Ses premiers pas, sa renaissance - Partie 3
Quelques longues minutes plus tard, Jessy toussota un coup pour réveiller Rina qui s’endormait sur place.
— Mademoiselle, nous sommes arrivés.
La jeune fille se frotta légèrement les yeux sans se soucier des manières qui devraient lui être imposées en la présence d’Angelica.
— Vous pourrez bientôt vous reposer de votre long voyage.
Tout en acquiesçant ses dires Rina saisissait la main que Jessy lui tendait pour l’aider à descendre, une fois à terre elle leva les yeux pour admirer la vue qui se développait devant elle.
Le logis de son grand-père était une imposante stature emplie de nature.
— Mère ne m’avait pas menti, c’est d’une pure beauté.
Angelica semblait tout aussi ravie. Les arbres se multipliaient sur tout le domaine, le long du chemin qui menait du début au centre de la propriété. La flore décorait avec onctuosité l’ensemble du paysage pour donner un air simple à l’immense demeure rectangulaire du début du siècle. Avec ses balcons et son teint blanc, le tout donnait un air de solennité.
— Quand je pense que nous ne sommes même pas encore au printemps.
— Moi qui pensais à une maison modeste. Comment fait-il cela ? Je ne le connais pas en toute sincérité donc je ne connais pas l’étendue de ses pouvoirs, seulement qu’il aime la botanique.
— Votre parent est un très grand sorcier et peut de ce fait manipuler la nature à sa guise. Nous, nous voyons cela parce que le champ magnétique qui entoure le domaine a senti notre appartenance magique, mais si de simples Jiklo passaient la limite, ils ne verraient qu’une nature verdoyante autant en étant loin qu’en s’approchant de la bâtisse. Vous ne l’avez pas remarqué à cause de votre sommeil, mais de loin ce n’était rien de tout cela.
— Sérieusement ?
— Vous en ferez l’expérience rapidement, j’en suis certaine. Avez-vous entendu parler de la grande école de magie au nord d’Edim ?
— Je crois que oui, mes parents voulaient y emmener mes frères et moi-même quand nous étions plus jeunes, mais à l’époque les tensions étaient palpables entre nos deux pays.
— Et bah eux aussi ont le même phénomène avec le château, si ce ne sont pas des Sokl qui passent la barrière ils ne verront qu’une montagne abrupte. Mais les deux barrières ne font pas la différence avec les Ziny, mais au moins ça empêche à ceux qui n’ont pas de propriétés magiques de venir abimer les lieux.
La jeune fille semblait ébahie devant l’environnement factice qui se présentait à elle sans voir que Jessy trépignait près d’elles.
— Mesdemoiselles ?
— Jessy ?
Sur le même ton solennel, Angelica répondit à son ami qui ne paraissait pas être au temps de plaisanterie.
— Nous devons nous dépêcher Angel, sa Majesté l’Empereur m’a demandé de revenir rapidement pour vous accompagner à une inauguration avec vos parents.
— Ah oui c’est vrai, la nouvelle bibliothèque c’est cela ?
— Exactement.
Rina qui avait entendu ça c’était rattrapé in extrémis pour ne pas s’immiscer dans leur conversation, elle qui adorait se réfugier dans les bibliothèques adorait cette perspective.
— Hâtons-nous alors.
Angelica fit signe à Jessy d’aller les annoncer, elle ne voulait pas qu’il la réprimande une nouvelle fois en le faisant elle-même. Rina restait derrière sa compagne avec une boule grandissante dans le ventre. Les questions tournaient dans son esprit, et s’ils ne l’appréciaient pas ? Et s’ils ne voulaient pas la voir ? Tandis que ses pensées fusaient dans sa cervelle à vitesse grand V, la porte s'ouvrait sur une domestique assez âgée aux cheveux blancs.
— Bonjour, qui dois-je indiquer ?
— Bonjour madame, pouvez-vous informer Monsieur Tryni de l’arrivée de la demoiselle Angelica de Gorguet, fille du Duc de Gorguet ainsi que de mademoiselle Grintofk je vous prie ?
— Tout de suite, veuillez patienter un instant, je vous prie.
La vieille dame les fit entrer et patienter dans l’entrée très joliment décorée avec toujours plus de fleurs et de preuves que la nature dominait le domaine.
Rina vit qu’Angelica lançait des coups d’œil nerveux vers une horloge qui trônait là.
— Vous pouvez y aller mademoiselle, je peux survivre seule.
— Je dois partir dans dix minutes maximum, je veux tout de même saluer votre parent, partir comme une voleuse me révolte.
