Éloïse
Le téléphone cellulaire de ma femme vibre et s’éclaire ; la photo d’Éloïse apparait à l’écran. Je réponds, ma fille s’en étonne.
— Maman n’est pas là ?
— Si, elle dort.
— Déjà ?
— Oui, elle est fatiguée. Tu voulais lui dire quelque chose ?
J’entends la musique derrière ma fille. Comment expliquer à une adolescente que même si chaque instant est un dernier instant, il n’est pas nécessaire de le vivre intensément chaque fois.
— Tu écris toujours tes mémoires, là ?
— Ce ne sont pas mes mémoires, Éloïse, juste un témoignage. Une forme de peinture rupestre pour les générations futures.
Même si, en tant qu’historien, j’imagine bien que l’artiste des grottes de Lascaux n’a pas peint les parois en pensant aux spectateurs des milliers d’années plus tard. Aujourd’hui, transmettre aux temps futurs est une science, ne sachant pas si l’autre pourra même allumer un ordinateur ou lire un fichier électronique.
— Pour maman… on s’est un peu fâché ce matin. Embrasse-la de ma part, s’il te plait.
— OK, je le ferai.
— Papa, s’il te plait, fais-le. Maintenant. C’est important.
— Bien reçu, ma fille !
Court silence ponctué de cris : « Elo ! Elo ! »
— Bisous, papou. Je retourne danser.
— Fais attention à toi !
Elle a déjà raccroché et mon bye rebondit encore quelque part entre nos deux téléphones.
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