17. Burned Factory

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Di et Brume pénétrèrent dans les ruines. Les autres étaient réveillés à présent. Eddy s'avança pour saluer Di, et également Kiera qu'elle savait à côté d'elle, même si elle ne pouvait pas la voir.

Je suis allée voir dans notre usine, dit Eddy, on ne peut pas retourner vivre là-bas. Tout a cramé. C'est totalement inhabitable. C'est encore pire qu'ici, il y a des débris partout, des poutres détachées du plafond, des cendres et des cendres à n'en plus finir. Il n'y a même plus de toit. On va devoir trouver un autre endroit, mais à vrai dire j'ai peu d'espoir à ce sujet. Personne ne savait qu'on vivait ici mais je ne connais pas d'autre endroit suffisamment discret. Et si quelqu'un trouve une bande d'ados qui vivent en volant et en jouant, on ne nous laissera pas tranquilles. La police viendra nous déloger et nous enverra je ne sais trop où. Peut-être en maison de correction, peut-être dans des foyers. Il est hors de question que nous prenions ce risque. Mais il est également exclu que l'on passe une seule nuit de plus ici. Je pense qu'on va devoir aller ailleurs, dans une autre ville.

- Où va-t-on aller ? demanda Hilary.

- J'y ai pensé toute la nuit, mais je l'ignore. On prendra le métro, on verra bien où on atterrit. On avisera ensuite.

- Avec quel argent prendrons-nous le métro ? enchaîna Stephen. On a sauvé le peu d'argent qu'il nous restait hier, mais on en n'a même plus assez pour payer quatre misérables tickets.

- J'ai pensé à ça, Steph. On a encore nos instruments, on a juste à faire un peu de musique sur les quais. Les gens nous donneront de l'argent et on aura vite une somme convenable. Dès qu'on sera ruinés, on recommencera. Di, Kiera, vous pouvez jouer avec nous maintenant.

- J'ai une bien meilleure idée, déclara Di.

- Ah bon ? Laquelle ?

- Je pense qu'Alison accepterait de nous venir en aide.

- Ça ne me dit rien. Et si elle nous dénonçait ?

- On est pas obligé de lui dire tout ce qui s'est produit dans nos vies. On peut arriver à la convaincre sans parler, juste en faisant de la musique. Alison ne sait rien de moi, elle ignore également l'existence de Kiera. On ne peut pas passer nos vies dans des stations de métro, il faut trouver une réelle solution.

- Je n'ai pas trop confiance, Di.

- Fais-moi confiance, Ed !

Eddy poussa un soupir. Elle alluma une cigarette, la coinça entre ses lèvres et lança :

- Bien, ouvre donc la route.

Un large sourire illumina le visage de la brunette. Elle fit signe de la main aux autres de la suivre et les entraîna dans les rues de la ville. Kiera s'amusait à chantonner en les suivant. À la manière dont Hilary regardait la ville, on eût dit qu'elle la visitait pour la toute première fois. Eddy consumait sa cigarette tandis que Stephen faisait semblant d'être insupporté par sa fumée, juste pour le plaisir de la faire enrager. Bientôt, ils atteignirent la petite maison dont Die et Brume avait un jour cassé la porte, par maladresse. Di sonna. Elle entendit les pas se précipiter dans le hall et Alison ouvrit bientôt la porte avec un grand sourire. Alison jeta un bref regard par-dessus l'épaule de l'adolescente et esquissa un sourire songeur :

- Qui sont tous ces jeunes gens ? demanda-t-elle.

- C'est un groupe, répondit Di.

Puis, désignant ses amis :

- Eddy joue de la guitare électrique, Stephen joue de la guitare sèche, Hilary s'est confectionné une batterie avec de vieux bidons : tu verrais la musique qu'ils font ! Ils faut absolument que tu les écoutes, Alison ! Tu vas les adorer !

- Tu ne m'avais jamais parlé de tes amis, tu aurais dû me les présenter bien plus tôt. Entrez tous. Je pense que vos instruments ont passé la nuit dans mon garage. Allez vite les chercher et montrez-moi ce que vous valez !

Eddy fut surprise de cet accueil chaleureux. Elle n'était pas entrée dans une vraie maison depuis bien longtemps. Alison n'avait posé aucune question ; elle n'avait pas demandé d'où ils sortaient ni ce que leurs instruments faisaient dans son garage, comme si elle savait qu'ils ne voudraient pas répondre à ces questions. L'attitude de la jeune femme avait quelque chose de déconcertant, mais qui néanmoins rassurait la petite bande. Ils entrèrent tous sans hésiter et allèrent chercher tout leur matériel. Pendant ce temps, Alison faisait de la place dans son salon pour que ses hôtes trouvent suffisamment d'espace pour y jouer. Di débarqua la première, le carton de son synthétiseur sous le bras. Elle sortit l'objet et le monta à toute vitesse.

