Torche humaine

6 minutes de lecture

Bordel.

Bordel de merde.

« Je t’ai touché ! Bon Dieu de bordel de merde je t’ai touché ! »

Je me repasse la scène dans ma tête. Est-ce que j’ai touché sa peau quand je lui ai sauté dessus ? Nan, mais j’y crois pas c’est une putain de blague !

« Alors toi aussi tu crois à ces conneries ? »

Mais il me traite de con en plus ce fils de pilule périmée !

« Dis-moi que je t’ai pas touché ! Dieu fait que je l’ai pas touché ! »

Mes mains ruissellent d’alcool, tout comme le reste de mon être. Il est hors de question que je sois contaminé. Pas après tout ça, pas maintenant.

Je sors mon briquet électrique de ma poche et l’allume. Une croix violette se forme et je m’apprête à la rapprocher de ma peau quand cette vermine me saute dessus.

« Mais t’es malade ! Arrête ! »

On tombe tous les deux sur le sol en terre battue. Ma tête cogne et je ferme mes yeux par réflexe. Quand je les rouvre, je vois que cet animal a pris feu et court partout en hurlant à la mort en agitant les bras. Voir ce gros porc courir en torche humaine me fait sourire pour la première fois depuis bien longtemps.

Bien fait, pensé-je.

Mais le karma me rattrape alors que l’alcool qui recouvre le sol prend lui aussi feu et finit par m’atteindre.

Ma chaussure prend feu et en un instant, tous mes habits sont recouverts de flammes jaunes. Je ne sens rien les premières secondes, comme si j’étais dans un rêve. J’imagine que j’aurai paniqué comme cette boule de graisse à une époque, mais j’ai appris à maîtriser cette peur incontrôlable depuis bien longtemps désormais. C’est uniquement lorsque quelques flammes percent mes habits et commencent à griller mes poils que je réalise que je dois me bouger si je ne veux pas y laisser ma peau.

Moi qui voulais me brûler quelques secondes plus tôt, maintenant que la faucheuse est en face de moi, ses bras ont l’air bien moins accueillants que je les imaginais.

J’ouvre la porte et marche calmement dehors. Puis une fois hors de l’incendie, je m’accroupis avant de m’allonger et commence à me rouler par terre. Je vois l’autre minable courir à côté de moi et faire de même en hurlant inlassablement comme une truie prête à se faire égorger.

Mais rien à faire. Tous les tissus sont imbibés d’alcool. Je commence alors à retirer mes vêtements tandis que je sens ma peau roussir à quelques endroits. Le sac à bière bon marché fait de même puis continue de rouler.

Après quelques secondes, on se retrouve tous les deux en caleçon, allongés par terre avec quelques poils carbonisés, mais bien vivants. Même si ce pachyderme irradié semble à deux doigts de faire une attaque tant cet effort lui a été surhumain.

« Ch’kushô, mais qu’est-ce qui t’as pris kajin ?! »

Je me relève et tape sur mes habits pour les éteindre. Et dire que je n’ai plus que ça…

Des habitants sortent des maisons alentour, probablement ont-ils entendu l’autre graisse sur patte hurler à la mort. Il cri au feu pour que quelqu’un intervienne alors que la fumée qui sort par la porte d’entrée devient noire. Cette espèce de lépreux soupire de soulagement quand un habitant débarque avec un extincteur. Heureusement que sa bicoque est en terre, sinon tout aurait déjà brûlé.

Des regards mauvais se posent sur moi alors que je prie mon Dieu de toutes mes forces pour ne pas avoir été contaminé par cette usine à merde purulente.

« T’as besoin d’aide avec ce nept ?

— C’est lui qu’a foutu le feu au bar ? »

Une dizaine d’uraniens m’entourent désormais. Et j’en vois quelques-uns qui ont des triangles sur leurs écharpes, mais pas de trait. Rien de bien étonnant, ils ont tous été envoyés au front en priorité.

Le propriétaire du bar réplique :

« Non non, tout va bien ! Mes bouteilles se sont juste renversées à cause de l’explosion et mon encens est tombé dedans. Merci à tous d’être venus m’aider ! »

Les voisins continuent de me regarder comme un monstre et je leur rends la pareille. Qu’ils approchent, je leurs ferais bouffer leurs écharpes avec mon doigt ces espèces de champignons coprophiles. S’ils croient m’impressionner ces saletés d’uraniens, ils se foutent le coude dans l’œil.

Mais je les vois tous faire demi-tour. La rue redevient rapidement calme.

Quelle idée à la con j’ai eue de sortir.

Puis quand je retourne la tête et voir l’immense cratère au bout de la rue… Je me demande quelle drôle de destinée j’ai de prévu.

« Rentre étranger. »

Je me retourne. Je vois son corps couvert de plaques jaunes et recule d’un pas par réflexe. Elles sont presque invisibles comparés à sa peau blanche comme neige, mais mes yeux sont habitués à les repérer comme si j’étais un corbeau policier devant un transporteur de drogue. Le froid lui fait s’hérisser les poils, malgré la chaleur de l’adrénaline qui bouillit dans nos veines. Il commence à se rhabiller avec ses habits désormais cramés. Même son écharpe a bruni.

« Hors de question. Avec un peu de chance le feu m’a purifié, mais je ne compte pas me rapprocher de toi sale vache gangrénée. »

J’enfile mes habits troués avant de remettre mon béret sur la tête.

Il m’observe, de bas en haut. Je dois ressembler à un clochard désormais.

« Écoute le nept, ici tout le monde a envie de te faire la peau. Je ne comprends même pas ce que tu fais sur notre planète avec la guerre qu’il y a entre nous.

— C’est compliqué.

— J’veux bien te croire. Mais tu ferais mieux de rentrer chez toi et de faire profil bas si tu ne veux pas que quelqu’un de mal intentionné s’occupe de toi. »

Je me retourne et vois de nouveau le cratère, à quelques centaines de mètres. Un immense vide où se trouvait ma chambre d’hôtel ainsi que mes dernières économies.

Sans salutations et sans me retourner, je me mets à marcher avec mes habits troués en direction de cet immense trou qui a été formé au beau milieu de la ville. Les pas de ce nécrophile résonnent dans la rue et je l’entends fermer la porte derrière lui après un grincement sinistre.

Bordel, je prie tous les saints pour ne pas avoir été contaminé par cet enfoiré. Avoir fait tout ce chemin, de Neptune jusqu’à ce bidonville, tout ça pour être infecté… À cette pensée, je me dis que j’aurais mieux fait de me laisser brûler. Au pire des cas, j’ai toujours mon arme sur moi. Ma destinée est encore entre mes mains.

J’arrive rapidement au lieu de l’explosion, dans la rue de mon hôtel. Tout du moins ce qu’il en reste. Car à part des cendres et des gravats, il n’y a pas grand-chose à voir. La route que j’avais prise quelques minutes plus tôt s’arrête nette et descend vers le centre du cratère. C’est presque chirurgical.

J’imagine que je devrais ressentir quelque chose. De la tristesse. De la stupeur. De la colère. Ce genre d’émotions. Mais je suis tellement habitué à tout ça désormais que franchement, à part l’odeur de cramé, je ne sens rien de particulier. Je me demande juste l’intérêt de cette manœuvre.

Je repense un instant au message qui était joué quand la bombe a atterri. "Provisions gratuites". Je me vois mal critiquer ma planète pour faire ce genre de choses, alors qu’on sait très bien que c’est ces putains d’uraniens qui ont commencé avec leurs immigrés infectés. Ils sont arrivés par centaines et tout le monde a voulu s’occuper d’eux, de ces pauvres êtres qui fuyaient la misère. L’œuvre du diable, voilà ce que ces chiens venaient accomplir. Un cheval de Troie qui a causé beaucoup trop de morts parmi mes frères et mes sœurs. Sans parler de ceux au sein de ma propre famille.

Le vent se lève. Un vent violent et glacial qui glisse sous mes vêtements troués par les flammes pour brûler ma peau. Mes doigts cachés au fond de mes poches rembourrées refroidissent alors que mon nez déjà bien rouge se met à couler. Ma planète me manque.

Je vois quelques flocons tomber. Il ne manque vraiment plus que ça. Et j’ai pu aucun endroit où aller. Je vais crever de froid comme un chien dans la rue si ça continue. Sur cette foutue planète, loin de chez moi.

La forme de mon arme se dessine sous mes doigts, dans la poche de mon pantalon.

Hors de question d’avoir fui tout ça pour crever ici.

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