Mira et Tsiqali
de Amelia Everbrook
Pleine lune, le bateau se balançait sous les étoiles. Mira était là, assise dans la petite barque, enveloppée de ses bras protecteurs. Cet instant, elle en avait rêvé, elle l’avait espéré durant de longs mois. Elle n’avait pas osé y penser trop, et elle avait attendu, sagement.
Et enfin, elle était là, avec lui, enfin dans ses bras, mais elle pleurait. Elle pleurait, et essayait de s’en empêcher ; mais c’était plus fort qu’elle : les larmes venaient seules, sans être invitées. Mira savait que c’était la première et la dernière fois qu’ils pourraient rester aussi longtemps ensemble. Les larmes venaient et roulaient sur ses joues car elle savait que c’était la dernière fois qu’elle le voyait.
Tout avait commencé il y a quelques mois. Mira avait alors seize ans et elle souffrait. Sa mère était morte, son père, disparu. Elle vivait avec sa tante qui ne lui prêtait aucune attention car elle avait déjà cinq enfants. Au lycée, l’ambiance n’était pas folle non plus : Mira n’avait pas d’amis, elle était seule et passait son temps à flotter sur un petit nuage de solitude.
Pour oublier tout ça, elle flânait sur la côte, accompagnée de son fidèle MP3 qui diffusait des chansons tristes. Mira descendait le petit escalier naturel en 3inégales et arrivait sur la plage de galets. Elle s’asseyait, ses cheveux blonds caressés par le vent, et elle regardait à l’horizon. Les légers remous de la mer calme s’accordaient avec sa respiration, et elle se sentait en symbiose avec l’eau calme et rassurante. Après cela, elle rentrait, morose. Mais, dernièrement, elle avait été intriguée par une forme noire indéfinissable dans l’eau. Si près de la côte, il n’y avait pas d’aussi gros poissons, alors qu’était-ce ?
Quelques jours plus tard, elle avait remarqué, quelques mètres plus loin, une petite barque de bois. Son instinct l’avait guidée jusqu’à l’embarcation et elle s’était assise dedans, puis avait ramé.
Assise dans la barque, au milieu de l’eau, ses longs cheveux blonds et sa robe blanche balayés dans le vent, elle vit apparaitre une jeune homme à la peau légèrement teintée de bleu sortant de l’eau. Bizarrement, elle ne fut pas surprise et considéra cela avec un calme surprenant. Elle tendit alors la main vers lui, et il l’a saisie. Sa main était chaude et étrangement, sèche.
Mira eut alors une sorte d’étourdissement et elle ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, quelques secondes plus tard, elle était toujours dans la barque, mais là où elle l’avait trouvée, comme si elle n’avait pas bougé.
Mira retourna sur la plage plusieurs jours de suite, mais il n’y avait aucune trace du mystérieux jeune homme ou de la barque.
Un jour, après une très dure journée où Mira avait pleuré, elle trouva à nouveau la barque. Voyant cette évidente sortie qui lui proposait une courte échappatoire à sa journée, elle monta et rama. Elle attendit, au milieu de l’étendue d’eau, et vit à nouveau apparaître le jeune homme bleu. Elle tendit sa main, et il lui la pris. Elle se rapprocha de son visage et l’étudia avec une attention toute particulière. Il était très beau et ressemblait à un garçon normal, à part sa peau bleutée qui semblait irradier. Mira murmura :
- Je m’appelle Mira, et toi ?
- Tsiqali… murmura-t-il à son tour, d’une voix rauque.
Mira lui posa d’autres questions, mais ne réussit à lui soutirer aucune réponse. Quand elle s’épuisa, elle s’allongea dans la barque, tenant toujours la main de Tsiqali. Il la redressa et lui caressa la joue de sa main libre, puis le même évènement se produisit : léger étourdissement et Mira rouvrit les yeux, assise dans la barque à son point de départ.
