mercredi 9 novembre – Alors regarde

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Cher Journal,

Cette pochette, avec mes dessins d’enfant… Je me sens comme Luke Skywalker qui reçoit le sabre laser de son père, l’élément qui débloque la situation et ramène l’espoir. Sur ces bouts de papier, je parle de dessins animés, de bd, d’émissions de télé, d'idées bizarres sorties de mon imagination (je suis Capitaine Cool), et… c'est tout. Rien sur le foot, l’école, la musique, mes amis, une passion, comme si mon enfance se résumait à rester seul devant la télé avec Picsou, Astérix ou Sacha de Pokémon, plutôt qu’avec mes copains. Je refusais les invitations de Thibault, avec ses parents riches, sa maison à étage, deux buts de foot dans le jardin, plein de jeux de société, même une PlayStation, je préférais traîner avec un vieux canard avare et égoïste, un Gaulois qui vit seul et règle les problèmes des autres au lieu de profiter de sa vie, et un enfant qui emprisonne des animaux sauvages par peur de la solitude avant de les envoyer tabasser les animaux des autres, paye tes fréquentations.

La télé comme seule passion… J’oubliais l’importance qu’elle prenait dans ma vie. Et à quel point elle n’en a plus aucune aujourd'hui. Enfant, elle m’accompagnait tous les jours, matin, midi et soir, pour m’émerveiller, m'amuser, m’aider à comprendre le monde, et à comprendre comment le fuir. Plus les années ont passé, moins je la trouvais intéressante, elle ne m’aidait plus vraiment. On a changé tous les deux, on s’est éloignés naturellement. Jusqu’à se croiser seulement aux repas de famille, pendant les fêtes, où on ressort des vieilles photos où on rigolait ensemble, mais il n’y a plus de liens forts entre nous… Je connais très bien ce genre d’évolution : remplacez la télévision par mon frère, l'histoire sera la même.

Et ces dessins où je m’imagine en candidat de jeu télé… Voir un vrai plateau, passer ma tête sur tous les téléviseurs de ma ville d'enfance, prouver ma supériorité en gagnant, repartir avec un chèque, être heureux : un de mes rêves. Maintenant, je déteste ces jeux, superficiels, où tout est lisse, beau, sympa, sans défaut, on ne montre les humains que dans leurs meilleurs jours, et c’est naze. Je participerais à une émission seulement si elle ne triche pas, si elle dévoile notre vrai visage :

« Bonjour, bonjour ! On est ensemble pour : « N’oubliez pas votre passé » ! À vous de compléter les paroles… de vos souvenirs ! Accueillons notre candidat du jour ! Alors, que faites-vous dans la vie ?

– Je me le demande…

- Ah ! Un candidat mal à l’aise sur son futur ? Espérons qu’il soit plus à l’aise… sur son passé ! Vous êtes prêt ?

- J’espère.

- Complétez ces paroles de votre frère :

« Je détestais quand tu fouillais dans ma chambre. Mais j'avoue : je faisais pareil. Un jour, je t’ai volé un billet de vingt euros pour m’acheter des conneries. Je m’en suis voulu. Parce que t’es mon petit frère. Le même jour, j’ai appris que tu… »

À votre avis, quelle est la suite de ces paroles ?

- Hum… J’hésite… Je dirais :

« J’ai appris que tu avais pissé dans ma bouteille de coca pour te venger ? »

- Eh… bien… non ! Ce n'est pas ça ! Les bonnes paroles étaient :

« Le même jour, j’ai appris que tu me volais aussi des billets, que tu jetais dans les toilettes, par pure méchanceté. »

C’est perdu ! Vous repartez… avec des regrets ! »

Applaudissements. Générique. Jeu suivant.

« Une mère et son fils découvrent s’ils se connaissent vraiment dans : « Les Zamours de Famille » ! Une question pour le fils : « Quel est le nom du stagiaire avec lequel votre mère a trompé votre père quand vous étiez au collège ? »

- Quoi ? Attends, maman, c’est vrai ? C'est à cause de ça que vous vous engueuliez tout le temps avec papa ? Que je n'arrivais plus à parler avec vous, à me confier alors que j’en avais besoin ? Que je me suis renfermé sur moi-même, ce qui explique en partie la personne que je suis aujourd’hui ?

- Vous validez votre réponse ? »

On zappe. Jeu suivant.

« Une étape cruciale se dresse devant notre candidat de : « ROUTINE EXPRESSE : L’AVENTURE DU QUOTIDIEN » ! En effet, ses jours se ressemblent, il peine à aller de l’avant. S’il ne veut pas quitter l’aventure ce soir, il doit passer : « LE SENTIER DE L’ENNUI ». L’épreuve est très simple : enfermé chez lui, comme les autres jours de son aventure, notre candidat doit réussir une série d’épreuves sans jamais s’ennuyer. Pour la première, il dispose de trente minutes pour retrouver une photo d’enfance de son frère et lui, qu’il garde quelque part dans ses affaires depuis des années, et que ses parents veulent pour un futur événement. Il n’y a aucune autre contrainte, il suffit de rester concentré.

Et c’est… parti !

Notre candidat s’élance vers son bureau, fouille un premier tiroir, puis le deuxième. Il retrouve sa console de jeu du collège et tous ses souvenirs avec, attention à ne pas se détourner de l’objectif ! Heureusement, la batterie étant morte depuis longtemps, il ne se laisse pas distraire et poursuit son épreuve. Il cherche dans son armoire, en sort un petit carton, s’assoit sur son lit pour le fouiller, il s'approche du but ! Mais attendez : son téléphone vibre. Une notification sans importance. Non, il va perdre son temps ! Il se saisit de l'appareil, s’allonge confortablement, ouvre un réseau social, et passe les vingt prochaines minutes à visionner des publications insignifiantes ! C’est perdu ! Notre candidat quitte l’aventure, et ne sortira pas… de sa ROUTINE ! »

J’éteins la télé. Définitivement plus pour moi ces jeux à la con…

En fouillant dans ces dessins, je pensais trouver l’inspiration. Je n’ai retrouvé que des souvenirs sans intérêt et des rêves inutiles. Même si je l’aime, même si j’en suis nostalgique, mon enfance ne mérite pas sa chanson.

Je me sens comme Luke Skywalker qui regarde en détail le sabre laser de son père, n’y voyant qu’un vestige du passé sans intérêt, qu’il pose finalement dans un coin de la pièce sans plus jamais s’y intéresser. Ça ferait un moins bon film. Mais plus réaliste.

Encore merci Mamie pour la pochette, mais je vais me débrouiller sans. Je dois m’en sortir autrement.

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