15. Quand on joue avec le feu

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Le lendemain de leur rencontre avec Alison, Di et Kiera n'avaient pas quitté l'usine. Eddy qui était légèrement malade avait passé toute la journée allongée sur son matelas, une cigarette éteinte entre les lèvres. Stephen n'était pas rentré depuis la veille au soir, où il était allé jouer au poker. Josh était arrivé au beau milieu de la nuit dans une espèce de transe et s'était levé au matin en titubant, la tête grosse comme une citrouille, en répétant que tout allait bien et qu'il voulait juste aller sur le terrain. Et il était parti. Hilary avait dû rentrer seule et était terriblement énervée. Un alcoolique lui aurait bondit dessus pour lui voler son argent sur le chemin du retour. La jeune fille ne cessait de hurler et de marteler ses bidons avec ses baguettes pour tenter de passer sa rage. Di ne pouvait s'empêcher de penser qu'une telle colère ne pouvait être due qu'à cette agression. Hilary était plus forte que ça ! Kiera suggéra :

- Et si tu lui demandais ce qui la tracasse ?

- Tu penses qu'elle acceptera de me parler ?

- Je ne vois pas pourquoi elle refuserait.

Di s'extirpa de son lit et se dirigea vers la salle du fond du couloir. Elle y trouva Hilary qui frappait violemment sur sa batterie. La petite brune s'assit comme si de rien n'était devant les gros bidons. Fixant la porte, elle demanda à Hilary :

- Qu'est-ce qui te met dans cet état ?

- Cet abruti qui m'a agressée hier !

- Hilary, ne me fait pas croire qu'un vieux bourré qui en veut à ton fric t'impressionne.

- Je ne parlais pas du vieux bourré, je faisais allusion aux chers amis de Monsieur Josh.

- Josh ?

- Oui, ne raconte pas ça à Eddy ou elle serait capable d'aller trouver ces gars pour les tuer.

- Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?

- Des stupidités. Tout le monde sait que j'ai une peur bleue du feu. Ils m'ont entourée pour s'amuser à me passer leurs briquets sous les yeux. Je n'en pouvais plus Di, je pleurais tellement que je ne pouvais plus respirer. Et ce connard de Josh ne bougeait pas le petit doigt pour m'aider !

- Mais, Josh n'est-il pas sensé être ton ami ?

- Sensé, oui. Il me regardait avec des yeux exorbités, il ne bronchait pas. On aurait dit qu'il était cloué sur place. Je savais qu'il ne me portait pas particulièrement dans son cœur mais maintenant je suis certaine qu'il s'en fiche de notre clan et qu'il n'est là que pour profiter de nous ! Qu'il aille avec ses imbéciles d'amis et ne remette jamais les pieds ici !

Kiera m'avait fait la remarque hier; elle pense que Josh n'est pas quelqu'un de confiance.

- Elle a raison de penser cela. Mais, dis-moi, Kiera ne pourrait-elle pas nous rendre un petit service ?

- Lequel ?

- Puisque Josh ne peut pas la voir, elle pourrait essayer de le surveiller un peu cette nuit. Elle ne risque rien, elle.

- Je lui demanderai.

- Ça serait génial de sa part si elle acceptait. J'aimerais vraiment savoir ce que Josh trafique !

Bon, calme-toi maintenant. Je dois y aller.

- Merci Di, ne répète rien de tout cela à Eddy.

Di se releva et rejoignit Kiera dans la pièce principale. Elle prit son amie par la main et l'entraina sur le toit pour lui parler de l'idée d'Hilary.

- Pas de problème, répondit Brume, je me ferai une joie de me mêler des plans foireux de ce petit...

- Tais-toi avant de dire des grossièretés.

- Tu as raison.

- J'ai autre chose à te demander.

- Je t'en prie.

- Penses-tu que je doive aller chez Alison ?

- Elle est un peu bizarre cette bonne femme mais elle n'a pas l'air bien méchante. Je pense que tu devrais, oui.

- Mais si elle me demande de jouer du piano ?