Les jours passèrent, et Mira ne pensa plus à Tsiqali. Mais, au bout de deux semaines, elle fit un rêve où Tsiqali l’appelait. Le lendemain, elle se précipita sur la berge et grimpa dans la barque. Arrivée au milieu de l’eau, elle ne vit rien, ni personne. Elle attendit et failli rebrousser chemin mais une idée lui traversa l’esprit. Elle murmura, si doucement qu’elle-même ne s’entendit pas, le prénom de l’étrange jeune homme qui lui était déjà apparu deux fois. Et comme si il n’avait attendu que son appel, Tsiqali jaillit de l’eau, toujours avec cette expression calme, à l’image de la mer dont les remous se synchronisaient avec Mira.
Ils s’observèrent en silence pendant ce qui sembla être à Mira une éternité, puis Tsiqali brisa ce silence. Il murmura :
- Mira… Tu as répondu à mon appel, j’ai répondu au tien.
- Qui ou qu’es-tu ? bredouilla doucement Mira.
Tsiqali sourit et posa un doigt sur les lèvres de Mira. Elle se dégagea doucement et fit mine de bouder, lui tournant le dos.
Tsiqali posa une main chaude et douce sur son épaule et Mira se retourna.
Il posa la main sur son cœur, puis sur la joue de la jeune fille.
Elle lui demanda, rougissante :
- C’est ta manière de te déclarer ?
Comme seule réponse, il sourit et replaça une mèche des cheveux de la jeune fille, puis, comme la dernière fois, Mira se retrouva sur la berge. Les semaines suivantes, Mira était toute entièrement tournée vers les souvenirs de ces moments passés avec Tsiqali. Dès qu’elle y pensait, elle rougissait et son cœur battait plus vite. Cet état devint quasi permanent car elle ne pensa plus qu’à lui, et sa tante la cru malade.
Le médecin rassura la femme qui se désintéressa à nouveau de sa nièce et Mira retrouva peu à peu son quotidien lassant.
Un soir, Mira n’en pu plus. Elle avait subi les moqueries de ses camarades, l’indifférence de sa tante et elle était écrasée par sa tristesse.
Elle courut sur la côte et monta sur la falaise. Le vent soufflait avec une force impressionnante, et ses cheveux fouettaient son visage. Mira sentit des larmes rouler sur ses joues, sans ressentir de tristesse. Elle se vidait du poids omniprésent de sa vie. Une fois qu’elle fut tout à fais sereine, elle franchit le pas. Elle avança et… se laissa tomber de la falaise.
Elle vécut l’instant au ralenti, sa main toujours tendu vers la falaise retomba vers elle et elle ferma les yeux. Elle attendit l’impact inévitable avec l’eau tiède. Elle sentit les vagues la submerger doucement et ses poumons se vider. Elle était certaine d’avoir enfin trouvé la quiétude et la paix, quand elle se sentit soulevée par une force impressionnante qui jaillissait de l’eau.
Elle rouvrit les yeux d’un coup, surprise. Par instinct, elle respira une énorme bouffée d’air. Elle releva la tête et vit le visage désormais familier de Tsiqali. Il affichait une mine morne, mais quand son regard croisa le sien ses yeux redevinrent vifs.
Complètement choquée et étourdie, Mira s’évanouit.
Quand elle reprit conscience, elle garda les yeux fermés. Elle sentait une main posée sur son front, prenant sa température. Elle crut qu’elle était revenue chez sa tante et qu’on l’avait trouvée évanouie sur la plage, mais la sensation d’humidité lui indiqua qu’elle se trompait. Elle releva doucement les paupières et sans surprise découvrit le visage du beau jeune homme à la peau bleue.
Ils se regardèrent dans les yeux et Tsiqali lui sourit. Son magnifique visage était mis en valeur par la lumière douce et diminuante du coucher de soleil. Elle observa le jeune homme attentivement. Il portait une chemise blanche, la même que les autres fois, toujours immaculée et trempée, ainsi qu’un pantalon large et noir. Il était pieds nus.
Elle se releva difficilement et s’assit dans la barque. Il lui sourit, mais d’un sourire un peu triste et, surtout, inquiet. Il murmura, de sa voix chaude et rassurante :
- Je me suis vraiment inquiété… Ça va ?
- Tu m’as sauvée… Comment ? bredouilla Mira
- Je ne suis pas... comme toi.
- Je l’avais bien compris, ça… Je n’ai pas la beau bleue, moi. Rigola Mira.
Ils se turent et se regardèrent en silence. Puis, Tsiqali reprit :
- Pourquoi ?
