Aout 2026, un court documentaire sur la météorite est partagé sur les réseaux sociaux. Le contenu, nébuleux, combine des séquences filmées par smartphone et des entrevues avec les scientifiques employés par le collectionneur. On apprend qu’un jeune géologue a découvert — par sérendipité — un étrange comportement du magnétisme de la roche, de sa variation en fonction de la personne qui la touche, et de ses potentielles applications. Le propriétaire de la météorite conclut la vidéo par une longue tirade philosophique, et s’interroge sur la valeur du temps qui nous est imparti.

En septembre, une conférence de presse est organisée à Cilaos. Lors de l’événement, intitulé One Big Thing, le milliardaire chinois annonce la création d’une nouvelle compagnie et le lancement prochain de la smartwatch éponyme : la TTL.

TTL — Time To Live : la montre donne le temps restant à vivre, à la minute près, pour celui qui la porte au poignet. Un infime morceau de météorite situé sous le boitier, en touchant la peau, permet la mesure du magnétisme et la prédiction.

La TTL, finalement disponible en octobre après un mois de marketing intensif, devient un succès commercial immédiat malgré les soupçons de canular. Dix millions de montres seront vendues avant Noël. Les clients font la file devant les magasins d’électronique pour être les premiers à savoir quand.

Quelques jours plus tard, c’est le comment qui hante les propriétaires des smartwatch indiquant un temps toujours trop court. Hormis des cas isolés où une décision de dernière minute a pu changer le cours de leur vie, les prédictions de la TTL semblent exactes.

D’autres chasseurs de météorite s’installent à Cilaos dans l’espoir de trouver de nouveaux fragments du bolide dans le champ de dispersion présumé.

Les médecins et psychologues du monde entier crient au scandale : l’humanité n’est pas prête.

De multiples groupes apparaissent dans la société. Les pro-TLL vantent les bienfaits sur la vie de couple, la simplicité des décisions liées à la retraite, les impacts sur la santé. Les anti-TTL critiquent les impacts sur la vie de couple, la baisse probable des fonds communs de pension, les incidences sur la santé mentale. Une partie de la population américaine hurle de joie et l’autre désespère en voyant en direct sur un réseau social leur président essayer et partager la prédiction. Des tests sont faits sur les animaux, la montre ne fonctionne pas pour eux.

Certains clients prennent des décisions pour améliorer leur avenir, avec plus ou moins de succès. Un pilote automobile annule sa participation à une course : il meurt écrasé par un pneu qui s’est détaché de la voiture conduite par son remplaçant. Un grimpeur en solo intégral met un terme à sa carrière ; sa TTL lui prédit la fin à chaque tentative de nouvelle escalade.

La prédiction peut évoluer en temps réel selon les actions de leur porteur. Une mise à jour de la smartwatch permet de signaler le changement par un couleur vert gazon quand le temps est allongé, rouge vermillon quand il est raccourci. Des gens se filment dans des situations toujours plus racoleuses, prenant des risques pour voir leur montre flasher. Un accident d’autocar est évité quand les quatre passagers portant la TTL s’aperçoivent qu’elle leur prédit le même temps de vie alors qu’ils roulaient sur l’autoroute. Le chauffeur s’arrête, il est victime d’un AVC dans les minutes suivantes.

Il y a 55 jours, en avril, malgré les discussions houleuses à la maison, la peur de la maladie et des antécédents familiaux défavorables me font décider. Je cède à mon tour et achète une montre usagée, en évitant soigneusement les contrefaçons. La première prédiction donne 42 ans — un temps très long. Chlotilde ne me comprend pas mais accepte que je porte la TTL. Elle refuse par contre de l’essayer et ne veut surtout pas que nos enfants l’utilisent.