- Eh bien tu joueras !

- Elle se rendra forcément compte que les touches sur lesquelles tu appuies bougent toutes seules.

- Je ne jouerai pas.

- Mais alors elle se rendra compte que la mélodie n'est pas la même qu'hier.

- Ce n'est pas bête. Comment faire ?

- Je n'en ai aucune idée.

- Je vais jouer tout de même. À mon avis, si on est assez douées, elle sera plus concentrée sur le son que sur nos gestes et n'y verra que du feu.

- Mais si elle se rend compte de quelque chose tu seras un phénomène de foire du genre « le piano qui joue tout seul ».

- Ce ne sera pas si grave que ça. Ne t'en fais pas pour moi. Dépêchons-nous, il est passé quatre heures. On ne va pas faire attendre Alison !

Kiera fit un petit clin d'œil à Di et lui saisit la main pour l'entrainer vers l'échelle. Elles traversèrent le couloir en courant mais, au dernier moment, Eddy sortit de la pièce de vie et leur barra le passage. La grande blonde posa ses mains sur ses hanches et fronça les sourcils :

- Vous allez me dire ce que vous trafiquez toutes les deux ! Je sais que Kiera est avec toi, Di. Où allez-vous tous les soirs depuis plus de deux mois ?

- Nulle part.

- Vous avez intérêt à me dire ce que vous manigancez.

- Kiera m'apprend le piano.

- Le piano ? Et tu ne nous dis rien ?

- Pourquoi devrais-je vous le dire ?

- Peut-être parce que nous sommes un clan, peut-être parce que nous avons monter un groupe et que si Kiera et toi êtes pianistes il est évident que ça nous intéresserait !

- Excuse-moi de ne rien t'avoir dit, Ed. En fait nous jouons sur le piano de quelqu'un en ville, donc on n'aurait pas pu vous aider dans le groupe.

- Ah ça c'est trop bête ! Il faut qu'on trouve un piano. Et bon sang il faut qu'on retrouve Steph ! Je ne l'ai pas vu depuis hier soir !

- Ne t'inquiète pas, je suis certaine qu'il va bien. Je dois vraiment y aller !

Eddy haussa les épaules et s'écarta. Di entraîna Kiera vers la sortie en toute hâte. Elles se pressèrent dans les rues pour atteindre le plus vite possible la maison d'Alison. Quand elles arrivèrent, la porte était déjà ouverte. Di toqua et entra sans attendre de réponse. Alison était assise sur le sol du salon, plongée dans la partition du morceau qu'avaient imaginé Brume et Die. Elle avait mis ses cheveux derrière ses oreilles et portait des lunettes. Sans tourner la tête vers Di, elle déclara :

- Tu es douée. Je veux dire, toi et l'amie qui t'a aidée à composer ça. J'aimerais que tu le joues encore.

- Mais je...

- Ne sois pas timide, Di.

Alison lui sourit. Di soupira et se dirigea vers le piano, entraînant Kiera à sa suite. Les deux amies s'assirent sur le tabouret et posèrent leurs doigts sur le clavier, commençant à jouer. Le soleil était encore haut dans le ciel. Mais même si Alison ne distinguait plus la silhouette qu'elle avait aperçue la veille, elle voyait clairement les touches bouger seules, tentant toujours de se convaincre de l'impossibilité de cette situation. Et pourtant elle pouvait le voir, l'entendre. Quelqu'un – ou quelque chose du moins – accompagnait Di sur ce morceau. Mais l'étrange duo jouait tellement bien que la jeune femme n'osa pas l'interrompre pour poser l'une des nombreuses questions qui lui trottaient à l'esprit. Lorsque Di eut achevé la note finale, Alison applaudit et vint se pencher au-dessus du piano.

Regardant Di du coin de l'œil, elle lui demanda l'air songeur :

- N'est-ce pas un morceau pour quatre mains ?

- Comment ?

