7. Déshabillée

7 minutes de lecture

Les deux amies avaient passé la journée à marcher en échangeant des banalités. Lorsqu'elles rentrèrent, il était près de dix-neuf heures. Di ouvrit la porte, ses parents étaient tous deux devant la télévision et ne lui prêtèrent aucune attention. Ils ne semblaient même pas s'être aperçus de son retour.

Elle alla dans la cuisine chercher à manger et, comme chaque autre soir, monta dans sa chambre, suivie de Brume. Elles mangèrent sur le lit une de ces éternelles barquettes de nourriture toute prête à réchauffer au micro-ondes. Finissant sa dernière bouchée, Di dit à Brume :

- Je crois que j'ai passé la meilleure journée de ma vie. Je veux voler avec toi encore et encore. Ah, et je n'en reviens pas d'avoir parlé à un nuage. Tu ne penses pas qu'il a été choqué par ma question au-moins ?

- Non, je ne crois pas que les nuages soient très pudiques.

Brume se rappela alors de la question qu'elle-même s'était posée le matin.

- Di ?

- Oui ?

- Puis-je te poser une question ?

- Bien sûr.

- Je suis un peu gênée.

- Pourquoi ? Tu sais bien qu'avec moi tu n'as aucune raison de l'être.

- Ma question risque de te paraître stupide, voilà tout.

- Mais non voyons, pose-la moi.

- Ce matin, quand tu as parlé du sexe des nuages, je me suis demandé si... Est-ce que je suis une fille ou un garçon ?

Le visage de Di se figea. Elle ne s'attendait absolument pas à cette question et sa surprise la laissa muette ; elle ne savait que répondre. Finalement, elle déclara :

- Enfin, c'est évident que tu es une fille. Pourquoi serais-tu un garçon, Brume ? Tu as des traits féminins, de la poitrine,...

- Je ne sais plus trop bien ce qui différencie une fille d'un garçon, je n'ai plus vraiment à m'en préoccuper en fait.

- Mais tu vois bien si moi je suis une fille ou pas, non ?

- Chez les autres, ça me semble évident mais... Je ne sais vraiment plus qui je suis, moi.

- À moins que tu sois un garçon avec un physique très particulier, je peux te certifier que tu es une fille.

- C'est quoi la différence, Di ?

- La différence ? Entre une femme et un homme ?

- Oui.

- C'est juste ce qu'il y a entre les jambes.

- Ça change beaucoup de choses, tu crois ?

- Je ne sais pas. Pourquoi ?

- Je me pose des tas de questions étranges. J'ai l'impression qu'il se passe quelque chose en moi, quelque chose que je ne connais absolument pas, comme si j'étais en train de me transformer.

- Te transformer ?

- Ce n'est qu'une impression, hein ?

- Qu'est-ce qui se transforme chez toi ?

- C'est à l'intérieur. Je me sens toute étrange, je ne sais pas si tu as déjà ressenti ça. J'ai l'impression que mes entrailles sont remplies d'eau gazeuse.

- C'est très étrange ce que tu me dis.

En essayant d'imaginer la sensation que venait de décrire Brume, Di se rendit compte qu'il se produisait la même chose en elle. Elle dévisagea son amie. Elle demanda :

- Tu sens d'autres choses en toi ?

Brume hocha la tête :

- Un étrange poids dans la poitrine et en même temps cette sensation de légèreté. Je suis prise entre la crainte et la certitude, je ne sais pas bien face à quoi au juste.

- Je comprends ce que tu ressens.

- Tu as déjà ressenti ce genre de chose ?

- Oui. Oui, je pense que c'est bien la même chose.

- Et c'est quoi ?

- Je n'en ai aucune idée. C'est juste bizarre, et aussi douloureux qu'agréable.

- C'est exactement ça. Si j'étais réelle je...

Elle se tut.

- Que ferais-tu ? demanda Di.

Brume rougit, réfléchissant le plus vite possible. Elle s'exclama :

- J'ai envie de prendre une douche !

- Maintenant ?

- Oui.

- Tu sais où est la salle de bain.

- Viens avec moi.

Brume n'osait plus bouger, n'osait plus regarder Di. Elle avait l'impression d'être plus rouge qu'une tomate. Évidement, sa peau glaciale était restée plus blanche que de la porcelaine et Di ne s'aperçut de rien.

- Si tu veux, dit Di, je suppose que tu ne te souviens plus du fonctionnement d'une baignoire.


Brume traversa le couloir, pieds nus, suivant son amie, et entra dans la salle de bain. Elle tremblait tellement qu'elle vacilla et manqua de tomber. Di ferma la porte. La rouquine ne cessait de trembler, tentant de canaliser sa peur mais regrettant d'avoir demandé à se laver. Elle se sentait si ridicule. Di rinça la baignoire, mit le bouchon et fit couler l'eau.

- Regarde si la température te convient, dit-elle à Brume.

Cette dernière s'approcha de la baignoire pour mettre sa main dans l'eau mais, se penchant au-dessus, découvrant les petites vaguelettes qui se déversaient dedans, elle fut prise d'un soudain vertige et recula pour venir s'appuyer contre le lavabo.

- Ça ne va pas ? lui demanda Di.

- J'ai peur de ce... J'ai peur de l'eau.

- Il n'y a pas à avoir peur ; tu ne vas pas te noyer là-dedans. Et puis, regarde, je suis là. Si tu avais le moindre problème, tu sais bien que je t'aiderais.

