182 - lune
Je rentre à la maison et je la vois en train d’écrire, affalée dans son grand fauteuil bleu, nonchalante, torride.
- Alors ? Ça s’est bien passé ?
- Tu as bien fait de ne pas venir, l’autre actrice est bien meilleure que toi.
- Merci. Sinon, il paraît qu’elle était là ? Raconte.
Elle me tend sa feuille de papier. Je commence à lire : « La scène de l’Opéra de Sylvania, ça nous change du café. Tout est grandiose alors nous aussi, ça déteint sur nous, on s’en imprègne.
- Il paraît qu’il y a des VIP dans la salle !
Effectivement, à la fin, quand on se change en coulisse, l’effervescence laisse place au silence. Je tire un peu le rideau de ma loge pour observer. Dans la pénombre, quelqu’une parle tout doucement, à la metteuse en scène, puis aux actrices principales. Des remarques, des félicitations. Un visage passe sous une lampe et je la reconnais. Greta. Elle regarde dans ma direction, je tire vite le rideau. Je suis ridicule, là, à me cacher. Alors j’inspire un grand coup et j’y vais. Je sors dans l’arène. Je me mets sur sa trajectoire. Je ne la quitte pas des yeux. Elle ne me regarde pas. Tania lui présente Orphée, Greta a quelques mots pour elle, ensuite vient mon tour.
- Et Marylène, dans le rôle de la Lune.
Mais là, pas un mot. Juste son regard bleu azur. Je ne l’avais jamais vue d’aussi près. Et elle approche encore, elle entre, dans mon cercle d’intimité. Derrière, Tania est un peu gênée. Je ne dis rien non plus, je soutiens son regard. Elle est là, plantée devant moi, et elle ne bouge plus. Tout le monde attend. Mais rien. Le temps passe. Greta baisse les yeux et avance enfin, Tania enchaîne les présentation mais cette fois-ci il n’y a plus de compliment ou d’encouragement, elle reste silencieuse. »
- Une fois qu’elle est passée, j’étouffais. Je n’avais plus d’oxygène dans les poumons. Ni ailleurs. J’ai dû m’éclipser en loge pour reprendre ma respiration.
- Ça alors, Mary, c’est extraordinaire ! Tu lui as tenue tête. Maintenant, au moins, elle sait à qui elle a à faire. Tu sais, elle t’a vue comme personne ne peut te voir, même pas moi. Et elle a baissé les yeux. J’en reviens pas… Tu es trop, Great Mary. Je suis fière de toi.
Je lui fais un bisou et un gros câlin. Elle me serre et elle tremble.
- J’ai eu peur, Paloma.
- Don’t worry. I’m here.
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