- Je suis tellement malheureuse en ce moment… Et il n’y a personne pour me soutenir. Se confia Mira.
Tsiqali ne répondit rien et regarda la jeune fille en silence. Il dégagea d’une main l’une de ses cheveux et observa son visage. Finalement, il l’entoura de ses bras et posa sa tête sur son épaule. Mira un peu surprise, lui rendit son étreinte. Cet instant dura quelques minutes mais sembla trop court à Mira.
Tsiqali reprit à nouveau, soucieux :
- Moi je suis là. Ne le refais pas… s’il te plaît.
- Pourquoi ? demanda tristement Mira. La vie est si morne en ce moment. A part, bien sûr, quand je suis avec toi.
Tsiqali fit mine de réfléchir quelques instants, puis rapprocha son visage de celui de la jeune fille. Il déposa ses lèvres sur les siennes. Mira sentit ses joues s’enflammer et ferma les yeux pour savourer l’instant, mais lorsqu’elle les rouvrit, ce qu’elle redoutait s’était produit : elle était à nouveau assise seule dans la barque, amarrée sur la berge. Sa robe était étrangement sèche et elle se releva vivement, se dépêchant de retourner à la maison, où sa tante, inquiète, l’avait attendue. Cela fit plaisir à Mira, qui s’endormit heureuse. Elle rêva de Tsiqali, revoyant cet instant où il avait posé ses lèvres sur les siennes.
Elle en était persuadée maintenant ; il l’aimait, et ses sentiments étaient réciproques.
Il se passa quelques jours avant que Mira ne retourne sur la côte. Elle trouva la barque, signe évident que Tsiqali l’attendait. Elle rama et se retrouva au même endroit que la dernière fois. Tsiqali apparut : ils s’embrassèrent. Il grimpa dans la barque, lui tenant la main. Ils passèrent un très long et bon moment ensemble, puis Mira, comme à son habitude, se retrouva sur la plage, dans la barque. Elle rentra chez elle et trouva sa tante dans la cuisine. Celle-ci commença à lui faire des remontrances à propos de ses absences de plus en plus tardives ces derniers jours.
Mira se tut et supporta le sermon de sa tante. Elle se coucha le cœur gros, sa journée avait été complètement gâchée par cette altercation, qui avait balayé le bon moment passé avec Tsiqali.
Mira ne retourna pas voir Tsiqali pendant un gros mois, mais elle reçut, comme la dernière fois, un appel dans ses rêves. Elle décida de sécher la dernière heure de cours, prétextant un mal de tête, et rejoignit le jeune homme qu’elle était désormais sûre d’aimer au milieu de l’eau. Il ne parla pas, mais lui fit comprendre qu’elle lui avait manqué.
Elle s’excusa à voix haute et lui expliqua la situation. A nouveau, il grimpa dans la barque pour la consoler et la prendre dans ses bras, et lui chuchota :
- Tu sais, je ne serais pas là éternellement…
A ces mots, Mira sursauta :
- Comment ça ?
Tsiqali ne répondit rien et déposa un baiser sur son crâne. Mira sentit l’étourdissement arriver et se retrouva, sans surprise, sur la plage.
Elle rentra chez elle, pleine de questions et d’interrogations sur les mots de Tsiqali et pénétrai dans la cuisine plongée dans ses pensées, ne remarquant pas sa tante, assise dans la cuisine, les bras croisés. Mira se tut en l’apercevant et la regarda droit dans les yeux. Presque aussitôt, sa tante se mit à brailler dans la cuisine.
- Encore ! Je ne sais pas où tu traînes ces temps-ci, mais je suis d’autant plus en colère que maintenant tu sèches les cours ! Ce n’est pas comme ça que JE t’ai élevée ! cria sa tante, soulignant le « je ».
- Tu ? TU m’as élevée ? C’était à peine si j’existais, pour toi ! répondit Mira, emportée. Je faisais parti du décor, pour toi !! Tu ne savais même pas qui étais ma maîtresse où comment je rentrais de l’école ! Et ne parlons même pas du collège ! J’aurais préféré rester avec mon père, même si c’était…
- Un ingrat, un… la coupa sa tante avant de s’interrompre. Comme toi ! Tu files un bien mauvais coton ma grande ! Et estimes toi heureuse que je ne t’ai pas laissée à l’orphelinat du coin ! Tu crois que j’en ai pas assez, d’avoir six gosses sur les bras ?