Brume la regarda ; Di lui souriait tendrement. Elle fut alors immédiatement convaincue que rien ne pourrait jamais lui arriver, aussi longtemps que ce sourire brillerait pour elle.

- Alors, dit-elle en désignant la baignoire, je vais rentrer là-dedans.

Elle s'approcha de la baignoire, s'apprêtant à en enjamber le rebord.

- Tu ne te déshabilles pas ? demanda Di.

Brume blêmit. Elle posa sa main sur sa robe, la faisant glisser sur sa hanche, elle agrippa le tissu et le tordit entre ses doigts. Di lui lança un regard interrogateur.

- La fermeture est dans le dos, déclara Brume d'une voix presque étouffée.

La petite brune se posta derrière elle et tira sur la fermeture de sa robe. Les manches glissèrent sur les épaules de Brume et descendirent le long de ses bras. Elle enjamba le vêtement et, regardant par dessus son épaule, lança à Di ce regard, comme pour dire « Viens-moi en aide. ». S'exécutant, Di défit les agrafes du soutien-gorge de Brume qui, à son tour, glissa le long du corps de la rouquine et tomba au sol.

Brume croisa les bras sur sa poitrine, essayant de cacher ses formes. Le visage dégoulinant de sueur, prise de panique, elle abaissa le bas. Brume se sentait totalement nue, pas seulement dans sa tenue. Elle avait l'impression de s'être dévoilée, elle avait l'impression de n'être qu'un vulgaire morceau de viande. Elle avait peur de son corps, elle ne l'avait pas regardé depuis longtemps, elle ne s'en souvenait même pas. Elle ne l'avait jamais montré à personne surtout, et ne se sentait pas réellement à l'aise. Elle se sentait même affreuse. Elle craignait le jugement de Di.

Faisant le vide dans son esprit, arrêtant de réfléchir, Brume inspira un grand coup et enjamba pour de bon le rebord de la baignoire. Quand son pied rentra dans l'eau, elle se sentit envahie d'une étrange sensation. Depuis combien de temps n'avait-elle pas mis le pied dans l'eau ? Elle se baissa, rentrant petit à petit les genoux, la taille, la poitrine, les épaules. Elle s'allongea, trempant ses cheveux roux dans l'eau, envoyant sa tête en arrière, passant ses mains sur sa figure afin de la mouiller. Elle comprit que se laver lui avait énormément manqué tout ce temps. Brume prit une grande inspiration et plongea sa tête dans l'eau, elle ne cessait de penser à quel point c'était agréable.

- Je crois que je ne sais pas nager, dit-elle en émergeant.

- Ça s'apprend, répondit Di en venant s'asseoir sur le rebord de la baignoire.

Ouvrant ses yeux pleins d'eau, Brume aperçut Di près d'elle et esquissa un sourire. Elle avait oublié sa tenue et sa pudeur. Di lui rendit son sourire.

Toujours en quête d'un jeu enfantin, Brume prit de l'eau dans la paume de sa main et la lança sur son amie. En guise de vengeance, Di lui versa la moitié de la bouteille de shampoing sur la tête. Brume se mit à rire et riposta à son tour avec de grosses éclaboussures. Se relevant, trempée, Di glissa et se rattrapa de justesse au bord de la baignoire. Les deux amies éclatèrent de rire.


Alors qu'elles reprenaient leur respiration, on toqua violemment à la porte.

- Di, qu'est-ce que tu fabriques ?! hurla sa mère.

- Rien, rien, répondit la principale concernée. Je me lave, c'est tout.

- J'entre, je dois prendre des cachets dans l'armoire.

Avant même que la poignée n'ait eu le temps de s'abaisser, Di se défit de tous ses vêtements et se jeta dans la baignoire, passant au-dessus de Brume qui ne put retenir un cri de surprise.

La mère de Di entra dans la salle de bain. Elle ouvrit le placard métallique qui servait de pharmacie, prit une boîte de médicaments et ressortit sans faire attention à sa fille. La porte se referma. Di laissa échapper un petit rire. Brume, bien qu'un peu gênée par la position dans laquelle elle se trouvait, ne tarda pas à faire de même. Di se pencha sur son amie en plongeant sa main dans le bain et, en ressortant une grosse poignée de mousse, la lui plaqua sur le visage. Brume s'empressa de riposter de la même manière.

Quelques minutes plus tard, on trouva plus d'eau mousseuse autour de la baignoire que dedans. Voyant se terminer leur jeu, Brume se rappela de la position dans laquelle elle était et ses joues s'enflammèrent comme si elle rougissait, sauf que sa peau demeurait d'une blancheur parfaite.

Di continuait de rire, au-dessus d'elle, du savon plein les cheveux. Brume se redressa et, maladroitement, passa la main sur le crâne de Di pour enlever la mousse qui s'y trouvait. Cette dernière cessa peu à peu de rire, son cœur palpitait, elle pensa presque qu'il allait sortir de sa poitrine. D'un bond, Di se releva et sortit de la baignoire. Elle se saisit de la première serviette qu'elle trouva et en lança une seconde à Brume.

Alors qu'elles se séchaient, Di se tourna vers Brume en souriant.

- Qu'y a-t-il ? demanda celle-ci.

- Tu es une fille, je te le confirme, répondit Di l'air rieur.

Brume eut elle aussi un léger rire. Sa main glissa de sa poitrine à son entre-jambes, discrètement, et elle l'en retira aussitôt. Tout ce qu'elle pensait à cet instant était : « Si seulement j'avais eu autre chose à cet endroit... »

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0