Chlotilde
— Chou ?
Ma femme entrouvre la porte du bureau et y passe la tête, avant d’ajouter d’un ton monocorde : « Je vais me coucher. Bonne nuit. » Ses traits sont tirés : plus que son âge, ils trahissent le travail acharné et le stress des cinq dernières semaines.
Un sourire las, un peu coupable, se fraie un chemin sur mon visage. Clotilde entre. Elle examine mes brouillons noircis, se poste derrière moi et pose ses mains sur mes épaules. Je perçois la vanille de son parfum de nuit.
— Je n’ai pas de nouvelles de ta fille, elle a dû rester chez ses amies, et notre fils joue aux jeux vidéos dans sa chambre.
Je penche la tête sur sa main gauche, y frotte ma barbe mal taillée.
— Éloise est une grande fille, maintenant. Et tu sais comment Olivier peut réagir après une journée de parapente.
Elle bâille, détache ses boucles d’oreille lentement et les dépose sur le bureau, à côté de son téléphone cellulaire. Je devine les mots qu’elle aimerait entendre — je te rejoins —, mais je ne peux pas les prononcer. Je renverse la tête vers elle, prends ses mains dans les miennes et marmonne : « Je veux terminer. »
Je fixe à nouveau mon écran et replace mes doigts sur le clavier avant que le silence ne s’installe.
— D’accord… ne me réveille pas si tu viens te coucher ; j’ai pris deux somnifères.
Ce dernier mot reste suspendu alors qu’elle sort du bureau.
Chlotilde n’a jamais utilisé de somnifère, elle ne laisserait jamais non plus son téléphone loin d’elle alors qu’un de ses enfants passe la soirée hors de la maison, et elle ne m’a pas rappelé de penser à éteindre la lumière. Cette dernière journée ne s’est vraiment pas déroulée comme elle l’aurait souhaité et j’en suis en partie responsable. J’ai d’abord perdu la matinée à chercher du papier permanent que j’ai fini par dénicher à l’université Clermont-Auvergne. Ensuite, après avoir acheté deux plaques de verre à la dimension voulue, je suis finalement allé prendre mon fils à son point d’atterrissage. « Mon plus beau vol ! » m’a-t-il répondu, avant de replonger dans ses pensées à regarder le ciel pendant le trajet retour.
D’une longue expiration, je chasse les idées de ma tête puis reprends mon récit.
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