Chapitre 2
La lumière du jour baissait quand des gardiens entrèrent avec les clefs. Ils commencèrent à détacher les prisonniers. Ils les faisaient sortir au fur et à mesure pour les confier à la surveillance de leurs collègues à l’extérieur. Les esclaves se disposèrent en deux colonnes. Au signal du sergent, ils se mirent en route en direction de leur campement. Il n’y avait qu’un seul dortoir dans lequel toutes les équipes de la mine se retrouvaient ; une soixantaine de personnes en comptant ceux du fond et ceux de la surface. La mine avait été percée sur une large corniche à mi-hauteur de la falaise. Le baraquement avait été édifié à son extrémité. Avec sa fenêtre grillagée, il était impossible d’en sortir autrement que par la porte.
L’opération de transfert des prisonniers se fit sans qu’un seul mot soit prononcé. Mais dès que la porte se referma sur eux, les langues se délièrent. Zimoa fut aussitôt entouré par une dizaine de personnes. Celui qui semblait être le chef, un gars dont les muscles noueux compensaient largement la petite taille se fraya un passage jusqu’à lui. Les jours précédents, Meton l’avait évalué : dans une bataille, il devait certainement être très dangereux. « C’est toi qui t’veux t’barrer ? demanda-t-il.
— Pas moi. Lui, dit Zimoa en désignant Meton. » Le chef le dévisagea. « Ton nom ?
— Je suis Meton, et Zimoa a raison, je ne vais pas rester ici longtemps.
— Si tu t’barres, s’vengeront sur les autres. » Meton jeta un coup d’œil appuyé aux personnes qui accompagnaient le chef. Celui-ci comprit le message. Il l’entraîna dans un coin pendant que ses hommes faisaient le vide autour d’eux en écartant les curieux. « Alors, d’quoi qu’tu veux causer ?
— J’ai un plan pour m’évader, mais il ne marchera que si nous partons tous.
— D’ac, on s’barre tous. Et après. T’iras où ?
— Dans le sud, un royaume. Un royaume offre un refuge à tous les esclaves en fuite. Il a beaucoup de terre à coloniser, il a besoin d’hommes libres.
— Tu veux qu’on trime encore comme un pourceau. T’as rien de mieux ?
— Ce ne sera plus une vie d’esclave mais d’homme libre. Paysan, soldat, forgeron, ce sera toi qui choisiras.
— Où c’est qu’ça coince ?
— Il n’y a aucun piège. Ce royaume manque de bras, il ne veut pas utiliser d’esclaves, alors il fait appel à tous les réfugiés du continent.
— D’accord, ça me va. Mais si tu m’entubes, je te bute. » Meton rigola. « Je doute que tu y arrives. » Le chef rejoignit Meton dans son rire. « Moi c’est Ancaf, dit-il enfin, et toi.
— Meton, fils de Veton.
— Meton, fils de Veton, dit-il en singeant le ton de l’Helariasen, t’accouches ton plan maintenant ?
— Pas tant que tout ne sera pas prêt.
— Tu s’ras prêt quand ?
— Demain, si tout va bien.
— OK. Mais tu balanceras tout. Et t’as pas intérêt à oublier quoi que ce soit sinon… » Ancaf laissa sa phrase en suspend, laissant l’Helariasen imaginer ce qui l’attendait en cas de trahison. Il quitta le prisonnier pour rejoindre sa bande. Avant de se fondre dans la foule, il lança un dernier regard, plein d’avertissements aux deux hommes..
Zimoa vint aux nouvelles, mais il n’avait pas ouvert la bouche que la porte s’ouvrit. Une jeune stoltzin entra. Elle aurait pu être jolie avec son visage agréable et sa chevelure dorée, si elle n’avait pas été si sale et dépenaillée. Ses bras et ses jambes portaient les marques des mauvais traitements que lui infligeaient son maître. C’était certainement son aspect répugnant qui lui valait une certaine tranquillité au milieu de tous ces hommes. Elle amenait avec elle une lourde marmite qu’elle déposa au centre de la pièce. Ancaf souleva le couvercle et huma le fumet qui s’en échappait. Dire que c’était appétissant était un peu exagéré, mais la nourriture était copieuse. Ça coûtait moins cher de bien nourrir les esclaves que d’en racheter d’autres. Un garde s’encadra dans l’embrasure de la porte. Il observa un instant la jeune fille. Comme elle s’attardait, il la rappela. Docilement, elle fit demi-tour.
Dans le dortoir, la distribution de nourriture avait commencé. Elle était sous le contrôle d’Ancaf, un de ses hommes remplissait les gamelles qu’on lui présentait. Il fut le premier servi, puis ceux de sa bande et enfin tous les autres. Quand ce fut le tour de Meton, il ne tendit pas son écuelle mais plongea la main dans le brouet fumant. « Mais tu fais quoi ? s’écria Ancaf.
— Il y a quelque chose pour moi au fond. » Effectivement, il ressortit un objet volumineux enveloppé dans une peau de cuir soigneusement fermée par une cordelette. « Planque ça, dit Meton en le tendant à Zimoa.
— C’est quoi ?
— Le moyen de nous évader. » Le chef des esclaves s’empara du paquet et l’ouvrit. Dedans il y avait des armes. Une trentaine de couteaux en silex taillé. Pas aussi solide que du métal mais tout aussi mortel. « Tu tires ça d’où ? demanda Ancaf.
— De dehors.
— Et qui les a mis là ? » Devant le mutisme de Meton, il ajouta : « Mais ici, c’est moi qui commande. Rien se fait sans qu’ je donne mon accord.
— Je ne conteste pas ton autorité. Je prépare juste notre évasion.
— Tu veux pas le dénoncer ? s’écria Ancaf. T’as pas confiance en nous ?
— Je vous connais que depuis quelques jours. Comment pourrais-je avoir confiance en vous ? » La mâchoire du chef se crispa. Il rendit le paquet à Zimoa qui alla le cacher sous sa litière. Puis il serra les poings. Meton se prépara à se défendre. Les deux adversaires se défiaient du regard. La tension était si intense que les autres prisonniers s’écartèrent.
Puis Ancaf sembla se reprendre. « Personne n’a jamais pu m’insulter sans l’ regretter, lâcha-t-il. Si t’es toujours vivant, c’est parce que j’ai besoin de toi pour sortir d’ici. » Meton respira de soulagement. Malgré les apparences, s’ils avaient dû en venir aux mains, il aurait facilement vaincu son adversaire. Mais un conflit aurait attiré l’attention des garde-chiourme, ce qui aurait fait capoter toute l’opération.
Il allait falloir faire attention cependant. Ancaf n’allait pas facilement renoncer à son autorité une fois hors d’ici. Il se demandait même s’il n’allait pas être nécessaire de se débarrasser de lui. Définitivement. « Je suppose que t’as des complices à l’extérieur, dont un qui travaille à l’auberge ? reprit Ancaf.
— Tu connaîtras mes complices quand nous serons loin d’ici. » Ancaf réfléchit un long moment avant de répondre. « Très bien, on s’évadera comme tu as prévu. Mais une fois dehors, on fera comme je déciderai. » La discussion était close,. Meton jeta un coup d’œil circulaire. Tous les regards étaient tournés vers lui. Des regards d’espoir et de méfiance.
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