Un hurlement

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Symphonie ne voit rien. Elle ne comprendrait pas de toute manière.

L'un des deux types flippant nous indique le chemin, l'autre ferme la marche. Je dois me forcer pour avancer aux côtés de mon amie et non derrière elle. Sa tête est fièrement dressée, elle joue sur l'intimidation. Moi... J'essaye juste de ne pas trembler des jambes.

A l'aide... A l'aide.... A l'aide !

Ces deux petits mots tournoient furieusement dans mon esprit, cherchant désespérément un moyen de s'échapper. Ma main s'enfonce dans la poche du manteau. Mes doigts agrippent le manche du couteau qui ne m'a pas quitté depuis le restaurant. Ce froid contact me rassure d'une certaine manière. Il apaise la tempête qui hurle en moi... Il me rend si calme que j'expire lentement. Symphonie me caresse les cheveux, semble croire que je vais mieux.

Nous atteignons la pièce principale. A l'origine, ce bâtiment était un entrepôt qui fut revendu à la mairie il y a une petite décennie. En somme, les murs extérieurs sont si épais qu'il est quasiment impossible de convenablement chauffer les locaux. Il fait toujours froid ici. Symphonie est persuadée que c'est volontaire. "Une tactique pour te faire craquer''. L'immense zone de stockage a été divisée en plusieurs secteurs par des murs plus légers, sans créer un réel plafond. Je ne vous parle pas des courants d'air que cela engendre et des feuilles qui volent. Personnellement, je penche plutôt pour un architecte ayant une dent contre les agents de l'ordre. L'endroit où nous nous trouvons prend facilement la moitié de la surface totale. Là sont centralisées toutes les affaires. Le gentil Marcel à l'accueil se contente de vous donner un petit papier sur lequel est écrit le numéro du secteur qui concerne votre problème.

J'aime bien Marcel, j'espère qu'il sera là...

Ma main se relève à demi devant mes yeux. Je peux presque voir le chiffre 4 dessiné au dos par le vieux gendarme à notre dernière entrevue.

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Un souvenir du passé.

C'était il y a environ deux mois. L'ambiance était alors très agitée du fait d'un groupe de débilux attrapés bourrés à 15h de l'après-midi dans l'un des parcs de la ville. Symphonie m'attendait pour sa part au bureau n°4, assise sur une chaise et maintenue au pupitre par une paire de menottes. Elle avait poussé un cri de joie en me voyant arriver. Je me rappelle de ses cheveux en bataille, de ses cernes de deux kilomètres de long et de sa tunique déchirée. Elle était dans un tel état qu'on avait dû lui prêter un uniforme (qu'elle n'a jamais rendu).

[Merci d'être venue !]

Sans même accomplir les gestes appropriés, elle avait formé un cœur de ses mains, tirant dans le même mouvement sur sa laisse de fer. Le bruit avait fait relever un visage jusque là effondré contre le bureau. Lui aussi n'avait pas dû passer une bonne nuit.

  • Vous êtes bien Claire Collomp ?
  • Euh...

Sur le moment, j'étais paralysée. C'est toujours impressionnant d'être abordée par un type en uniforme. Symphonie tapotait sur sa carte d'identité posée sur le bureau, puis vers moi. Oh ! Comprenant le sujet, j'avais maladroitement sorti ma propre carte d'identité pour certifier que j'étais bien moi. Sans mot dire, il avait alors détaché sa prisonnière et était parti vers la salle de repos, sûrement en quête d'un café. Un café extra-noir, sans sucre. Dès qu'elle fut libre, Symphonie se jeta dans mes bras, rieuse. Etant intimidée par les lieux, nous nous étions rapidement enfuies alors qu'elle me racontait la nuit de folie qu'elle venait de vivre. Des histoires de filles à défendre et de lourdauds à tabasser... comme toujours.

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Retour au présent.

Ce même bureau a été repoussé contre le mur. L'organisation actuelle laisse beaucoup plus de place en son centre. Symphonie tique de la langue. Je remarque même quelques gros bras à la machine à café. On dirait presque qu'ils nous observent à la dérobée... Notre guide nous dirige vers le cœur du bâtiment, nous faisant s'enfoncer dans la masse bleue. Ils s'éloignent alors, nous laissant sans autre indication que d'attendre.

Dans ce genre de situation, notre regard s'attarde sur tout. Le moindre détail nous semble crucial. Légèrement en retrait, je remarque une jeune fille rousse, à peu près mon âge. Elle serre fort son sac usé et est assise sur un banc à côté de... Marcel ! Ce dernier nous fait un clin d'œil discret, alors que sa voisine baisse les yeux en me voyant la dévisager. Pourquoi réagit-elle comme ça ?

Je n'ai pas le temps de plus m'interroger, Symphonie me tire sur le bras pour me montrer un gendarme s'approcher de nous. Sur notre droite, il y a deux autres personnes habillées en civils. Elles tiennent des calepins et écrivent déjà dessus. Il y a assis devant eux un homme dont je ne vois que le dos. Son corps massif me rappelle quelqu'un, je ne sais plus qui.

Je sens la panique monter en moi. Qui sont tous ces types ?!

Un léger cri de surprise me fait tourner le regard. Symphonie me fixe avec incompréhension, voir colère et peur. Ses yeux se baissent vivement alors qu'elle resserre sa prise sur mon bras à m'en faire mal. Je suis son mouvement, voyant le couteau que je tenais toujours dépasser légèrement de ma poche. Je n'avais pas pensé à le lâcher.

  • Mesdemoiselles...

Pas le temps de comprendre, elle me refourgue la main dans le repli du manteau, si fort que la pointe de la lame perce le tissu. Elle fait un grand sourire forcé pour détourner l'attention. Il fronce des sourcils, n'appréciant pas sa réaction.