— Je comprends.
— Rina ? C’est bien toi ?
La concernée leva les yeux vers un grand escalier de marbre non loin d’elle, au sommet se trouvait une ravissante jeune femme qui lui faisait face. Elle n’avait pas beaucoup grandi mais ses longs cheveux blonds avaient encore poussé davantage, elle était tout bonnement adorable. Elle pouvait presque distinguer ses yeux verts perçant du bas de l’escalier.
— Par les Dieux, Lyria !
Les larmes perlaient sous les paupières de Rina quand elle vit son amie descendre à la hâte pour l’enlacer avec ferveur.
— Que tu m’as manqué Rin’, tu ne peux savoir à quel point.
— Et toi alors !
Malgré les flots qui déroulaient le long des joues de l'arrivante, elle avait un sourire éclatant sur le visage, elle était si heureuse de la revoir que plus rien ne semblait exister autour d’elles.
Elles ne se séparèrent que quelques secondes plus tard en séchant leurs larmes mais en percutant qu’elles n’étaient pas seules, elles s’écartèrent pour de bon et Lyria s’inclina face à Angelica.
— Pardonnez-moi, mademoiselle de Gorguet, dans l’émotion du moment, je ne vous ai pas salué.
— Je vous en prie, ce n’est rien, je comprends votre engouement ma chère.
— Bonjour, pardonnez-moi d’importuner vos émouvantes retrouvailles, mais qui êtes-vous ?
Toutes les personnes levèrent les yeux vers l’endroit où se tenait Lyria un peu plus tôt. Un homme d’une soixantaine d'années aux cheveux grisonnants s’y tenait avec prestance. Il était vêtu du même genre d’habit que Kizune et paraissait être sympathique sous son air sévère.
Rina s’inclina légèrement devant lui en choisissant le vouvoiement. Normalement dans les familles bourgeoise et même aristocrates les membres se vouvoient entre eux mais ce n’était pas le cas dans la famille Grintofk contrairement à celle d’Angelica. La fille du Duc ne tutoyait que Jessy.
— Pardonnez-nous si nous vous avons dérangé, je suis Rina, l’enfant de votre fille, Jeanne.
— Rina Grands Dieux ! Je ne parvenais pas à croire notre intendante quand elle vous a annoncé, ne m’attendais pas à vous voir si vite, on m’a transmis vos bagages mais je vous attendais demain au plus tôt. Avez-vous fait un bon voyage ?
— Il m'a été très agréable et particulièrement rapide.
— Je suis enchanté de l’apprendre, puis-je me permettre de vous demander le nom de votre amie ? J’aimerais être certain de ne pas me tromper.
Le regard de Minas Tryni se fit bien plus doux et il s’orienta vers la concernée tout en s’inclinant pour montrer son respect, il se doutait qu’elle ne faisait pas partie du commun des mortelles.
— Je suis Angelica de Gorguet monsieur Tryni.
— Je suis ravie de vous rencontrer ma chère, votre père est un bon ami, pourriez-vous lui transmettre mes salutations ?
— Avec grand plaisir. Pardonnez-nous, monsieur, mais nous devons vous fausser compagnie, une obligation que je dois accomplir en compagnie de mes parents.
— Je vous en prie, revenez quand cela vous fait envie avec eux.
— Je transmettrai le message, au revoir.
Angelica adressa un clin d’œil discret à Rina. Le pesant respect ne se termina que quand les deux compagnons partirent et qu’on invita les deux jeunes femmes dans un salon adjacent. L’homme partit en direction d’un petit bar tandis que les jeunes femmes s’installaient sur un divan qui trônait au milieu de la pièce et ce n’est qu’après s’être servi un fond de scotch, qu’il se tourna vers son invitée.
— Alors Rina comment allez-vous ?
— Très bien, je vous remercie.
Elle devait avouer que le vouvoiement la déstabilisait, ils n’avaient pas l’habitude de l’utiliser au manoir. Du coin de l'œil, Rina voyait bien que son amie trépignait d’impatience à ses côtés, qu’elle mourrait d’envie de lui poser mille et une questions.
— Je suis ravie de l’apprendre, j’ai comme la nette impression que vous avez besoin de discuter toutes les deux. Lyria semble particulièrement enjouée depuis quelques jours. Je vais vous laisser, j’ai à faire, nous nous retrouverons pour le dîner.
Le vieil homme s’avança vers la porte et s’arrêta en ayant la main sur la poignée dorée.
— Lyria, ma chère, pourriez-vous montrer ses appartements à Rina ?
— Bien sûr, avec plaisir.
