Quand on retourne à la 43, Greta et Victoria sont en train d’atterrir aussi sur leur 44. On a été absentes longtemps mais elles aussi. Je dois parler à Greta. Elle m’attend pour le thé dans son fumoir.

• Alors Paloma, comment va la vie ?
• C’est quoi la vie, Greta ?
• La vie, c’est d’abord un lieu et ce qu’on y fait. Il faut avoir le sens du lieu. Et de ce que l’on y fait. C’est français ?
• Oui Greta, mais essaye de faire plus simple.
• Victoria et moi on est un peu trop connectées à l’Invisible. On sentait, on savait quand vous alliez partir et quand vous alliez revenir. C’est le sens du temps, dans les lieux. Dans ta maison au centre de Laguna Beach ou ici à la 43, ce n’est pas la même existence que tu as. Il y a une troisième dimension, c’est les autres, et où ils sont, et ce qu’on fait avec. Les trois sont importants. Ils signifient quelque chose. Tu comprends. Dis-moi que tu comprends en me donnant un exemple.
• Euh… Jules et moi sous un arbre à Laguna City, en haut de la côte qui descend ici.
• Jules. Telle est la réponse.
• Elle est incroyable. Elle a même tenu tête à François. Ces deux-là, ils ne sont pas du même monde, c’est sûr. Mais il y a comme une évidence entre les deux. Je n’arrive pas à percevoir…
• Elle va lui succéder. Pour l’instant. C’est ce que dit l’Invisible.
• Une locale ? On arrête pas le progrès. Ou plutôt, si. C’est dans l’esprit de la B4, si j’ose dire. Mais en attendant, ce n’est qu’un avenir alternatif. J’aimerais encore réduire mon champ de vision. Après mon annexe vue que par moi-même et la suppression du calendrier, je dois limiter mes lieux et mes fréquentation, laisser la civilisation s’éteindre d’elle-même, intervenir le moins possible, me concentrer, me focaliser sur ma petite existence, ne plus avoir de rapport à faire, laisser la main à Jules avec sa propre annexe.
• Peut-être qu’elle l’a déjà. Peut-être que chacune de nous en a une. Avec chacune son angle de vue. Adé ne voit que la lignée des Sœurs mais on a chacune notre histoire avec nos chapitres et nos personnages.
• Megan Honnest est du même avis, pour elle chacun de ses livres est un univers à part.
• Je crois plutôt qu’on a chacune une version de la même Histoire. Et Adé n’en voit qu’une parce qu’il ne faut en voir qu’une. Les guerres existent parce que les personnages ont une version différente de la même Histoire. Et dans un monde de Paix, il ne peut en rester qu’une.