- Ils m'ont demandé de rejoindre leur groupe, expliqua la jeune fille à Alison, mais je ne connais pas leurs partitions. Je me souviens de l'air de quelques unes de leurs chansons, je pense pouvoir réussir à suivre sur le clavier.

- Tu pourrais les suivre sans partition ? Sans connaître les notes ?

- Je m'en souviens vaguement. Je connais assez bien les touches pour ne pas avoir besoin de papier. Je peux les suivre à l'oreille. Ce qu'ils font est grandiose, Alison. C'est le genre de musique qui t'ensorcelle. Les notes resteraient gravées dans ma tête et je pourrais les jouer sur n'importe quel instrument.

- N'en sois pas si sûre, Di. Tous les instruments ne seraient pas faciles pour toi. Mais tu as de l'ambition, et c'est une bonne chose l'ambition. Vu ton niveau, je pense que tu pourras les suivre dans problème sur ton synthétiseur. Les voilà qui arrivent.

Eddy vint brancher son ampli. Kiera aidait discrètement Hilary à porter ses bidons métalliques. Stephen, quant à lui, ne se pressait pas. L'air rêveur, il accordait tranquillement les cordes de sa guitare. Di s'assit devant son instrument. Eddy la dévisagea :

- Tu comptes nous accompagner ?

- Oui, ne t'inquiète pas. Je connais vos chansons et je connais mon clavier.

Eddy acquiesça, un brin admirative. Di savait qu'elle ne serait pas seule. Au cas où une note lui manquait, Brume serait là pour la jouer à sa place.

Voyant que le petit groupe était prêt, Alison s'assit sur le tabouret de son piano et lança :

- Allez-y !

Stephen entama les premières notes. Hilary le rejoignit quelques secondes plus tard, frappant minutieusement ses grosses caisses de métal. Eddy se lança. Sa voix était profonde et agréable, elle entrait dans la tête sans plus pouvoir en sortir. Di et Kiera, se lançant un bref regard, commencèrent leur improvisation. Cette étrange assemblage sonnait magnifiquement bien. Elle enchantait les oreilles d'Alison qui n'était plus capable de penser à autre chose qu'au son qui avait investi son salon. Stephen, le doux rêveur, faisait une musique douce et poétique. Hilary, au contraire, semblait être imprégnée de la rage du monde entier et la passer en battant ses instruments. Cependant, on voyait nettement la concentration dont elle faisait preuve : chaque note, chaque battement, était joué à un endroit et à un moment précis. Eddy avait fière allure. Alison l'aurait qualifiée de «brute fragile», elle avait pour sûr l'âme et le talent d'une rockeuse. Elle savait jouer avec sa voix, la rendre douce ou forcer dessus, mais chacun des sons qui sortaient de sa bouche était une sorte de feu d'artifice, une note lancée précisément quelque part et une explosion dans le cœur de celui qui l'entendait. Di, elle, suivait parfaitement leur musique. Les notes qui sortaient de son synthétiseur étaient justes et mesurées. Elle semblait jouer au hasard, et pourtant ne faisait nulle faute. Elle parvenait à faire sortir de son instrument un son étrange, qui s'accordait magnifiquement bien au rock de ses compagnons mais qui pourtant y créait un énorme contraste. Alison était totalement ensorcelée, comme la petite brune le lui avait dit. La jeune femme était stupéfaite. Aussi, quand le petit groupe eut achevé son morceau, elle se leva pour frapper vigoureusement dans ses mains. Elle n'avait même pas remarqué les touches du clavier ayant bougé sous les doigts invisibles de Brume.

- Vous êtes formidables ! s'écria-t-elle.

- Merci, dit timidement Eddy. Vous savez, on s'entraîne chaque jour, depuis des années. Parfois je me dis que peut-être un jour, nous irons à la conquête d'Hollywood. Ou peut-être pas, je crois que c'est mieux de rester sobre. Quand les gens prennent la grosse tête, leur musique perd de la valeur.

- Hollywood ou pas, ma chérie, vous gagneriez à être connus ! Quel est votre nom de scène ?

- Nous n'avons jamais fait de scène, avoua Hilary.

- C'est donc cela. Je m'étonnais de ne jamais avoir entendu parler de vous. Mais bon sang qu'est-ce que vous attendez ? Vous êtes jeunes et talentueux : le monde est à vous !

- Je dirais plutôt que le monde n'attend que de nous bouffer, railla Hilary.

