1 - Robert
Lilas en mains, elle avançait au travers de cette allée centrale, allée qu'elle connaissait trop bien. Cela faisait maintenant dix ans qu'elle y venait, le vingt avril, pour déposer des lilas sur la tombe de sa défunte grand-mère.
Elle s'appelait Fleuriane, mais tout le monde écorchait ce magnifique nom, ce qui se transforma au cours des années en Florence. De nature souriante et casse-cou, elle en faisait voir de toutes les couleurs aux personnes qui l'entourait. Elle était une grand-mère folle mais très aimante. Ses parents étaient passionnés de botanique, ils passaient leur vie dans les champs et avaient un grand jardin autour de leur propriété. Grand-mère lui racontait souvent qu'elle allait les aider à planter les fleurs, mais elle un souvenir la marqua plus que les autres : elle avait un beau lilas à l'entrée du jardin. A chaque peine, à chaque inquiétude, à chaque peur, elle allait se cachait sous ce magnifique arbuste et criait ses angoisses. C'était pourquoi Lily avait choisi les lilas pour rendre hommage à sa bien-aimée Fleuriane. Lily, quant à elle, était une jeune femme des plus banales, ayant hérité de la tradition familiale : la première fille portera le nom d'une fleur ; encore un hommage à la défunte grand-mère et ses ancêtres.
Elle marchait le long des dernières demeures de tous ces inconnus, regardant les tombes et les photos qu'elle arboraient. Sa peur de la mort la faisait avancer très lentement, plus elle se rapprochait de sa grand-mère, plus elle se rendait compte qu'une année était passée, et que la mort était de plus en plus proche. Aujourd'hui elle voulait prendre son temps, admirant les plaques funéraires, à notre héros, était-est-ce un mort de guerre ? Quelqu'un qui avait sauvé la vie d'une personne, ce qui lui avait coûté la mort ? C'étaient des choses que Lily ignorerait toute sa vie.
Au loin, elle vit une silhouette accroupie devant une tombe, du point où elle se trouvait, elle distinguait à peine les traits de la personne. Tout ce qu'elle pouvait affirmer c'était qu'elle n'était plus toute jeune. Lily s'approchait lentement de cette personne et regarda par dessus son épaule. Elle y découvrit le nom du défunt : Robert Lafont, la vieille dame accroupi se releva soudainement et regarda Lily dans les yeux, les siens étant pleins de larmes.
— Déjà cinq ans que je vis sans lui, et chaque jour et de plus en plus dur. Je n'ai qu'une hâte : le rejoindre et enfin connaître le bonheur à ses côté.
Elle tourna les yeux une dernière fois vers son homme et parti sans dire un mot de plus. La jeune femme se rapprocha alors de la tombe pour l'examiner. Il aurait eu quatre-vingt-dix ans aujourd'hui, il était à peine plus vieux que sa grand-mère. Elle essayait de décortiqué toutes les plaques qu'elle voyait et mêlaient aux paroles de la vieille dame, elle commençait à imaginer une vie à se vieillard.
***
Robert, un très bel homme qui faisait chavirer les cœurs de toutes ces dames, en brisant quelques uns au passage. Il devait avoir une très belle chevelure grisonnante et un dentier très beau, qui laisserait apparaître un très beau sourire.
Habillé d'une veste de costume rouge et d'un pantalon chino de la même couleur, des mocassins noirs, une jolie montre dans laquelle il avait dû mettre la moitié de sa retraite et coiffé d'un très beau chapeau, il déambulait à travers les rues. On voyait dans son regard d'un bleu médusant qu'il était à la recherche de quelque chose, ou était-est-ce de quelqu'un ? D'une jeune fille charmante à ramener dans son lit, pour récupérer sa jeunesse le temps d'une nuit ? Il marchait d'une allure hésitante, il n'avait pas l'attitude qui allait avec son apparence d'homme sûr de lui, il semblait peureux et perdu. Au loin, on pouvait voir des larmes couler sur son visage, pourquoi pleurait-il. Lily entra dans sa tête pour découvrir ses peines et ses inquiétudes.
Quelques heures plus tôt, il avait avoué à sa femme qu'il avait cédé à ses pulsions et s'était laissé aller à des plaisirs intimes avec une femme bien plus jeune que lui. La vieille dame n'avait pas supporté cette nouvelle accablante, après tant d'années de mariage, tant d'amour, tant d'épreuves vécues ensemble ; comment pouvait-il lui faire une chose pareille ? Comment un homme aimant pouvait tromper sa bien-aimée ? Elle lui avait donc dit de partir, qu'elle ne pouvait plus le regarder ; il la dégoutait, il prit alors ses affaires et parti vers de meilleurs jours. Errant dans les rue,s sans savoir où ses pas allaient le mener, il repensait à la vie qu'il avait eu ; si heureuse et parfaite, aux côtés de la femme de ses rêves.
Maintenant, il était seul et loin de tout, comment avait-il put tout foutre en l'air ? Comment pouvait-il finir sa vie sur une note aussi triste et honteuse ? Cette idée lui glaçait le sang, il ne pouvait pas imaginer finir sa vie là-dessus, et c'était pourtant bel et bien les derniers instant de sa vie.
Il avait acheté le plus beau des colliers et cueillit le plus beau des bouquets pour reconquérir le cœur de sa douce. Tout fier, il s'élançait vers sa destination, espérant avoir une fin heureuse. Une obstacle coupa sa course, son rêve, ses espoirs d'avoir une belle fin de vie. C'était juste devant sa maison, juste devant son amour, qu'il se fit violemment renverser par une voiture, virevoltant dans les airs. Une dernière danse avant de refermer le rideau.
— Vous le connaissiez ? dit une voix inconnue qui sortit Lily de ses pensées.
— Non, pas du tout, je me suis perdue à rêver.
— Vous rêvez des morts ?
Elle sourit à l'inconnu, déposa un lilas et continua sa route dans l'allée centrale, oui, elle rêvait la vie des morts, et elle ne comptait pas s'arrêter.
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