- J'ai lu la partition tout à l'heure. J'ai essayé de la jouer même mais je n'y arrive pas seule. Ce morceau doit être joué par deux personnes, je ne vois pas d'autre moyen. Alors j'aurais aimé savoir comment tu faisais pour le jouer seule.

- Vous aimeriez le savoir....

- Oui, énormément.

- Et moi j'aimerais que vous continuiez à l'ignorer.

- Mais... Pourquoi ? Est-ce si secret ?

- La musique est un art. Lorsqu'on révèle les secrets de son art, il perd de sa valeur.

Que pouvait répondre Alison à cela ? Di avait raison, rien ne servait de la contredire. Elle n'avait plus qu'à se faire une raison; les secrets ont bien du charme finalement. Décidant de passer à autre chose, Alison dit à la petite brune :

- Tu devrais en écrire d'autres, des morceaux. Tu as le potentiel pour faire des choses bien plus grandes encore sur ce piano.

- J'en parlerais à l'amie avec laquelle je compose.

- Excellente idée ! Pourquoi ne me la présenterais-tu pas ?

Di sentait qu'Alison savait quelque chose. Sinon pourquoi aurait-elle tant insisté sur la présence d'une seconde personne ? Die était mise à l'épreuve cet après midi, elle devait absolument trouver des réponses cohérentes à cet interrogatoire. Mais elle aimait trop Kiera pour vouloir mentir, elle voyait cela comme contraire à ses sentiments et était bien incapable de nier l'existence de Brume. Elle répondit simplement.

- C'est impossible.

C'est alors qu'une idée absurde traversa l'esprit d'Alison : et si cette silhouette était un fantôme ? Elle interrogea immédiatement.

- Ton amie est-elle morte ?

Di aurait pu répondre «oui», stopper les questions incessantes d'Alison, lui faire croire qu'elle était meurtrie et ne pouvait composer qu'en discutant avec la tombe d'une amie décédée. Mais ce «oui» ne voulait pas sortir de sa bouche. Kiera n'avait rien d'un fantôme, Kiera était là, dans l'air certes mais vivante tout de même.

- Non, lâcha sèchement Di.

Elle sentit alors les doigts de Brume entrelacer les siens. Elle la protégerait, ne la laisserait pas devenir une chose curieuse. Tout ce qu'elle voulait c'était lui rendre la vie, tout comme Kiera lui avait rendu la joie. Comme si elles avaient pu se comprendre sans se parler, Kiera et Di se remirent à jouer en chœur, détournant le regard d'Alison. Les yeux dans les yeux, elles ne regardaient même plus les touches du clavier. À quoi bon ? Elles les connaissaient comme leur poche, même mieux encore. Elles ne se souciaient plus de la jeune femme qui les dévisageait, cherchant encore à trouver une explication rationnelle au mouvement des touches sous les doigts invisibles de Brume. Di, qui la savait en train de se tourmenter à ce sujet, ne pouvait s'empêcher de sourire. Finalement; l'invisibilité n'était pas chose plus irrationnelle que le cœur, que les questions inutiles qu'on peut se poser, que la passion qu'on peut avoir pour un piano, pour une personne,...

Brume et Die auraient pu jouer ainsi des heures et des heures; de même qu'Alison aurait pu les écouter tout ce temps sans se lasser. Mais le ciel se couvrait, la nuit allait tomber d'ici deux à trois heures. Alors que Di achevait une fois encore la dernière note, Alison retira la partition du pupitre. Elle s'adressa alors à l'adolescente :

- Je suis impatiente d'entendre d'autres morceaux de toi, Di. D'ailleurs j'ai une petite surprise pour toi. Viens, c'est en ville. Mets ta veste et suis-moi.

- Quel genre de surprise ?

- Ne discute pas. Les surprises c'est comme les secrets et l'art. Si on les révèle ça n'a plus d'intérêt. Viens donc par ici.