Mira blessée, ne répondit rien. Elle pesa ses mots, hésita à répondre, puis finalement, déversa toute la colère qu’elle avait enfouie au fond d’elle depuis ses cinq ans, âge où sa mère l’avait quittée. Une fois qu’elle eut fini, elle remit son manteau et sortit dans le jardin, claquant la porte. Elle se mit à courir, les larmes aux yeux, ne sachant où aller. Ses idées se brouillaient, mais son esprit s’éclairci petit à petit et elle se rendit compte qu’elle était sur la plage. Elle monta dans la barque, qui était à nouveau là, et rejoignit le lieu où elle retrouvait Tsiqali habituellement. Il apparut et, immédiatement, elle se mit à tout lui raconter, pleurant à chaudes larmes. Il grimpa dans la barque et tenta de la calmer du mieux qu’il put. Il passa un très long moment à la raisonner, à défendre sa tante sans lui donner raison. Finalement, au bout d’une heure ou deux, la colère s’était totalement évaporée de l’esprit de Mira, qui se dépêcha de retourner chez elle, où elle trouva sa tante qui pleurait dans le canapé. Elle aussi regrettait ses paroles, et chacune tomba dans les bras de l’autre.
A partir de ce jour, Mira décida de suivre certains conseils que lui avait donné Tsiqali et tout alla bien mieux dans sa vie ; elle réussit même à se faire une amie. A la fin de l’année scolaire, elle retourna voir Tsiqali, qui fut ravi de constater que Mira allait bien mieux. Il décida que c’était le bon moment de lui faire une révélation :
- Tu sais, si tu as pu me rencontrer, c’est parce que la mer voulait que tu ailles mieux… Elle a envoyé l’un de ses enfants pour t’aider. Ce n’était pas du tout prévu que je tombe amoureux de toi, par contre… Il se mit à rire, puis redevint sérieux. E maintenant… la mer pense que j’ai accompli ma mission.
- Tu… Tu vas me laisser ? bredouilla Mira.
- Tu sais, je ne peux pas être éternellement avec toi… Nous n’appartenons pas au même monde et j’ai terminé ma mission au près de toi… annonça t’il tristement en baissant les yeux.
- Tu ne m’aimes donc plus ? Tout ça c’était… c’était du pipeau pour ta « mission » ? s’énerva-t-elle.
- Non, bien sûr que non ! cria presque Tsiqali. Je t’aime, je te le jure ! Il s’interrompit, refoulant un sanglot. Mais je ne peux pas continuer ! Cette histoire se finirait mal… Et puis ma… mère… m’a bien signifié que c’était tout simplement impossible : j’ai fini ma mission donc je ne pourrais plus apparaître à tes yeux.
- Mais… Mira ne put en dire plus et éclata en sanglots. Elle manqua de tomber à l’eau et Tsiqali la rattrapa.
- Si tu veux… On peut se voir une dernière fois. Proposa-t-il tristement.
- D’accord… bredouilla Mira.
Elle finit son année le cœur un peu lourd, puis le soir venu, rejoignit Tsiqali. Il l’attendait dans la barque, qu’il avait couverte de roses blanches. Elle monta dans l’embarcation et l’embrassa. Il se mit à ramer puis s’arrêta quand ils furent là où ils s’étaient retrouvés de nombreuses fois. Ils s’enlacèrent, muets par l’émotion.
Pleine lune, le bateau se balançait sous les étoiles…
Epilogue : Mira ne revit plus jamais Tsiqali et se construit peu à peu une vie sans lui, l’oubliant peu à peu au fil des années, mais gardant toujours dans un coin de sa tête l’année mémorable de ses seize ans. Et toujours, quand elle se baignait à la mer et qu’elle sentait les vagues tièdes lui lécher les pieds, elle pensait à lui…
Table des matières
Commentaires & Discussions
Mira et Tsiqali | Chapitre | 3 messages | 5 mois |
Des milliers d'œuvres vous attendent.
Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.
En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.
Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion