Le froid d'Uranus
Tout est blanc. Que ce soit le ciel, le sol ou les toits des carrées de terre qui leur sert de maison.
Mes grosses chaussures noires font craquer la neige sous mon poids alors que mes habits troués laissent passer les floconds qui fondent au contact de ma peau désormais tiède. J’ai blotti mes mains dans mon froc pour qu’elles ne gèlent pas, mais cette technique de survie s’avère peu efficace face à cette tempête.
J’ouvre péniblement mes yeux gelés. Je continue d’avancer sans réelle destination. Ça a au moins le mérite de me réchauffer. J’espère tomber sur un endroit pour m’abriter. Une porte ouverte, un camp de sans-abris agglutinés autour d’un feu ardent, un putain de miracle. N’importe quoi me conviendrait.
Plus le temps passe, plus ma gâchette me démange. Ce serait tellement simple de rentrer dans une de ces maisons. Beaucoup d’elles sont soient abandonnées, soient habités par des maris poltrons qui ont laissé leur femme partir au front.
Aller. Foutu pour foutu.
Je m’approche d’une porte et frappe avec mon pied. Si ce n’est le sifflement incessant du vent qui me fouette, je n’entends rien. Je m’approche d’une autre et recommence. Rien non plus. Je vais vers celle juste en face et fais de même. Mais non, encore une maison abandonnée à la porte verrouillée.
Je commence à maudire ce putain d’endroit. La rage me réchauffe un court instant et je balance ma botte renforcée à pleine vitesse dans la porte. Mon pied passe au travers du bois à moitié pourri et se retrouve à l’intérieur.
J’ai commencé, autant terminé.
Je l’extirpe de là puis, avec le peu de forces restantes, prends de l’élan et fonce l’épaule la première dans cette grande planche pourrie. Je passe littéralement au travers à ma grande surprise, mais parviens tout de même à garder l’équilibre. Je me retrouve dans le noir et pas vraiment au chaud. J’irai même jusqu’à dire qu’il fait aussi froid ici que dehors. Peut-être même plus.
Quelle déception. J’aperçois juste un tout petit poêle dans la cuisine, posé à même la terre battue. Mais pas de bois à côté. Même pas de meubles à fracasser pour en récupérer les planches. Je pense un instant à la porte, mais elle est pourrie et humide…
J’imagine que c’est pareil pour toutes les maisons abandonnées. Je soupire avant de ressortir en grelotant. Certes la neige ne tombe pas à l’intérieur, mais vu que je suis trempé et ne peux sécher, si je ne trouve pas un feu, je vais crever d’hypothermie.
Dès que je trouve une maison aux volets ouverts, je rentre. Je vais quand même pas mourir comme ça bordel !
***
Mes dents claquent de manière incontrôlable. Tous mes membres sont engourdis et tremblants. Je ne sens même plus mes doigts qui sont tout fripés à cause de l’humidité. Pas une seule putain de baraque n’a les volets ouverts. Je ne sais pas depuis combien de temps je marche, mais ça semble être des heures. Des heures que mes pas sont lourds à cause de la fatigue et de la neige qui enfonce mes pieds toujours plus profondément. J’ai été entraîné à pire sur Neptune, mais le moral doit jouer. Le mal du pays et l’atroce réalité qui me poignarde encore et encore :
Je n’ai plus de raison de vivre.
Et pourtant. Mon pied continue de se lever inlassablement. Une machine qui fonctionne même sans aucun humain, complètement autonome et réglée pour effectuer sa tâche jusqu’à la fin. Sa fin. Ma fin. Ma fin qui semble s’approcher alors que ma mâchoire grince et que mes rotules rouillent sous l’humidité et le froid.
Le même décor. Toujours. Du blanc. Un blanc qui me brûle les yeux. Je comprends mieux pourquoi ils ont tous les yeux noirs ici. Mes pupilles vertes me font amèrement regretter d’avoir retiré mon ajout oculaire. Je n’avais pas vraiment le choix pour passer sous les radars. La soudaine pensée que la bombe de toute à l’heure m’était destinée me glace le sang. Mais vu que mes veines sont déjà congelées, ça n’a pas un grand effet.
Le peu de sang qui parvient encore à atteindre mes extrémités est à peine tiède et ne parvient plus à les réchauffer. Bordel que je me sens misérable. Un putain de minable qui va crever comme le chien qu’il est. Mais un sourire mesquin fait tomber la neige de ma moustache quand je repense à la merde dans laquelle j’ai foutu ces connards avant de partir. Tant pis si je crève, je serais mort libre.
