Chapitre 10
Il ne semblait y avoir aucune colère dans son regard, cela rassura fortement Thomas. Lui aurait-il pardonné ? Il traîna les pieds sur le gravier, les mains tremblantes, et vint s’asseoir à ses côtés.
– Je voulais… je tenais à m’excuser pour ce que je t’ai fait hier. Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne me contrôlais plus.
– Tu sais, j’ai pas mal réfléchi cette nuit et je me suis dit que ça ne servait à rien de t’en vouloir, ce n’est pas ta faute. Et puis au fond ce n’était qu’une petite claque. Rien de méchant. Donc excuses acceptées.
– Merci, mais… en quoi ce n’est pas ma faute ? Je t’ai pourtant frappé volontairement ?
Romain lâcha un petit rire étouffé.
– Tu ne connais donc pas l’amour… il pousse à faire n’importe quoi le malheureux qui y succombe.
– Tu penses que je suis amoureux ?
– Ça se voit à dix-mille kilomètres ! Dans tes regards, dans ton comportement quand elle est là... Et vous êtes faits pour aller ensemble ! Tu veux dire que tu n’as toujours pas avoué tes sentiments pour elle ? Il faut que tu ailles lui parler !
Ainsi, ce serait de l’amour selon Romain. Et il lui suggérait de s’en approcher. Cela surprenait Thomas qui pensait que son ami allait lui demander de ne plus la voir à cause de l’influence qu’elle avait sur lui. Le jeune homme ne savait plus si elle constituait une menace ou un cadeau du ciel.
– Je ne suis pas encore sûr d’être amoureux, et puis je n’ai pas envie de vous perdre. Regarde, à cause d’elle j’ai fait des trucs que je n’aurais jamais imaginé avant ! Si c’est ça, l’amour, je préfère encore ne pas lui parler à cette fille.
– Tu verras, ce n’est pas toi qui vas le décider ça ! Tu iras naturellement vers elle. Mais en tout cas, ne gâche pas cette occasion en or à cause de nous, t’inquiète pas, tu resteras toujours notre pote quoi qu’il arrive.
Il adressa une petite tape amicale sur l’épaule de Thomas. Le jeune homme sourit. Tous ses problèmes appartenaient maintenant au passé, toute son attention était à présent dirigée vers Léa. Il était reconnaissant envers Romain de l’avoir non seulement pardonné, mais en plus de le considérer toujours comme un ami.
– Mais au fait, qu’est-ce que tu fais là à cette heure-ci ?
– J’aime bien prendre un bon bol d’air le matin en me réveillant. Ça me permet de penser à autre chose.
Après un court silence, il reprit :
– Tu sais, j’ai peut-être l’apparence du type fidèle à l’ADCS, mais ce n’est pas du tout ce que je suis. Moi aussi je rêverais de me barrer, de tuer Show et de retrouver mes parents. Moi aussi je n’ai pas totalement confiance en eux et je préférerais me battre tout seul contre ce monstre. J’essaye de relativiser, de me dire que dehors c’est encore pire, mais c’est vrai que c’est dur d’avoir l’impression de se tourner les pouces alors que quelqu’un est en train de détruire le monde.
Thomas réalisa à travers ce que lui disait son ami qu’il ne le connaissait que très peu. Toutes leurs discussions n’étaient que des bavardages, portant sur des sujets banals. Ils n’avaient jamais échangé sur leurs opinions et leurs idées.
– Qui étaient tes parents, demanda Thomas, et qu’est-ce qui leur est arrivé ?
– Ma mère était docteure et mon père pompier. Ils faisaient partie d’une association pour aider les gens à arrêter la cigarette ou l’alcool. Ils faisaient tout leur possible pour sauver des vies. Pas du tout le caractère à se laisser avoir par un inconnu. Et pourtant un beau matin, je les ai retrouvés chacun dans une Chaise Virtuelle. Je ne comprends pas ce qui leur est arrivé.
– Il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas, moi aussi mes parents se sont laissé tenter par la machine de Show alors que je les imaginais révolutionnaires. Peut-être que Show les a forcés, ou peut-être qu’il leur a promis quelque chose en retour.
– Je l’espère en tout cas.
Les deux amis restèrent ainsi côte à côte pendant quelques minutes, souriants et pensifs. Puis Romain brisa le silence :
– Les autres vont pas tarder à se réveiller, viens, on va les rejoindre dans la salle à manger.
Ils marchèrent tranquillement, le soleil levant teintant leurs visages d’une douce couleur orangée. Ils étaient à présent plus amis que jamais. Ce bouleversement leur avait permis de se connaître, de se connaître vraiment, de passer outre la façade qu’arboraient probablement tous les adolescents pour ne pas dévoiler leurs pensées et opinions, de peur qu’ils ne soient pas conformes aux valeurs de l’ADCS. En arrivant, ils aperçurent que certains jeunes prenaient déjà leur petit déjeuner, Léa en faisait partie. Thomas s’installa près d’elle, qui sourit en le remarquant.
- Tu as passé une bonne nuit ? dit-il.
– J’ai pensé à mes parents tout le long, pas moyen de trouver le sommeil.
– C’est normal, il te faudra un peu de temps, mais après ils arrêteront de te tourmenter. Fais-moi confiance.
Alors, il posa délicatement sa main sur la sienne. La chaleur se répandit dans ses doigts puis remonta le long de son bras. Ce n’était qu’un léger contact, pourtant il lui procura tout le réconfort dont il avait besoin en ce moment. Léa voulut la retirer par surprise, mais se résigna et sourit. Ce rapprochement semblait lui apporter du plaisir à elle aussi.
- Tu aimes ce qu’on te propose au Refuge ? dit-il après un temps.
– C’est pas toujours très varié, et parfois il n’y a pas de quoi remplir mon estomac, mais c’est bon quand même.
Thomas essayait de maintenir la conversation même si les sujets abordés n’étaient pas forcément intéressants. Il voulait éviter de se retrouver dans la même situation que la veille, à se fixer l’un l’autre durant des heures. Il souhaitait franchir un cap, la connaître plus en profondeur, autrement que par de simples regards.
– Raconte-moi un peu ta vie, j’ai besoin d’en savoir plus sur toi, s’enhardit-il.
– Eh bien, j’ai seize ans, j’étudiais au conservatoire avant tout cela parce que… j’aimerais devenir chanteuse. Enfin, j’aurais aimé, mais je pense que même quand tout sera terminé, je ne pourrai pas réaliser mon rêve, le monde sera complètement différent…
– Si tu as envie de devenir chanteuse, tu le deviendras, rien ne t’en empêchera. Et je serai ton premier fan, déclara Thomas en souriant.
– Merci, dit-elle, flattée.
– Viens, on va rejoindre les autres, le cours de programmation va bientôt commencer.
- Programmation ? dit-elle en pâlissant, je n’en ai encore jamais fait.
– Tu vas voir, ce n’est pas si compliqué une fois qu’on a compris le principe, et puis je serai là pour t’aider.
Comme le jeune homme s’y attendait, Léa ne comprenait absolument rien dans cette matière. Même les notions les plus familières lui étaient inconnues. Le professeur accepta que Thomas ne fasse pas ce qui lui était demandé et consacre son temps à épauler son amoureuse. Avec calme et patience, il l’aida à résoudre des programmes simples en lui expliquant chaque détail. Même si elle ne comprenait sûrement qu’un mot sur deux, Léa faisait tout son possible pour s’accrocher et essayer. C’était une des qualités que Thomas aimait chez elle. C’était une battante. À la fin, la jeune fille avait progressé : même si elle ne savait toujours pas exécuter des commandes simples d’elle-même, elle comprenait déjà certaines notions. Elle était sur la bonne voie.
Le lendemain, pour le cours de tir, Thomas passa plus de temps à la regarder s’entraîner avec Elvis qu’à viser la cible, qu’il ne manquait jamais désormais. Elle était plutôt bonne pour une débutante, et arrivait à rester calme et posée, à ne pas trembler au moment d’appuyer sur la gâchette. Et tous les ballons se situant devant elle finissaient percés.
Après quelques jours, Thomas et Léa restaient tout le temps ensemble. Ils n’avaient même pas eu besoin de déclarer leur flamme, ça avait été une évidence pour eux deux. Les amis de Thomas ne lui en voulaient pas du tout d’être rarement avec eux. Ils comprenaient très bien la situation, et avaient changé d’avis. La jalousie les avait quittés, ils avaient bien compris que Léa resterait toujours avec Thomas et qu’ils allaient très bien ensemble.
Les deux tourtereaux s’étaient convenu de se retrouver chaque matin au Patio pour regarder le soleil poindre à l’horizon, et chaque soir pour le voir se coucher. Ces instants leur étaient réservés, rien qu’à eux. C’étaient les rares moments où ils pouvaient s’évader loin des autres camarades et des membres de l’ADCS. Ces rencontres se faisaient souvent dans le silence, pourtant elles étaient signe de bonheur pour les deux amoureux. Elles leur permettaient d’oublier les nombreux problèmes qui secouaient le Refuge ces temps-ci.
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