18. La famille d'Alison

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Alison avait dit que leur installation chez elle était provisoire, mais ils y étaient toujours deux mois plus tard. Stephen dormait dans la salle de bain, Hilary et Eddy dans le salon, Di dans la cuisine avec Kiera, mais Alison ignorait l'existence de cette dernière. S'ils vivaient toujours chez Alison, Burned Factory n'en était cependant plus au même point. La jeune femme les avait d'abord fait jouer dans des bars. Les patrons des enseignes avaient premièrement refusé de faire entrer ce groupe de jeunes, mais Alison avait fait semblant de ne pas entendre ces réponses négatives et avait forcé la porte. Elle avait fait entrer le petit groupe et leur avait demandé de jouer. Au début, les clients avaient été surpris et quelques peu réfractaires, mais vite ils s'étaient laissé séduire par l'étrange style musical de ces jeunes gens. Eddy et Stephen étaient des enfants très chaleureux, ils avaient le contact facile avec le public. Ils profitèrent de l'attention des clients pour les faire venir avec eux et leur montrer quelques bases de guitare. Les clients étaient rarement des prodiges, mais s'amusaient beaucoup. Les patrons des bars avaient alors demandé à Burned Factory de revenir. Par le bouche à oreille, le groupe avait commencé à faire parler de lui. Ils avaient pu se produire dans certains supermarchés, ou magasins de musique. Ils ne payaient pas car ils attiraient la clientèle, cette même clientèle était devenue plus généreuse de jour en jour et leur avait toujours laissé quelques pièces. Et pièce après pièce, tout s'était accéléré. Le public était de plus en plus important, quelques fans commençaient à se discerner, les applaudissements semblaient toujours plus forts et plus profonds. Ils n'avaient pas cessé de se produire dans le métro, dans la rue également. Alison avait obtenu des autorisations pour qu'ils se produisent lors d'une fête organisée par la ville. Un gérant d'une salle de Glasgow avait contacté Alison à plusieurs reprises pour demander à Burned Factory d'assurer les premières parties de divers spectacles. D'autres entreprises de Glasgow les avaient également contactés à cet effet. Burned Factory était devenu un petit phénomène et l'Écosse commençait à les connaître et à les aimer.

Les relations étaient parfois tendues chez Alison. Eddy et elle ne se comprenaient pas toujours parfaitement bien, mais au final elles étaient devenues bonnes amies. Cependant, tous étaient heureux. Alison avait sous la main une grappe de jeunes gens talentueux dont elle avait la chance d'être la – comme elle se disait – gardienne. Eddy, bien qu'elle ait refusé de prendre la grosse tête, voyait son groupe se faire connaître, se demandant jusqu'où ils iraient. Stephen avait manqué quelques répétitions dernièrement, mais le jeune homme était heureux qu'un public puisse reconnaître le talent de Burned Factory et le considérer autrement que comme le joueur de poker homosexuel, les gens ne criaient plus pour le huer mais pour l'acclamer. Hilary se fichait du public, de ce qu'ils pouvaient bien penser, tout ce qu'elle voulait c'était passer sa rage sur ses bidons et visiblement ça plaisait à la foule. Di et Kiera étaient heureuses ensemble, et Di espérait secrètement que la célébrité de Burned Factory allait permettre au monde de connaître Brume. Encore fallait-il convaincre cette dernière de donner un signe de vie au public. Cela, par contre, n'était pas une mince affaire.

Un jour, Alison s'absenta mystérieusement pour la matinée. Lorsqu'elle rentra, Hilary avait déjà dressé la table, alors que Stephen, Eddy et Di achevaient de faire la cuisine. Évidemment, leur plat ne semblait pas réellement comestible, mais Alison apprécia l'intention et fit bonne figure. Elle laissa les adolescents servir leurs confections culinaires, qui finalement ne s'avérèrent pas trop indigestes. Le repas terminé, Alison poussa une sorte de soupir de satisfaction et, regardant tour à tour les adolescents, s'exclama :

- Comme je suis fière de vous !

- Pour la cuisine ? s'étonna Eddy.

- Eh bien, oui; enfin ça pourrait être ça. En fait, c'est surtout pour votre immense talent.

- Ce n'est pas comme si nous étions de vraies stars, l'interrompit Hilary.

- Détrompez-vous. J'ai quelque chose à vous annoncer.

- Quoi donc ? Qu'est-ce que c'est, Ali ? s'enquit Eddy.