Alison entraîna Di dehors. Kiera les suivait discrètement, tout aussi intriguée que son amie par la surprise de la jeune femme. Celle-ci les entraina dans des ruelles isolées. Tout y semblait du siècle passé, tout était si typique, si mignon. Elles se seraient crues dans un village de poupées comme ceux que l'on peut voir dans les vitrines des magasins à la période de Noël. Le sol était pavé, les balcons des maisons fleuris et les devantures des magasins colorées. Les commerçants avaient le sourire. On aurait cru que le monde était parfait en traversant cette partie de la ville. Alison poussa la porte d'une boutique. La façade était en pierres anciennes et on pouvait lire sur un écriteau, écrit en noir sur un fond représentant des tâches de peinture rouges et des notes de musique violettes, «Rock'n'roll Avenue». Die et Brume suivirent Alison à l'intérieur. Alors que la jeune femme allait s'adresser à une vendeuse, les deux amies s'émerveillaient devant les lieux. Les murs étaient couverts de guitares. Il y avait des saxophones dans le fond du magasin, des batteries sur leur gauche, un étalage sur la droite où un jeune hippie vendait divers accessoires complémentaires aux instruments. Kiera se pencha vers Di :

- Je suis morte ? demanda-t-elle.

- Non. Pourquoi me demandes-tu ça ?

- J'ai toujours imaginé le paradis comme un lieu semblable à celui-ci.

Di regarda son amie. Brume avait les yeux tout grand écarquillés; Di avait compris quel bonheur la musique lui procurait depuis bien longtemps et était si heureuse de la voir s'extasier parmi les instruments. Alison revint vers elles. Elle saisit le bras de Di et l'entraîna dans la boutique avec un petit clin d'œil. Kiera, bouche bée devant cet endroit qu'elle jugeait magnifique, les suivait sans savoir où donner de la tête. Elle pensa qu'il y avait bien trop de choses à voir ici pour qu'elle ait une chance de toutes les observer aujourd'hui.

- Il faudra que l'on revienne ! lança-t-elle à Di.

Mais Di était elle aussi transportée ailleurs. Elle avait les larmes aux yeux. Kiera les rejoignit.

- Il est pour toi, disait Alison.

Di sentit une explosion de joie en elle. Brume poussa un cri, bien que personne ne put l'entendre à l'exception de la brunette. Ce n'était pas un piano mais un synthétiseur. Avec ça elles pourraient enfin jouer à l'usine, elles pourraient peut-être même intégrer le groupe d'Eddy.

- Pourquoi me fais-tu ce cadeau ? demanda Di, les larmes aux yeux.

- Je te l'ai répété je ne sais combien de fois; tu as du talent. Je ne me permettrai pas de laisser quelqu'un avec autant de potentiel travailler sur mon vieux piano poussiéreux. Accepte ce cadeau et fais-en bon usage.

- Merci Alison ! Merci !

Di sauta au cou de la jeune femme qui manqua de basculer en arrière. Ceci décrocha un petit rire à Kiera. Alison passa en caisse avec le synthétiseur et remit la boîte dans les bras de Di. Puis, la jeune femme expliqua qu'elle devait rentrer chez elle car elle avait invité des amis à dîner. Di et Kiera quittèrent donc la boutique ensemble, souriantes.

- J'adore cette Alison finalement ! déclara Brume.

- Et moi donc ! Personne ne m'aurait jamais offert ce genre de choses.

- Bien sûr que si. Moi je t'en aurais offert un, si j'avais eu de l'argent.

Di secoua la tête en riant et saisit la main de celle qu'elle aimait.

- Tu es incorrigible Kiera !

- Manifestement ça te plaît.

- Tout me plaît chez toi. Même les défauts deviennent des qualités sur toi.

- J'ai de la chance de t'avoir.

Kiera déposa un baiser dans la nuque de Die. Lentement, elles regagnèrent l'usine. Di aurait souhaité que ce moment ne se termine jamais, Kiera n'en souhaitait pas moins. Mais il leur fallut se quitter devant la porte de l'usine.

- Je dois aller surveiller cet imbécile de Josh ce soir, se rappela Brume.

- Fais attention à toi.

