Chapitre 6
Le jour suivant, le cours auquel il assista fut nettement moins intéressant. Ils entrèrent dans une salle plutôt banale. Des ordinateurs étaient disposés contre les murs de crépis blancs. Elle ressemblait aux salles de classe où Thomas avait longuement étudié auparavant. Un vieil homme les attendait. Lorsque l’adolescent passa devant lui, il réalisa qu’il ne dépassait pas son épaule. Il portait des lunettes sur le bout de son nez busqué. Une calvitie grignotait peu à peu son crâne recouvert de cheveux gris désordonnés. Les adolescents s’installèrent chacun à un poste et l’allumèrent. Thomas les imita.
- Bonjour à tous, dit-il d’une voix râpeuse. Et bienvenue, Thomas.
Puis il s’approcha de lui.
- Je m’appelle Albert, dit-il. Tu vas pouvoir apprendre la programmation pendant mon cours. Cela te sera nécessaire lorsque vous, les jeunes, vous devrez nous remplacer dans la lutte contre Show. Je vais t’aider à comprendre.
Thomas fut surpris qu’un homme aussi âgé enseigne cette matière, mais il préféra ne pas se poser trop de questions. Albert lui enseigna les notions d’algorithme, de programme, d’instruction, termes qui lui étaient encore étrangers avant son arrivée ici. Il lui apprit des programmes simples à exécuter. En sortant, il avait la tête lourde, et réalisa qu’il détestait cette matière. Son professeur était sympathique et attentif, mais il ne parvenait pas à cerner ce langage incompréhensible.
Mais c’était avant d’assister au cours de sport et musculation. Ses amis lui avaient bien précisé la veille : « Ce cours est vraiment horrible, tu vas détester. Et le prof n’est pas mieux ». Mais il ne s’attendait tout de même pas à un tel supplice. A peine fut-il entré dans la salle qu’il remarqua tout de suite un homme imposant couvert de tatouages face à lui. Il suivait les élèves des yeux, les sourcils froncés et les lèvres tirées vers le bas. Thomas frémit en rencontrant son regard, encore plus noir que celui qu’il dévoilait aux autres. La tête et la barbe rasée, il ressemblait davantage à un soldat qu’à un professeur. On aurait pu comparer sa carrure à celle d’Elvis, mais l’expression qui se dégageait de son visage était bien différente. En contournant cette masse qui empêchait toute vision périphérique, l’adolescent découvrit une salle constituée d’un ring de boxe, d’un tatami ainsi que de divers appareils de musculation. Le mastodonte entraîna la petite troupe vers les tapis.
- Trente pompes, tout de suite, vociféra-t-il. Pour s’échauffer.
Antoine regarda son ami en grimaçant, puis exécuta l’ordre donné, nonchalant. Thomas n’avait pas du tout envie d’exercer ses muscles, mais il savait qu’il ne pouvait faire face à un tel homme, et tâcha de s’adonner à cet entraînement. Ses membres lui hurlaient de s’arrêter à chaque mouvement. Le géant revenait toujours derrière lui pour vociférer : « Baisse ton dos! Descends plus bas ! ». Il le haïssait déjà. Tout autant que sa matière. Ensuite, ils durent pratiquer divers exercices redoutables qui le rongeaient petit à petit jusqu’aux os. Enfin, un dernier entraînement finit par l’achever entièrement. Alors qu’il tentait de rester le plus gainé possible, ses muscles le lâchèrent d’un coup et il s’écroula sur le tapis. Aussitôt, une sensation de bien-être l’envahit. Il pouvait respirer, et le tatami était plutôt confortable. Puis il sentit les pas lourds de l’homme s’approcher. À la perception de la menace imminente, il tenta de se relever, en vain. Il avait délibérément consumé toute les forces de son corps.
- Relève-toi ! cria le géant.
L’adolescent renouvela sa tentative, mais même avec un intense effort de volonté, ses muscles refusaient de l’écouter. Il sentit alors une force qui le soulevait par le tee-shirt.
- Lâchez-le ! cria la voix d’Antoine.
Évidemment, aucune réponse ne lui parvint. Malgré le flou dans lequel baignaient ses yeux, il aperçut très brièvement son regard rempli de compassion, avant que le visage noir de l’homme ne vienne encombrer l’entièreté de son champ de vision. Il toisa son corps ridicule des pieds à la tête, le tenant à bout de bras sans la moindre difficulté. Enfin, il se décida à le reposer, l’agrippant toujours de ses poings aussi gros qu’une orange.
- Elvis a déjà dû te le dire, un jour tu vas devoir te battre contre Show. Et tu crois vraiment que tu vas pouvoir l’éliminer avec ça ? déclara-t-il en désignant son corps plat. Il faut que je t’endurcisse ! Et pour cela, rien de mieux qu’un petit combat de boxe face à face…
À ces mots, une boule se forma dans la gorge de Thomas, l’empêchant presque de respirer. Il allait devoir se battre contre cette bête ? L’affreux énergumène le traîna sur plusieurs mètres jusqu’au ring et lui enfila une paire de gants de boxe dix fois trop grand pour lui. Puis il le força à passer par dessus la corde. Thomas savait qu’il était inutile d’opposer une résistance, et de toute façon, il ne s’en sentait pas capable. Il tenta une garde improvisée, molle et mal assurée, prêt à prendre tarif. Le colosse asséna un premier coup en pleine mâchoire, qu’il ne put esquiver. Il n’utilisait probablement pas toutes ses forces, mais le choc fut tout de même violent, et la douleur qui survint ensuite fut vive. Le goût du sang se répandit dans sa bouche. Il vacilla, et sa tête pivota pour croiser les visages de ses camarades, qui n’osaient regarder le carnage.
- C’est cette pichenette qui te fait perdre l’équilibre ? se moqua-t-il. Allez, à toi maintenant, frappe-moi.
Devant l’immobilité de Thomas, il répéta :
- Frappe-moi !!
Malgré l’humiliation que cela allait provoquer, il ne trouva pas d’autre choix que de frapper. Il centralisa toutes les forces qui lui restaient, c’est-à-dire très peu, et brandit son poing vers le buste du géant. Évidemment le pilier resta de marbre, aussi droit qu’une statue. Un petit rictus déforma ses traits pour la première fois depuis le début de la séance, et par un désir d’orgueil et d’humiliation, il dit :
- Continue.
Mais Thomas savait que même avec tous ses camarades, il ne parviendrait pas à déplacer d’un millimètre ce mur. Alors qu’il allait se faire de nouveau rabaisser au rang de sous-fifre, une voix forte se fit entendre à l’extrémité de la pièce.
- Arrête ça tout de suite, Edouard.
Elvis s’avança au centre de la pièce. A la grande surprise de tous, Edouard sortit du ring la tête baissée, se plaça devant le chef de l’ADCS et balbutia :
- Désolé, Elvis.
- Vous pouvez sortir, les jeunes. J’ai besoin de m’entretenir avec votre professeur.
Les adolescents rejoignirent les vestiaires silencieusement et otèrent leurs tenues dégoulinant de sueur. Thomas cracha dans le lavabo, un flot de sang sortit de sa bouche endolorie. Plus jamais il n’assisterait à ce cours épouvantable.
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