfant sur la vague aspirante du Grand Net. Depuis, ça me travaille, j'y repense. Des camarades cancéreux apportaient leur témoignage sur les appellations "guerrier", "warrior", "combattant"... Ce que ces mots engendraient chez eux. Pour certains, un coup de boost, un encouragement. La reconnaissance du combat mené, de sa difficulté. Pour d'autres, un peu de gêne, d'incompréhension, voire un rejet total.

Ceux-là ne se revendiquaient pas "warrior", pas du tout. Ils estimaient qu'ils n'avaient pas déclaré une guerre mais que la maladie leur était tombée dessus. Que si leur corps était bien un champ de bataille, c’étaient les médecins et les médicaments qui combattaient le cancer, pas eux. J'entends la logique de ces arguments et je comprends ce point de vue. Aussi, ils expliquaient la pression que pouvait induire ces expressions : la notion de combat voudrait-elle dire qu'un patient dont la maladie s'aggrave n'est pas assez vaillant ? Celui qui décède est-il un loser ? A-t-il perdu car il n'était pas un bon guerrier ?

On a tous envie de dire non, bien sûr. Si le cancer l'emporte, on ne va pas blamer le malade. Surtout qu'il est déjà mort, cela ne se fait pas. On en arrive donc à cette situation très paradoxale où, au décès du patient, les compliments sur ses capacités belliqueuses fusent, notamment le classique : il/elle s'est bien battu. Ouais, mais il est un peu mort quand même. Tout ça m'a pas mal posé question hein.

Quel est mon camp ? Comment je me retrouve dans ce gros merdier ? Si je refuse que la maladie me définisse, est-ce que je réfute le label "Xéna carcinomator" aussi ?

Pffff. En quête de bien-être, de croyance et de confiance, j'ai laissé murir cette délibération interne pendant de longs mois. J'aurais pu m'y attarder un peu plus, mais il y avait la Casa de Papel et The last Kingdom à avaler. Tout cela a donc orbité comme un satellite russe avarié en filigrane de mes pensées, jusqu'au crash. Et vlan, j'ai trouvé ma réponse.

Il existe plusieurs types de révolutions. Certaines sont sanguinaires, elles naissent de profondes injustices et souffrances et éclatent dans la violence. D'autres sont silencieuses et pacifiques, mais néanmoins efficaces. Elles donnent vie à de nouveaux systèmes, mieux ou pire qu'avant, parfois pour le bien du plus grand nombre, d'autres fois au bénéfice de quelques opportunistes. Dans tous les cas, il y a du changement.

Moi, j'ai vécu une autre catégorie de révolution. Du genre déplacement astronomique. J'ai mis un peu moins de quarante ans pour faire la rotation pépère de mon univers jusqu'à être détournée de mon orbite. Aspirée par un putain de trou noir. J'arrive en fin de course, bientôt je bouclerai ce cycle pour en commencer un autre. Je ne sais pas quelle en sera la durée, mais il sera différent. Certains pourraient qualifier cet évènement d'altération, ou de bouleversement. Je l'envisage comme une révolution car ma vie est passée du joli caroussel au grand huit qui fait gerber, dans la douleur et sans mon consentement. J'ai littéralement été prise d'assaut de l'intérieur.

Depuis, je mène une guerre.

J'ai toute une équipe avec moi, une garde rapprochée qui me soutient, me coache, me remonte quand je tombe, m'ancre dans les moments présents, mon cercle des très très proches. J'ai aussi des appuis, des alliés, des aires de repos, un bataillon de médecins et de spécialistes et c'est ainsi que je mène ce combat, entourée de cet escadron de conseillers avec qui j'élabore mes stratégies. Gagner la bataille n'est pas le but ultime, mais c'est une petite possibilité que je garde en tête au vu des avancées médicales actuelles. L'objectif est que cette bataille ne se finisse pas, en tout cas pas trop tôt, que je tienne le plus longtemps possible mon dernier bastion. Celui que je ne lâcherai pas. À l'intérieur, il y a les civils les plus précieux à protéger, mes enfants.

Je réalise que je ne suis plus la même, cette fille qui se laissait un peu porter par le destin, les événements et les opportunités, par les autres, qui faisait pas mal de compromis et détestait la compétition. Je ne suis plus cette personne.

Alors peut-être que je ne suis pas une warrior comme Rambo ou Xéna la guerrière. Certainement que je suis nulle avec un sabre ou un fusil, que je n'arrive toujours pas à aligner dix pompes. Je trébuche, je tombe. Je ne maîtrise pas l'avancée de la maladie. Je ne contiens pas par la seule force de ma volonté. Je ne suis pas une super héroïne Marvel. Je pleure. J'ai peur.

Mais en tout cas, je ne suis ni un paillasson ni un punching-ball, je ne suis pas une malade subordonnée et obéissante, je ne suis pas une suiveuse ou un mouton, je ne suis pas une balle anti-stress, je ne suis pas une patiente soumise, je ne suis pas un champ de bataille, je ne suis pas un dommage collatéral et je ne suis pas une putain de victime.

Qu'est ce qui fait, si ce n'est un bon, mais un au moins un acceptable combattant ? Pas seulement sa capacité à étaler son opposant, à gagner. Il y aura toujours des adversaires plus forts, plus malins, plus nombreux. Non, ce qui définit un combattant, c'est sa capacité à encaisser. À se relever et à poursuivre l'affrontement. Alors, après plus de deux ans de réflexion, j'ai trouvé ma réponse.

Car quand j'apprends que mon cancer repousse, je ne m'effondre pas. Mes priorités ont changé, mes efforts sont concentrés dans une direction précise à présent et il n'y a qu'un seul objectif dans mon viseur. Avec de la volonté, les bons médocs et un peu de bol, ça peut le faire. J'ai plus de huit ans à tenir et c'est tout ce qui compte. J'ai choisi mon camp, au-delà de la logique et du rationnel, de la réalité médicale et des statistiques.

Je suis en guerre et je suis une punaise de warrior.

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