- C'est plutôt à lui de faire attention à moi. Je ne vais pas le lâcher une seconde.

- Tu vas me manquer.

- Toi aussi tu vas me manquer. J'espère que tu ne dormiras pas encore quand je rentrerai. Tu n'as qu'à essayer de monter le synthétiseur. Ça risque de te prendre un certain temps !

- Ne sous-estime pas mes talents de bricoleuse.

- Je n'oserai pas ! À tout à l'heure, ma princesse.

Kiera embrassa passionnément Die et fila vers le terrain de sport.

Josh était là, avec une bande d'autres garçons plus âgés. Ils criaient tous, ils s'amusaient à se donner des coups. Mentalité bien stupide, pensa Kiera, mais elle n'en avait jamais pensé moins de Josh. Au bout d'un moment, Brume remarqua qu'un jeune homme fort musclé et au regard peu rassurant entraînait Josh vers les vestiaires, à l'écart. Elle les suivit, discrètement.

- Kevin, dit Josh, je ne peux pas. Eddy va me tuer si je fais ça !

- Aucun risque, mon frère. Eddy et sa bande de fillettes ne vont pas avoir grand chose à dire.

- Qu'est-ce que tu vas faire ?

- T'inquiète pas. L'autre, Hilary, elle m'a donné une super idée !

- Qu'est-ce que tu vas faire ?

- Je t'explique le plan. Tu rentres à l'usine, tu sors tout ce qu'il y a d'intéressant. Moi et les autres on embarquera tout, devant, dans la camionnette. Et quand on a tout pris on fout le feu et on se tire.

- Mais, tu vas pas faire cramer l'usine avec tout le monde dedans ?!

- Et pourquoi pas ? Personne va pleurer pour une blondasse qui se la pète, une gothique et un gay ! Tu vas pas traîner plus longtemps avec cette bande de loosers l'ami !

- Il y a aussi une espèce d'allumée qui prétend être amie avec la femme invisible.

- Ah non laisse-moi rire ! Allez mec, ça va être drôle, tu verras ! Maintenant rentre à l'usine et commence à préparer ce que tu peux. On te rejoint.

Josh quitta les vestiaires, se dirigeant vers l'usine. Kiera était horrifiée par ce qu'elle venait d'entendre. Josh se servait d'Eddy depuis le début, et maintenant il allait dépouiller la bande et les tuer. Jamais elle ne le laisserait faire une chose pareille ! Elle courut vers l'usine, bien plus vite que Josh qui ne se pressait pas le moins du monde. Alors qu'elle arrivait dans la zone industrielle désaffectée, elle aperçut Stephen qui revenait, le visage en sang. Elle courut vers lui et lui saisit le bras. Il sursauta, laissant échapper un cri de surprise. Il regarda autour de lui :

- C'est toi, Kiera ?

Elle le tira par le bras vers l'entrée de l'usine.

Di et Eddy finissaient de mettre sur pied le synthétiseur quand Kiera entra dans la pièce.

- Regarde ça, Brume, lança Di, on a été vite ! Mais...

Elle s'interrompit en voyant Stephen, défiguré.

- Kiera, que s'est-il passé ?

- Je ne sais pas, je l'ai trouvé comme ça sur le chemin du retour.

- Stephen ?

Hilary, qui venait d'arriver dans la pièce, sauta au cou du garçon.

- Stephen, où étais-tu ?

- Ils m'ont retenu à la sortie du bar hier soir.

- Qui ?

- Je ne sais pas; une bande de garçons. Je ne les connaissais pas. Ils m'ont insulté puis tabassé. Je ne suis évanoui. Je me suis réveillé en fin d'après-midi dans le local à poubelles.

- C'est affreux ! enragea Di. Ils ont fait ça parce que tu aimes les garçons n'est-ce pas ?

- Oui, effectivement. Mais ne te soucie pas de ça, Di. Il y a des imbéciles partout. C'est à toi ce synthétiseur ?

- Oui, on me l'a offert.

