lundi 14 novembre – On ira tous au paradis

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Cher Journal,

En me levant vers treize heures trente du matin, j’ai eu une révélation : j'ai du mal à me lancer dans mon défi musical. Ouais. J'ai trouvé ça tout seul. Pas besoin de payer un psy soixante-dix balles, je me diagnostique moi-même, désolé pour la concurrence chers confrères !

Jouer trois notes de piano dans une maison de retraite, j’en suis capable. Apprendre la guitare et écrire ma propre chanson, j'en suis moins sûr. Je n’ai rien à raconter… Je devrais voyager. Sortir pour trouver de nouvelles histoires, partir dans un endroit inspirant, plein de vie… Comme un coin visité par d'autres artistes. Un lieu qui a inspiré les plus grands m’apportera forcément ce que je recherche. Et ça me changera des apparts de trentenaires paumés, des garages ou des chambres de vieux.

J’ai allumé mon ordinateur. J’ai tapé :

« Lieu célébrité France »

J’ai laissé de côté les articles m’annonçant :

« Saviez-vous que vous pouvez croiser des célébrités si vous partez sur l'Ile de Ré en juillet ? »

Déjà, parce qu'on est en novembre. Surtout, parce que l'article oublie qu’on a plus de chance d’y croiser Monique et José en tongs sur un transat, Ricard à la main, avec leurs t-shirts « Mami-fique » et « Papi-quė des hannetons », couverts de sueurs :

« Parce qu’on a beau être proche de la mer, c'est que le soleil, il tape par ici ! »

L’article d’après m’a proposé… le Père-Lachaise. Tu parles d'un lieu plein de vie. L'endroit avec le plus de célébrités en France, c'est un cimetière. Ça, et le musée Grévin. Dans les deux cas, je ne m’attends pas à recevoir des tonnes de conseils des résidents. Mais l'inspiration peut venir de là : se balader, entouré par la mort, en se sentant vivant. Marcher dans un cimetière où repose des artistes, c’est passer un instant privilégié avec eux, ils deviennent beaucoup plus accessibles de leur mort que de leur vivant, tu peux leur parler… pas sûr qu’ils te répondent, mais tu peux. J’ai toujours voulu demander à Alain Bashung ce qu’il racontait dans ses textes, je l'écoutais en bagnole avec mes parents, je n’ai jamais rien compris. Si sa réponse, c’est :

« Moi non plus… »

Je serais déçu, mais pas totalement surpris.

Quand mon pote Clément a visité le cimetière, il m'a répété :

« Tu vois, t’es en plein Paris et t’entends rien ! C'est fou, nan ? ^^ »

Se balader dans un cimetière et n’entendre personne… Il trouve ça fou ? Je trouve ça rassurant. Un truc de fou, ce serait de s’approcher calmement d’une tombe, disons celle de Jacques Higelin, contempler ce monument inanimé, se perdre dans ses pensées, sa musique en tête, profiter de l’instant… Avant de sentir le sol trembler, la terre prendre vie, observer la tombe se fissurer, le squelette de Jacques Higelin en sortir, en hurlant :

« Tomber d'en haut ! Comme des petites gouttes d'eau ! Que j'entends tomber dehors ! À vous ! »

Ça, ce serait fou.

Pourquoi autant d'artistes ont choisi le Père-Lachaise ? Si je deviens connu, vraiment très connu, je détesterai que ma dépouille pourrisse en plein Paris. Je choisirais d'être enterré dans un village de campagne paumé. Comme Souancé-au-Perche. Même si je n’y ai jamais mis les pieds. Pour la première fois, grâce à ma mort, les Français sauront placer Souancé-au-Perche sur la carte. Vu que personne ne comprendra ce que mon célèbre cadavre fout ici, tout le monde lancera sa théorie. L’une d’elles prétendra qu’après ma mort paisible dans ma maison normande, le corbillard partit, à ma demande, avec mon corps en direction de Paris, avant de tomber en panne, car une pièce du moteur lâcha, qu’il fallut trois semaines avant de la recevoir, alors ma famille décida de m'enterrer dans le village le plus proche, Souancé-au-Perche, choix auquel je ne pus m’opposer au vu de ma situation… la mort. Mais tous les médias essayeraient de démonter cette théorie en enquêtant sur place :

« Monsieur le Maire, savez-vous pourquoi ce grand artiste est enterré dans votre petit village de… très peu d'habitants ? Y avait-il un lien familial ? Y a-t-il vécu une histoire d'amour cachée ?

- Heula ! Ben qu’est-ce j’en sais, moi ? Tout ce qu'il a dit dans sa lettre, c'est qu'il n'veut pas être dérangé par les voisins, pas de vis à vis ! On a respecté ses dernières volontés ! Le reste, s’pas mes oignons ! »

Avouez que c’est plus original que de croupir au Père-Lachaise.

Est-ce que ce lieu rempli d'artistes vaut le coup d’être visité ? Payer cinquante balles aller-retour un train vers Paris, prendre le métro, tomber dans un wagon où un inconnu chante du Alain Bashung, alors qu'il ne comprend pas plus les paroles que moi, tout ça pour un cimetière. Alors qu'il y en a un en bas de ma rue.

J'ai trouvé ça con.

Je ne suis pas parti au Père-Lachaise : j’ai préféré le cimetière de ma ville, celui du centre, face au trottoir des veuves. Je voulais voyager, visiter un lieu où des artistes ont laissé leur empreinte. À la place, au lendemain d’une journée en maison de retraite, j’ai marché au milieu de tombes d’inconnus, à cinq cents mètres de chez moi. J’ai bien regardé, aucun chanteur ne reposait dans le coin, j’ai trouvé la tombe d’un monsieur « Delpech », même pas sûr que ce soit un cousin éloigné. Je n’ai vu que des plantes et des cailloux. Comme à Jardiland. Sans les oiseaux mignons enfermés comme des prisonniers dans des cages. Qu’avec des ex-humains enfermés sous terre.

Tout est pourri ici… Ça ne m’a inspiré aucune chanson.

Ce n’était même pas le cimetière où mon grand-père est enterré. Même mort, je ne vais pas lui rendre visite. J’ai pensé à ma grand-mère qui serait triste d'apprendre que je ne vais pas le voir. Que je ne vois personne de la famille. Que je n’avance pas dans ma musique.

Pourri de chez pourri…

Je devais penser aux paroles de ma chanson, à la place, je pense à ma grand-mère. Comme si j’avais une préférence entre les deux…

Je devrais l'appeler.

Voilà la drôle de conclusion de ce drôle de lundi.

Ma grand-mère n’est pas une musicienne qui a rempli des stades. Mais c'est une artiste. À sa manière. Elle est inspirante. Elle est pleine de vie. Elle peut répondre à mes questions. Et si je lui demande gentiment, je suis sûr qu’elle peut me chanter « Tombé du ciel » de Jacques Higelin ou m’expliquer des paroles de Bashung.

Oublions les voyages. Demain, j’appelle Mamie. Promis.

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