Je retombe sur le cratère. Ou bien est-ce un autre ? J’en ai croisé beaucoup, mais celui-ci semble être le même que tout à l’heure. Une impression. Pourtant je ne vois pas à 5 mètres, mais mon instinct –celui de la machine– me confirme que c’est le même.
Alors j’avance. Je sais bien qu’il y a des habitants vers le bar de ce porc, étant donné qu’une partie d’entre eux ont sérieusement envisagé de me tuer quand ils ont croisé mon regard. J’imagine qu’ils se regroupent dans certains quartiers, ça expliquerait que tout le reste soit abandonné.
Je vais leur rendre une petite visite à ces Uraniens.
J’arrive enfin devant le bar. C’t’infecté a fermé les volets, comme tous les autres habitants. Ils n’ont pas vraiment le choix j’imagine, entre les missiles et la neige.
J’hésite un instant à toquer d’abord à son bar, puis je me rappelle de la manière dont il m’a défendu quand les autres uraniens sont arrivés. Sans même parler du fait que c’est un putain d’infecté ! J’vais tenter ma chance chez les autres.
Je me mets devant l’une des nombreuses portes et essaye de sortir mon arme de ma poche. Mais je n’y arrive pas. Merde, je ne la sens même plus. Pas plus que ma main par ailleurs.
Sans rien sentir et à l’aveugle, je parviens tout de même à l’attraper et à la sortir du bout des doigts. C’est alors que je vois ma main qui pend. Impossible de la bouger. Ce n’est plus qu’un morceau de viande froide et bleutée sans vie. Si mon cerveau n’était pas aussi congelé, j’imagine que je paniquerais à cette vue. Elle va nécroser. Bordel, même si quelqu’un me laisse entrer, je vais devoir me faire amputer. C’est sûr.
J’utilise ma tête. Au sens propre. Je prends de l’élan et frappe de toutes mes forces contre la plaque en acier qui sert de porte. Mais personne ne m’ouvre.
Je recommence. Encore. La tempête continue de souffler, faisant tomber un épais manteau de neige sur le seul con dehors. J’essaye une autre porte. Ma tête ne me fait pas mal. J’ai la sensation que ce n’est plus réellement mon corps. Peut-être parce que je ne le sens plus. Peut-être parce que je suis en train de mourir. C’est sûrement un peu des deux. J’ai juste l’impression d’assister à une vidéo. D’être comme enfermé dans un immense robot qui agit selon sa propre volonté. Et je ne peux qu’observer en espérant que la fin du film soit en ma faveur.
Mais personne n’ouvre au personnage principal. Mais est-ce réellement le personnage principal ? Parce qu’il n’est pas censé mourir dans son propre film. Bordel de merde je vais pas crever dans mon film ! Pas comme ça.
Je finis par me diriger vers le bar. Ce "Rédemption". J’essaye de prendre le contrôle de la machine avec le peu d’égo qu’il me reste. Mais elle est bien trop forte. Bien trop autonome désormais. Elle n’a plus besoin de moi pour me protéger.
Elle prend de l’élan et tête la première, enfonce la porte. Ce con ne l’avait pas fermé de toute évidence puisqu’elle s’ouvre et que je perds l’équilibre avant de m’effondrer à l’intérieur sur le sol gelé. L’espoir me redonne un peu de force et je parviens à ramper jusqu’au comptoir pour me relever avec son aide. J’en fais le tour pour atteindre la porte qui mène chez l’infecté.
Demander de l’aide à un rat. J’y crois pas.
J’utilise de nouveau ma tête pour toquer. Je ne sens rien, et c’est bien cela qui m’effraie. Bordel, qu’est-ce que j’aimerais sentir la douleur. Le sang qui coule sur mon front et mon nez. L’odeur et le goût métallique de l’hémoglobine. Je devine seulement ma blessure grâce au rouge qui est apparu sur la porte en bois.
Mes bras sont bleus. Mon nez rouge.
Bordel. Je vais crever.
J’essaye d’ouvrir la bouche pour hurler. Mais ma mâchoire est complètement gelée. Impossible de la bouger, tout comme mes bras. Alors je recommence à cogner avec ma tête. Et encore. Et encore. Et encore. Je n’entends plus rien. Ma vision est floue. Pourtant je crois que je continue de frapper.
Je ne sens rien. Je ne vois rien. Est-ce que je bouge encore ?
Est-ce que je suis encore en vie ?
Bordel… Est-ce que je suis encore en vie ?
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