- Il est superbe ! J'espère que tu nous joueras un morceau un de ces jours.

C'était trop affreux de faire du mal à quelqu'un d'aussi gentil que Stephen, pensait Kiera. Mais bien vite elle se rappela qu'il y avait plus urgent que les lamentations.

- Die, s'écria-t-elle, j'ai surpris une conversation entre Josh et un certain Kevin. Ils sont tout une bande apparemment. Ils comptent prendre tout ce qui a de la valeur ici et mettre le feu à l'usine, alors que nous sommes dedans.

Di expliqua aussitôt la situation aux autres.

- Décampons tout de suite, dit Eddy.

- Non, fit Hilary, si c'est nous qu'ils veulent tuer ils nous retrouveront.

- Alors qu'est-ce qu'on va faire ?

- J'ai une idée, déclara Di.

- Exprime-toi, je t'en prie, répondit Eddy.

- C'est simple. Nous allons emmener en lieu sûr notre argent et nos instruments. Je pense qu'Alison voudra bien de ça chez elle.

- Qui est Alison ?

- C'est elle qui m'a offert le synthé. Elle acceptera de nous aider, j'en suis sûre. Ensuite, nous reviendrons ici nous coucher. Comme ça lorsqu'il mettra le feu nous serons là. Mais dès qu'il l'aura fait il faudra qu'on sorte par la porte au fond du couloir et qu'on descende l'échelle. Ensuite on quittera au plus vite cette usine.

- C'est trop risqué ! désapprouva Hilary. On pourrait y rester !

- On a une chance de s'en sortir. La prochaine fois qu'ils voudront s'en prendre à nous, on ne sera pas au courant et on y passera forcément. Il faut qu'ils pensent nous avoir tués, sinon on ne sera jamais tranquilles. Faites- moi confiance, personne ne restera ici.

Chacun prit ses instruments et on confia l'argent à Kiera. Les cinq amis firent route vers la maison d'Alison. Le garage était ouvert et ils y déposèrent tout ce qu'ils avaient pu sauver.

Quand ils rentrèrent à l'usine, Josh était déjà là. Eddy mourrait d'envie de lui cracher à la figure, de lui arracher les yeux,... Mais elle ne devait rien faire échouer. Probablement ce traitre avait-il déjà commencé à vider l'usine des quelques biens qu'il restait. Di, Kiera, Eddy, Stephen et Hilary firent mine d'aller se coucher. Quelques minutes plus tard, ils entendirent Josh faire un dernier voyage dans l'escalier, descendant ses vêtements. Il remonta quelques instants plus tard. Brume se leva pour voir ce qu'il faisait. Il était en train de déverser un bidon d'essence dans l'escalier. Bientôt, il alluma son briquet et mit le feu. Le sol, les poutres, tout commençait à s'enflammer. Kiera se précipita dans la pièce de vie, elle tira Di hors du lit, puis Eddy, Stephen et Hilary se levèrent d'eux-mêmes. Tous les cinq se précipitèrent vers la porte du fond du couloir, le feu à leurs trousses. Stephen ouvrit la porte et descendit l'échelle. Mais le tour d'Eddy venu, ce n'était plus une mince affaire. La pauvre avait le vertige est restait scotchée au premier barreau. Di dut descendre avec elle; cela prit un certain temps. Les flammes avaient gagné du terrain. Hilary, les voyant se dresser devant elle, avait perdu tous ses moyens. Elle avait hurlé, pleuré et, paralysée par la peur, elle s'était évanouie. Kiera bondit sur la jeune fille et la traîna vers la plate-forme. Elle ferma la porte, espérant bloquer les flammes et gagner quelques secondes. Voyant que Brume ne pouvait porter Hilary jusqu'au sol, Stephen remonta et prit la jeune fille évanouie par-dessus son épaule. La tenant dans ses bras, il suivit les autres en courant vers l'usine voisine. Derrière eux le feu engloutissait ce qui avait été leur maison.