— Excusez-moi ? Pourrais-je vous demander où se trouve Zlune ?
— Zlune ?
Lyria la regarda bizarrement, ne comprenant pas.
— Mon oiseau. Normalement, ils ont dû vous transmettre un oiseau quand mes bagages sont arrivés. Je ne pouvais le prendre avec moi chez sa Majesté l’Empereur.
— Effectivement, nous avions une ancienne cage, plus grande que la vôtre, dans une remise, je lui ai attribué, il se trouvera dans votre chambre. À propos, le reste de la famille sera là ce soir, apprêtez-vous à les rencontrer.
— Je ferais tout pour leur plaire, merci beaucoup.
— Je vous en prie, à ce soir.
Sur ces dernières paroles, l’homme s’en alla de la pièce et à la seconde près Lyria lui sauta littéralement dessus.
— Je veux tout savoir !
— Tout savoir de quoi ?
La jeune femme semblait ravie de cette entrevue, Lyria était resplendissante et elle en était heureuse. Elle avait eu peur de la voir encore tiraillée par le chagrin mais elle paraissait moins accablé que la dernière fois qu’elle l’avait vue.
— Raconte-moi comment est Hiisop maintenant. Comment vont tes parents ? Et Mino ce petit bout a dû bien grandir ! Les parents de Mia sont-ils encore marchands ? Est-elle encore avec Tin ? Et Tin, comment va-t-il ? Avec le boulot ?
Entre elles, il n’y avait pas vraiment de mise en garde pour le langage, ne trouvant pas cela pertinent pour le moment. Quand Lyria avait mentionné le travail et même son frère aîné, son regard avait été recouvert par la tristesse quelques instants avant de revenir à la normale.
— Alors mes parents vont bien, Mino a beaucoup grandi et il est en pleine forme. Les parents de Mia sont toujours nos braves forgerons. Le travail de Tin est très prenant comme tu le sais mais oui bien entendu il est encore avec Mia, ils se marieront dans peu de temps par ailleurs.
— J’en suis tellement heureuse, il le mérite infiniment.
À présent, la jeune femme semblait plus calme et plus apte à discuter sérieusement avec son amie.
— Comment tu vas ? Je ne souhaitais pas en parler maintenant mais étant donné que nous en sommes proches.
— Je vais bien, je pense que j’arrive enfin à estomper suffisamment le souvenir de mon amour perdu. J’aimerais toujours Mathias du plus profond de mon cœur mais je dois aller de l’avant, le comprends-tu ?
— Bien sûr, nous sommes jeunes, se sacrifier ainsi ne mènerait à rien. Je ne dis absolument pas que tu dois bafouer la mémoire de Mathias, mais il comprendrait, j’en suis absolument certaine.
— J’espère, tu ne sais pas à quel point j’aimerais que cela soit vrai.
Rina prit les mains de son amie dans les siennes avant de parler avec douceur tandis que sa compagne avait des larmes aux coins des yeux.
— Le premier amour n’est pas celui que l’on partage avec la première personne que nous croisons, mais c’est celui que l’on a avec la personne qui nous marquera l’âme le plus profondément au fer rouge. Mathias t’aimait éperdument mais il ne voulait que ton bonheur. Tu étais son premier amour pour son jeune âge mais toi tu peux avancer pour lui. Tu peux avancer et qui sait, peut-être que ce n’était pas ton premier amour à toi. Bien sûr, ça ne veut pas dire que tu l’as moins aimé mais seulement que grâce à cette nouvelle personne tu pourras enfin passer ce cap difficile qui te détruit depuis deux ans.
Avec patience, Rina faisait rouler le bout de ses doigts le long des joues humides.
— Et toi ? Tu es toujours avec lui ?
— Ne parlons pas de cela, je te prie, pense à toi.
— Es-tu heureuse Rina ? Est-ce ton premier amour ?
— Non.
— Non ?
Sa réponse fut sèche face aux questions assaillantes de son amie, tant et si bien que Lyria la regarda étonnée, elle ne s'était visiblement pas attendue à de tels propos.
— Mais tu es avec lui depuis si longtemps.
— Oui, je l’aime plus que je ne pourrais le mesurer, mais un premier amour est la personne qui te fait grandir et mûrir par ses bonnes actions. Kizune fut bon avec moi mais pas comme Mathias l’était avec toi ou comme le sont Tin et Mia l’un pour l’autre vois-tu ?
Lyria confirma d’un hochement de tête avant d’essuyer elle-même ses propres larmes.
— Allez viens, je vais te montrer ton nouveau chez-toi.
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