- Un stade. Vous avez un stade à la fin du mois. Et vous pourrez passer en direct sur la chaîne de Glasgow. À qui dit-on merci ?

Le cœur de Di fit un bond dans sa poitrine. Enfin, il y avait une infime chance que Kiera se fasse connaître du monde. Sans plus attendre, la jeune fille se jeta au cou d'Alison.

- Eh Di, je ne te savais pas si émotive ! la taquina la jeune femme.

- Alison, comment as-tu fait ça ? demanda Eddy.

- J'ai un grand pouvoir de persuasion, mon enfant. Et puis, que ne ferais-je pas pour les jeunes gens les plus talentueux que je connaisse !

Et tous entourèrent Alison comme pour l'enlacer; une scène plutôt mignonne, en fait. Les larmes aux yeux, la jeune femme déclara :

- Vous n'avez pas vraiment à me remercier, vous savez : c'est vous qui jouez. Je ne fais que vous aider à vous produire, vous le valez bien. Burned Factory est un groupe extra !

- Peut-être qu'on devrait te parler de notre nom, aujourd'hui, suggéra Eddy.

- Si vous le souhaitez, je serais ravie d'entendre votre histoire.

- Eh bien, nous nous appelons ainsi car, avant de venir te voir, nous vivions dans une usine désaffectée. Et, un jour, une bande de cons y a mis le feu. Nous étions là depuis si longtemps, c'était un endroit si symbolique pour nous. J'en ai pleuré toute la nuit, comme une petite fille. Je ne suis pas du genre à pleurer, pourtant. Ça nous a tous fait tellement mal au cœur. J'ai pensé que ce nom serait le meilleur que nous pourrions porter, en hommage à cette usine : l'endroit où tous nos chemins, aussi tumultueux soient-ils, se sont croisés.

- Vous avez du courage. Ça a dû être très dur pour vous tous.

- Ça l'était, oui, répondit Di, mais nous avions tous vécu bien plus dur auparavant, je pense. Nous ne sommes pas arrivés là sans raison, nos vies n'ont jamais été vraiment parfaites, je suppose. Nous étions obligés de nous réfugier quelque part, loin du passé.

- Tu as raison, Di. Qu'est-ce qui vous a conduit dans cette usine ? Quelles étaient vos vies ? Je ne sais rien de vous, en fait. On pourrait jouer à un jeu. Faisons un tour de table, et chacun racontera son histoire. Comme ça je vous connaîtrai tous mieux. Commence donc, Hilary.

- Je n'aime pas parler du passé, je n'aime pas ressasser tout ça...

Hilary regarda les autres. Personne ne disait rien. Elle soupira et se lança :

- Et bien, ma mère était quelqu'un de charmant. Elle m'aimait vraiment. Toute sa famille était décédée et mon père était un vrai salaud. Elle n'avait que moi finalement. En fait, mon père n'était pas qu'un salaud, c'était un pauvre dégénéré. Il s'énervait constamment sur moi, sur elle. Il se croyait au-dessus de tout. Mes parents s'engueulaient toujours; c'était insupportable. Il était violent, et ma mère ne disait rien, jamais. Un jour ça a pété. Ce sale con a... J'avais tout juste treize ans. J'étais dans ma chambre, un soir. Mes parents s'étaient encore violemment disputés. Ma mère était montée se coucher et j'ai entendu du bruit dans l'escalier. Je suis allée voir. Mon père était en train de vider un bidon d'essence dans l'escalier. Il y a mis le feu. Les flammes ont jailli de partout, juste devant la porte de la chambre de ma mère. J'ai hurlé, hurlé pour qu'elle se réveille, qu'elle fasse quelque chose. Mon père me regardait, souriait, comme un fou, de toutes ses dents. La porte de la chambre avait pris feu, les flammes s'avançaient même vers moi. Je reculais et j'ai entendu ma mère crier. Je me suis enfermée dans ma chambre, les flammes sont arrivées quelques minutes plus tard, la fumée surtout : je n'arrivais quasiment plus à respirer. Je perdais connaissance, et là un pompier est arrivé. Je n'ai distingué que sa silhouette. Il m'a emportée à l'extérieur de la maison. Mon père avait les menottes aux poignets. Ma mère... ils ont juste sorti un cadavre. Elle n'avait jamais mérité ça. C'était la seule personne qui m'aimait. Je ne lui pardonnerai jamais, à ce sale type ! On m'a emmenée à l'hôpital, puis je me suis retrouvée dans un commissariat de police. Ils ont cherché des membres de ma famille et n'ont trouvé que ma tante Beth. Je la connaissais un peu, et je la détestais. Elle vivait en Allemagne. Je ne voulais pas aller vivre avec cette mégère. Alors je me suis enfuie. Je ne voulais pas avoir affaire aux services sociaux. J'ai couru, j'ai marché... Et après deux jours sans manger, passant mes nuits dans des locaux à poubelles, j'ai rencontré Eddy, dans un bar. Et elle m'a proposé de la suivre, elle m'a offert de vivre avec elle et Stephen dans l'usine. J'ai accepté. Comme ils faisaient de la musique, je me suis débrouillée pour me fabriquer un instrument, moi aussi. C'était assez médiocre, au début. Mais je voulais tellement faire partie de leur groupe que j'ai redoublé d'efforts. La musique m'a aidée à oublier tout ce qui s'était produit : les flammes, les cris,... Et j'ai pu mettre toute ma haine, toute ma rage, à chaque coup que je donne sur ma batterie. Cette fichue usine m'a donné droit à une seconde vie, finalement.

- Ma pauvre, Hilary ! s'exclama Alison en la prenant dans ses bras. Nous t'aimons nous, et la rage que tu mets dans ton jeu est splendide ! Et toi donc, Stephen, que t'est-il arrivé ?

- Oh, j'étais le genre d'enfant parfait : parents aisés, résultats scolaires excellents, plein d'amis, plein de filles qui me regardaient. J'allais même à la messe le dimanche, avec un nœud papillon. Non, arrêtez de rire ! Je sais que c'est assez dur à imaginer. J'ai toujours été quelqu'un de calme et de rêveur. Mes parents appréciaient mon sérieux et ma retenue. Et puis il y a eu un garçon nommé Ted. Il est arrivé comme ça. J'ai éprouvé quelque chose de très bizarre, et je me suis rendu compte que j'étais gay. En fait, je n'avais jamais vraiment pensé aux homosexuels avant cela. Et ça ne m'a même pas paru indécent. Ted et moi avons été ensemble un certain temps. Un jour, j'ai décidé de faire mon coming out à mes parents. Ça a été le clash. Ils m'ont carrément insulté, mis à la porte. J'allais intégrer une faculté géniale, et tout d'un coup tous mes rêves d'études ont volés en éclats. J'ai pu prendre quelques bagages. Mes parents n'ont plus jamais voulu me revoir. Alors je suis parti. J'ai été chez Ted, pensant qu'il m'aiderait. Il m'a dit que notre relation était totalement anticonformiste et que c'était un pêché, il m'a dit de cesser de le tenter et m'a claqué la porte au nez. J'étais déboussolé. Je me suis retrouvé à la rue avec rien d'autre qu'un sac de vêtements et ma guitare. Alors j'ai erré dans les stations de métro, dormi avec les clochards. Et j'ai joué, mendié. Parfois j'allais miser mes économies dans un club, sur une table de poker. Souvent, je gagnais. Mais ce n'était jamais une bien grosse somme. J'ai rencontré Eddy dans un bar où je jouais de la guitare pour distraire les clients. Elle est venue me voir et m'a dit qu'elle écrivait des chansons. Elle m'a montré une vieille guitare électrique et m'a demandé de lui apprendre à jouer. Alors j'ai accepté. Comme j'aimais bien ces textes, je lui ai proposé de jouer avec elle. Nous étions tous les deux perdus dans la ville, et nous sommes tombés sur cette usine. On a trouvé l'endroit sympa pour répéter, donc on s'est installés là.

- Tes parents étaient stupides, s'écria Alison. Quand on a un jeune homme intelligent et en plus un artiste dans l'âme, on ne le jette pas dehors parce qu'il est gay. Ah les gens n'ont plus aucun sens des vraies valeurs de nos jours. Il faut laisser vivre l'amour à ceux qui ont la chance de le connaître, après tout ! Allez Eddy, c'est ton tour !