Kiera était prête à descendre l'échelle. Mais, passant sa main dans ses cheveux, elle se raidit. La pince n'y était plus, celle que Di lui avait offerte au lendemain de leur rencontre. Elle l'avait probablement laissée sur le matelas. Sans réfléchir, ne pensant qu'à l'importance que ce cadeau avait à ses yeux, elle rouvrit la porte et, bravant les flammes, se précipita dans la pièce de vie. Il lui fallait raser les murs pour espérer échapper aux brûlures. Quelques flammes lui torturèrent malgré tout les jambes. Le plafond cédait peu à peu. Les flammes se dressaient devant la porte de la pièce principale. Ne pensant qu'à sa précieuse pince, Brume bondit au dessus de la barrière de feu. À cet instant, elle crut ressentir ce que ressentaient les lions dans les cirques, bondissant dans un cerceau de feu. Elle avait vu ce numéro étant petite, elle ne l'avait jamais apprécié, ayant toujours peur que le « gros chat » ne se fasse mal. Kiera tomba à terre. Elle se jeta sur le matelas, saisit la pince qui s'y trouvait et fit demi-tour.

Josh cognait la porte de ses deux poings, mais elle ne cédait pas. Elle s'était refermée alors qu'il inondaient l'escalier d'essence. La voiture de ses prétendus amis avait démarré et il était resté seul, prisonnier entre la porte coincée et les flammes qui grandissaient et se rapprochaient inexorablement de lui. Elles avaient atteint ses chevilles, ses mollets, ses genoux, et grimpaient dangereusement vers son bassin. Il ne hurlait pas que de rage devant la porte fermée, mais principalement de douleur. Ses membres allaient finir par se réduire en cendres. Alors qu'il hurlait une fois encore, il entendit une étrange chanson, une berceuse terriblement glauque. Il tourna la tête. En haut de l'escalier, la silhouette de Kiera se dessinait dans la lueur des flammes. Elle le regardait, souriant de toutes ses dents. Ses yeux restaient cependant totalement inexpressifs, ce qui la rendait effrayante. Josh tendit sa main vers le ciel.

- Sauve-moi !

Mais la jeune fille continuait de chanter, souriante, alors que les flammes rongeaient le corps du traitre. Ses cheveux roux volant parmi les nuages de cendres, elle disparut et la fumée prit sa place, abrégeant les souffrances de Josh qui finit pas s'étouffer en l'inspirant.

Eddy pleurait en voyant l'usine s'effondrer dans les flammes, la fumée sortant des cheminée comme si elles avaient été en marche. Hilary lui tenait le bras. Stephen n'osait pas regarder ce spectacle. Di poussa un cri. Tous se retournèrent vers elle.

- Que se passe-t-il ? s'enquit Stephen.

- Kiera ! Où est Kiera ? Ne me dites pas qu'elle est restée là-bas !

Je ne l'ai pas vue descendre l'échelle...

- Kiera !

Die s'effondra à terre, en sanglots, sans cesser de hurler :

- Kiera !

Une main se posa sur son épaule.

- Je suis là; qu'es-ce qui se passe ?

Di fit volte-face. Elle était bien là. Elle bondit au cou de Kiera, pleurant plus encore.

- Je pensais que tu étais morte !

- Non, j'avais juste oublié ma pince à l'intérieur, je suis retournée la chercher.

- J'ai eu si peur.

- Quelqu'un d'autre a eu peur.

- Qui donc ?

- Un traitre. Il est mort. La porte est restée bloquée et il a brûlé dans l'escalier. Même si j'avais voulu, je n'aurais rien pu faire pour lui. Les flammes qui se dressaient entre nous étaient immenses.

- Il s'est mis lui-même dans cette situation, tu n'as rien fait de mal.

- Di.

- Oui ?

- Il m'a vue. Il m'a demandé de le sauver. Il a pu me voir, Di. Est-ce que tu penses que d'autres le pourront ?

- Je l'espère.

Di passa ses bras dans le dos de Brume et la serra contre son cœur

- Ne refais jamais une chose pareille !

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