  • Symphonie, arrête tes pitreries, c'est sérieux et tu le sais.

Elle s'assagit bien vite sans rater une discrète pique de deux doigts.

[Trou du cul.]

Il grimace, sachant décrypter sans mal ce signe. Ils ont été ensemble quelques mois après tout, on apprend quelques trucs à force.

  • Mademoiselle Collomp. Au nom de l'ensemble de la gendarmerie lyonnaise, je vous adresse nos plus sincères condoléances pour la perte de votre père. Nous l'avons retrouvé décédé ce matin, sur votre domaine familial. En ne vous y trouvant pas, nous avons craint le pire.

Sa voix est grave et triste. Les larmes me montent à nouveau aux yeux, j'arrive à me contrôler.

Pourquoi tout le monde me le rappelle sans cesse ?!

Parce que... parce que c'était ce matin, Claire. Ce matin... Ce matin.

Je recommence à trembler des jambes. J'ouvre grand la bouche à la recherche d'air en m'accrochant fébrilement à Symphonie. Cette dernière m'enserre d'un bras en jetant un long regard au policier. Elle hoche lentement de la tête. Je la sens reconnaissante pour le tact dont il fait preuve. Le feu qui l'anime s'apaise quelque peu.

Je m'attends à ce qu'il m'oriente vers un bureau, prendre ma déposition, enfin... comme dans les films.

Il semble vouloir ajouter quelque chose.

Symphonie lui supplie silencieusement de ne pas poursuivre. Les deux s'observent un long moment. Son regard se tourne lentement vers moi.

  • Nous sommes heureux de vous savoir en bonne santé. Néanmoins, une...

Il soupire, semble chercher ses mots. Je peux presque voir son combat intérieur. Ils remuent dans sa bouche, changent de forme, de sens, jusqu'à être expulsés, probablement sous leur aspect le plus brut.

  • Une plainte a été déposée contre vous.
  • QUOI ?!

Je crie d'une voix perçante, les yeux exorbités ! Symphonie resserre sa prise sur moi, m'empêche de bouger. Je cherche à attraper son regard, elle me fuit. Elle savait ! Des larmes coulent de mes yeux sans retenue. Je me sens trahie. La situation est hallucinante. J'ai été conviée pour répondre d'une accusation !

  • Je... je ne comprends pas.

Il ignore ma réaction et continue comme un bourreau tourne lentement la roue de son instrument de torture.

  • Une plainte déposée par les membres de l'association L214, pour coups et blessures de la part de la famille Collomp contre leur personne lors d'une action en faveur du droit animalier.

Je... Je n'arrive plus à respirer.

Mon corps tout entier tremble. Moi, qui m'agrippais désespérément au bord de mon gouffre intérieur... Je lâche prise. L'homme... L'homme qui était de dos... se lève lentement, se tournant vers nous.

Un gémissement plaintif sort de ma gorge meurtrie.

LUI !

Je reconnais l'homme de ce soir-là... Hier soir. L'homme qui a brisé ma vie. L'homme qui a débarqué chez nous en hurlant... L'homme qui m'a frappé à m'en faire perdre connaissance.

Une pulsion meurtrière s'empare de mon être, enflamme mon âme. Je fais un pas, déchirant un peu plus l'intérieur de mon manteau avec le couteau que je tiens. Encore deux mètres et il paiera !

IL VA PAYER !

Je ne vois plus rien, rien d'autre que sa face de porc. Je ne remarque pas ceux qui se précipitent vers moi, je n'entends pas les mots m'ordonnant de m'arrêter.

Je ne vois que lui.

Je ne vois que lui, jusqu'à ce que Symphonie se dresse entre lui et moi.

Je ne vois que Symphonie. Elle devine ce que je veux faire, elle sait qu'elle ne pourra m'en empêcher. Oh, non pas de tenter de le tuer, mais de sortir ce couteau, d'achever le semblant de droits qu'il me reste.

Alors...

Elle hurle.

Elle se retourne dans un large mouvement, hurlant à en perdre la voix. Je vois son poing s'armer... frapper l'homme qui n'a pas le temps de se défendre. Le coup l'atteint au front, le jette à terre.

Pendant une seconde, j'ai l'impression de voir un ange vengeur avec ses cheveux volant emportés par ses violents coups de tête. Elle a juste le temps de me lancer un regard implorant, alors qu'elle se fait percuter par le flanc !

Je n'ai pas bougé.

Le couteau... reste dans ma poche.

Je le lâche.

Je m'agrippe, tente de remonter le gouffre. La tentation de tomber est si forte... Je ne peux pas. Symphonie vient de plonger pour m'en extirper.

Je serre mes bras contre moi, ne pouvant rien faire d'autre que de la voir se faire molester au sol. Elle crie, tente de se débattre, mais on lui écrase les bras. Elle réussit à frapper un autre de ses agressuers de pied avant de se faire totalement immobiliser.

  • C'est pas vrai ! Je vous avais dit de faire attention !
  • Tenez-la bien !
  • A la salope, elle m'a mordu !
  • Putain ! Mettez-lui les menottes !

Elle laisse libre court à sa rage. L'un des types de la machine à café finit par arriver, plaque une main gantée sur son cou, la clouant face contre terre.

  • Bouge pas.

Elle répond par quelques grognements étouffés alors que des menottes lui sont passées, bloquant ses bras dans son dos.

Plus personne ne fait attention à moi. La salle est en émoi. Je vois les deux gratte-papier afficher une mine à la fois apeurée et réjouie, continuant d'écrire sur leurs calepins. La fille rousse bondit sur ses pieds ! Elle paraît presque aussi tendue que moi.

Moi...

Je vois le porc qui se remet sur pieds.

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