- Je n'ai pas de grande histoire. J'ai été abandonnée à la naissance. L'infirmière qui s'est occupée de moi à la maternité m'a donné le nom de son chien, qui venait de mourir. J'étais un peu vexée le jour où on m'a appris ça, mais si elle aimait son chien, je devrais prendre ça pour un compliment, finalement. J'ai fait plusieurs familles d'accueil, mais personne ne m'a jamais gardé bien longtemps. Jusqu'à mes six ans, je vivais chez une vieille dame, très gentille. Mais elle a eu de graves problèmes de santé, peut-être est-elle morte à ce jour d'ailleurs, et on lui a retiré ma garde. J'ai été placée chez un couple charmant. Seulement ils avaient déjà trois enfants : deux un peu plus âgés et un de quelques mois de moins que moi. Ces enfants étaient odieux avec moi. Ils étaient jaloux, ils ne comprenaient pas ce que je faisais là, ils pensaient que je leur volais leurs parents. Ils ne pouvaient pas avoir une once de compassion pour moi, ne pouvaient pas imaginer un seul instant que je n'aie pas de famille, comme tout le monde. Alors ils m'ont poussée à bout. J'ai fini par me révolter et les parents ont demandé à ce que je parte. Ils ont dit aux services sociaux que j'étais violente. J'ai été en foyer quelques années, je voyais régulièrement une psychologue. Les gens pensaient que j'étais une folle furieuse, que j'avais de gros troubles. Ils ne comprenaient pas, eux non plus, pourquoi j'avais été violente. Et c'est devenu ma politique : la haine, la colère. J'étais incomprise et si on ne pouvait pas me soutenir, je voulais qu'on me foute la paix. Je voulais être seule. Ils m'ont finalement envoyée dans une autre famille. Des gens friqués et hautains, avec des enfants modèles. Je ne supportais plus ce genre de vie. Ils me demandaient constamment des comptes, s'énervaient contre moi. Ils ne pouvaient pas admettre que je ne serais jamais la fille qu'ils souhaitaient, car j'avais vécu dans un tout autre milieu, j'avais eu une toute autre éducation. Ils n'arrivaient à rien avec moi. On n'avait aucune complicité et aucun dialogue n'était possible. Ils s'acharnaient à vouloir faire de moi une enfant sage et obéissante, alors que j'avais une soif de liberté grandissante. Un jour j'en ai eu assez; assez d'être prise pour une folle furieuse, une indomptable – Bon sang je ne suis pas un animal de cirque ! – une furie, une mal élevée, une moins que rien. Alors j'ai fait mon sac, et je suis partie. J'avais une vieille guitare et quelques pièces. Comme je ne savais pas où aller j'ai pris le métro et j'ai écumé les bars de cette ville, jusqu'à rencontrer Stephen. Ensuite il y a eu Hilary, Josh, Di, Kie...

Elle se stoppa. Alison ne pourrait jamais les croire au sujet de Kiera. Alison questionna :

- Qui est Josh ?

- Le traitre qui a failli tous nous tuer ; c'est lui qui a mis le feu à l'usine.

- Bien, c'est au tour de Di !

- Je viens de Londres, répondis Di, mes parents n'ont jamais su que j'existais, sauf lorsqu'ils désiraient me crier dessus bien sûr. On a déménagé en Écosse un jour. J'avais l'habitude d'être haïe partout où j'allais. Dans toutes les écoles où j'ai été, tout le monde me faisait toujours du mal. Mon père est mort après. Il a eu un accident en essayant de me battre. Et puis je me suis enfuie, je suis arrivée ici et j'ai rencontré Eddy.

- C'est un peu confus comme récit, Di.

- Oui, je n'aime pas raconter ma vie.

- Peut-être un jour prochain, alors.

- Oui, peut-être.

- J'en sais beaucoup plus sur vous tous maintenant. Vous avez tous eu de durs parcours, à ce que je vois. Je suis heureuse que vous m'en ayez parlé.

- Alison, demanda Eddy, pourquoi ne nous as-tu pas jetés dehors le jour où nous sommes venus chez toi ? Pourquoi ne pas nous avoir confié aux services sociaux ? Tu savais que nous errions dans la ville, comme des délinquants. Pourquoi tu as été aussi gentille avec nous ?

- Je ne suis pas insensible ; moi aussi j'ai été jeune, il y a un certain temps.

Eddy et Stephen esquissèrent un petit rire.

- C'est à toi, Ali, fit remarquer Di.

- Comment ça ?

- Tu as dit que nous faisions un tour de table. C'est à toi de nous raconter ton histoire maintenant.