- C'est à vous de montrer au monde ce que vous valez, jeunes gens ! Je vais vous avouer quelque chose, ensuite ça sera à vous d'aviser. Je m'appelle Alison Kurt et j'ai pour métier de dégoter des jeunes talents et de les faire entrer dans le monde de la musique. Mais ce n'est pas un monde très facile, en fait. Tu as raison ma petite, les gens dehors n'attendent que de vous bouffer et pour le peu qu'on soit doué les concurrents sont jaloux. Voilà pourquoi je suis rentrée chez moi, j'en avais assez de voir des gens avec un réel potentiel se faire écraser par la pression. Mais si vous voulez, je peux vous aider à vous faire connaître. Avec la musique que vous avez, vous allez vite évoluer. Si vous avez du succès, vous pourrez vivre convenablement, et si vous ne comptez pas prendre la grosse tête, il n'y aura pas de star commerciale pour vous marcher sur les pieds. Alors, vous voulez faire un réel concert ou jouer dans le métro ?

- Quelle question ! répondit Stephen. N'importe quel idiot préférerait jouer sur scène que dans le métro.

- La différence, mes enfants, c'est que vous êtes loin d'être des idiots. Pour avoir composé ce que vous jouez, il faut une grande imagination et un esprit fort ingénieux. Alors, vous êtes d'accord ?

- J'émets une condition, fit Eddy.

- Laquelle ?

- Nous resterons nous-mêmes, nous n'obéirons qu'à notre art. Je sais que si vous nous aidez vous allez toucher quelque chose. Je ne sais pas si c'est vraiment le fait de nous aider ou le fric qui vous intéresse, mais que ce soit l'un ou l'autre, vous ne devez pas nous dicter notre style, notre façon de jouer. Vous ne devez que nous aider à nous produire.

- L'argent ne m'intéresse pas, ma chérie. C'est la musique que j'aime. Si je voulais être riche, je serais restée en Amérique parmi ces dizaines de stars imbues de leur personne et je me serais très probablement acheté une villa à Los Angeles.

- C'est entendu. Où signe-t-on ?

- On ne signe rien. Je vous trouve des lieux où vous produire, on gagne de l'argent. Après on utilise cet argent pour vos instruments et pour se loger. Où habitez-vous ?

- Ça ne vous regarde pas, répondit sèchement Hilary.

- Je vois. Vous n'avez nulle part où aller, n'est-ce pas ?

- De quel droit faites-vous cette supposition ? s'indigna Eddy.

- Ose seulement me dire que je me trompe.

Aucun mot ne sortit de la bouche d'Eddy.

- Bien. Alors restez ici. Ce n'est pas bien grand mais si on dégote quelques matelas je pense que pour quelques nuits ça pourra suffire. Après, nous trouverons une autre solution.

Alison tendit la main à Eddy, celle-ci la saisit. L'affaire était conclue.

- Vous n'avez donc pas de nom de scène.

- Si, coupa Eddy. Je ne l'avais pas encore annoncé aux autres, voilà tout.

Stephen, Hilary, Di et Kiera se tournèrent vers elle, attendant la suite.

- Je crois que ça va vous plaire, enchaîna Eddy. J'ai pris cette décision la nuit dernière. Je pensais qu'on pourrait s'appeler Burned Factory. Qu'en pensez-vous ?

- Je trouve cette idée excellente, répondit Hilary.

- Ça me plaît, dit Steph.

- Bien trouvé, l'encouragea Di.

Eddy se tourna vers Alison, l'air satisfait :

- Bien, notre groupe se nomme donc Burned Factory.

- C'est un nom étrange.

- C'est notre passé.

- Quelque soit votre passé, votre futur sera grand, mes chéris. Votre nom est original, vous commencez plutôt bien pour vous démarquer. Un jour vous m'expliquerez d'où vous est venue cette drôle d'idée, mais seulement le jour où vous aurez envie de m'en parler. Maintenant, je veux en entendre plus. Je parie que vous avez encore quelques unes de vos inventions à me jouer. En scène, Burned Factory ! Aujourd'hui c'est mon salon, mais dans quelque mois ce seront dans les stades du monde entier que vous jouerez.

C'est lors des morceaux suivants qu'Alison remarqua les touches qui s'actionnaient seules sur le synthétiseur. Quel phénomène étrange ! Cependant, elle ne posa aucune question.

Le petit groupe joua toute la matinée. Ils mangèrent avec Alison et rejouèrent l'après-midi. Alison était une femme lunatique et il était difficile de toujours savoir où elle voulait en venir. Mais tous savaient qu'elle aimait vraiment ce qu'ils faisaient et qu'elle allait les aider. Di, particulièrement, comprenait l'importance de ce qui leur arrivait. Pour elle ce n'était pas la chance d'être riche ou célèbre, c'était la chance de peut-être faire revivre Kiera. Et c'est ce qu'elle souhaitait le plus au monde. Et à présent ils avaient un toit. Ils ne seraient plus obligés de voler ou de jouer dans des bars malfamés. Ils allaient enfin pouvoir vivre honnêtement, avec un adulte pour les soutenir et les motiver. Di se rendit subitement compte à quel point sa vie avait changé depuis qu'elle avait rencontré Kiera; le précipice s'était refermé, elle n'était plus la proie, elle n'avait plus peur des loups, et elle voulait vivre car la vie lui était délicieuse.

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