- Eh bien, si vous voulez. Alison n'a pas toujours été une femme influente, voyez-vous. Je sais, ça vous étonne ! Ma mère était une fille assez quelconque qui rêvait de gloire : elle voulait être une grande chanteuse. Comme personne ne voulait d'elle, elle s'est entichée d'un producteur alcoolique qu'elle a épousé, faute de talent et d'argent. Elle n'avait rien trouvé de mieux pour l'amadouer. C'était une belle femme, le producteur a accepté. C'était mon père. Une espèce de cinglé qui avait très peu de choses à voir avec le monde de la musique, en fait. Mais ça, ma mère l'a découvert un peu trop tard. En fait, il s'occupait de stripteaseuses. Ma mère a pu chanter sur sa scène, mais nue seulement. Alors vous pensez bien que personne n'a jamais écouté sa voix, ils avaient tous autre chose en tête. J'ai été élevée par une mère désespérée et débauchée, un père alcoolique et obsédé par ses affaires ignobles, et aussi par quelques gros porcs qui fréquentaient son bar à putes. Ce n'est pas très reluisant. Je critique mon enfance, mais je n'en étais pas si mécontente. J'avais l'habitude des spectacles pour la plupart grossiers, mais je ne savais pas que ça l'était. Mon père m'aimait, j'étais sa petite princesse et il aurait fait n'importe quoi pour me faire plaisir. Les habitués du bar m'aimaient bien aussi, ils me trouvaient drôle et étaient tous gentils avec moi. Ils m'offraient des friandises, de l'argent, même des cigarettes, me laissaient m'assoir à leur table et boire dans leurs verres. Ma mère n'aimait pas trop tout ça, mais à l'époque je ne comprenais pas pourquoi. Je m'amusais bien, moi. J'aimais bien la voir chanter, aussi. Je la trouvais jolie, j'étais fière d'elle. Je devais bien être la seule. Ma mère m'a donné un goût pour la musique, et elle était mon modèle. Toute mon enfance, j'ai quand même eu quelques doutes sur ma famille. Pourquoi ne pouvais-je jamais inviter mes amis à la maison, par exemple ; car nous habitions au-dessus du bar malfamé. Et puis, un jour, une de mes amies m'a expliqué ce qu'était une prostituée, ou d'autres choses du genre. C'est à ce moment-là seulement que j'ai pris conscience de ce que faisaient mes parents. Et je leur en ai voulu, j'ai eu terriblement honte d'eux. Je ne voulais plus de ma famille, je ne voulais pas être la fille de gens aussi minables. J'ai demandé à mon père de m'envoyer en pensionnat, loin d'eux. Ma mère m'a envoyé plusieurs lettres, mais je n'y ai jamais répondu, alors elle a arrêté. Mon père m'en a envoyé une, un jour, mais elle n'a pas eu plus de succès. Je ne suis revenue que trois ans plus tard ; et ma mère était morte. Je ne pouvais reprocher à personne de ne pas me l'avoir dit ; j'avais cherché moi-même à rester loin d'elle le plus possible. Lorsque j'ai appris sa mort, j'ai réalisé à quel point j'avais été idiote, parce que je l'aimais et je lui en avais voulu de ne pas être une chanteuse, de n'être qu'une pauvre gogo danseuse, vulgaire et sans aucun avenir. Je n'avais pas pensé qu'elle n'avait pas choisi sa vie. Alors, je me suis débrouillée pour intégrer le monde de la musique. Comme ma mère, je n'avais aucun talent et pas d'argent. J'ai renoncé à être chanteuse, je n'étais pas non plus grande musicienne. Je pianotais, mais ça n'était pas vraiment crédible. Mais j'avais une plutôt bonne oreille musicale. Donc j'ai résolu de devenir agent de stars. J'ai cherché partout des gens qui avaient du talent. J'ai donné corps et âme pour les traîner vers la gloire. Et tant bien que mal, je me suis fait une place. Mes recrues ne sont jamais restées très longtemps en course, dans le dur milieu de la musique. Je vous ai déjà expliqué. Mais quelques unes ont fait leur bout de chemin, et ont gagné beaucoup. Eux comme moi, nous avons gagné beaucoup, et pas qu'en argent. J'ai perdu tout contact avec mon père, avec ma vie passée. Et ma famille maintenant... Eh bien c'est un peu vous ma famille, en fait.

Tous se regardèrent, sans plus dire un mot.

- Beau parcours, Alison, la félicita Di. Je crois que tu as raison, pour cette famille, mais permettez-moi de vous dire qu'elle est très étrange !

- Effectivement, mais c'est probablement mieux comme ça, répondit Alison. Une famille d'amis déjantés avec des rêves pleins les yeux et un passé très compliqué.

- Cette fois, essaye de ne pas perdre le contact.

Alison leva son verre :

- À votre stade, mes enfants, et à cette adorable petite famille de musiciens !

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