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Lorsqu’il ouvrit les yeux, il mit un instant à se rappeler l’endroit où il se trouvait. Il était chez lui. Dans sa chambre, dans laquelle il n’avait pas dormi depuis des années. Il était tombé dans le sommeil d’un coup, la veille. Il s’assit dans son lit, puis sursauta. Il n’était pas seul.

« Bien dormi ? lui demanda Sergey avec un sourire.

- Que faites-vous ici ?

- Tu nous manquais, alors nous sommes venus te chercher. »

Tōru se leva et attrapa son épée.

« N’y pense même pas. » menaça Pavel.

Le jeune garçon hésita à appeler Vey. C’est alors que la voix de l’esprit résonna dans sa tête.

Laissez-les faire. Ne vous en faites pas.

Il ne comprenait pas. Cependant, Vey avait toute sa confiance. Il baissa les yeux. Sergey reprit :

« Rentrons à la maison. »

À la grande surprise des deux Chasseurs, Tōru les suivit sans résistance.

« Tu nous caches quelque chose ? » s’amusa Sergey.

Le garçon ne répondit rien. Son regard s’assombrit.

« Très bien, tu peux garder ça pour toi. À présent, allons-y. »

Ils redescendirent et quittèrent la maison. Une fois dans la rue, ils commencèrent à marcher vers l’endroit où étaient restés leurs Ipsa. C’est alors qu’ils croisèrent une patrouille nocturne. Ces membres de la garde étaient chargés de maintenir l’ordre jusqu’à l’aube. Leur capitaine les interpela.

« Veuillez décliner vos identités. » ordonna-t-il.

Pavel ne masqua pas son expression excédée.

« Sergey et Pavel Kessikbayev, déclara-t-il, cela vous évoque-t-il quelque chose ?

- Excuses-moi, messieurs, mais vous connaissez le protocole…

- Évidement.

- Et lui, qui est-il ? se risqua le capitaine en désignant Tōru.

- Cela ne vous concerne pas.

- Comprenez que mon rôle est de poser des questions, et que par conséquent…

- Ne vous en faites pas, intervint Sergey, nous allons en référer à l’Empereur. Cela ne dépend plus de vous.

- Très bien ; conclut le capitaine, légèrement déstabilisé ; en ce cas…

- Nous vous laissons retourner à votre mission. » compléta aimablement le Chasseur.

Il commença à partir à grands pas, suivi de Pavel et Tōru. Il tentait désespérément de réprimer son sourire. Il adorait jouer ainsi avec ses interlocuteurs, et sa position lui permettait de le faire à loisir. Son frère arriva à son niveau, l’air sombre, et lui dit :

« Sergey, cesse d’agir ainsi.

- Si on ne peut plus plaisanter…

- Ce n’est pas uniquement cela. Tu as dit que nous allions voir l’Empereur, alors que nous étions censés rejoindre les autres.

- Et alors ?

- Ne prend pas cela à la légère. Les ordres sont les ordres…

- Et nous recevons nos ordres en premier lieu de l’Empereur. l’interrompit Sergey.

- Et ce que nous a dit Nikita est on ne peut plus clair. poursuivit son frère. Mais à présent, dans l’hypothèse où ils feraient un rapport, nous sommes obligés de nous rendre au palais. Pourquoi faut-il toujours que tu n’écoutes pas ? »

Sergey haussa les épaules. À partir de ce moment-là, Pavel ne décocha plus un mot. Tōru était étonné de la tournure que prenaient les événements. Il tenta de contacter mentalement Vey, mais elle demeurait silencieuse et il ne pouvait ressentir sa présence. Il retint un soupir. Et continua à suivre les Chasseurs. Il commençait à comprendre les intentions de l’esprit. Elle voulait qu’il rencontre l’Empereur. Seulement, il ne voyait pas pourquoi. D’autant qu’il ne parvenait pas à se faire une opinion de cet homme. Certes, il avait été le meilleur ami de son père, mais il l’avait également condamné, entraînant la mort de sa femme et la séparation de ses enfants. Mais le fait qu’il ait ensuite pris soin Sakura prouvait peut-être qu’il avait tenté de se racheter ; d’autant qu’elle ne semblait pas le détester. Les intentions de cet homme étaient équivoques.

Le soleil se levait progressivement, et quand ils parvinrent sur la place devant le palais, il avait dépassé la plus haute de ses tours. Lorsqu’ils passèrent le portail, les gardes n’esquissèrent pas un mouvement. Tōru eut un léger sourire en pensant que ces hommes, à la différence de la patrouille nocturne, avaient reconnu les Chasseurs. Ils marchèrent le long d’une allée et entrèrent dans le palais. Ils traversèrent une grande entrée et arrivèrent devant une porte dont deux gardes interdisaient l’accès. Pavel s’adressa à l’un d’eux et lui demanda où se trouvait l’Empereur. Il lui répondit qu’il était dans les jardins. Les Chasseurs et le garçon franchirent la porte, traversèrent diverses pièces en enfilade, puis arrivèrent à une grande terrasse. Elle donnait sur de gigantesques jardins aux multitudes de plantes colorées. Les yeux de Tōru s’agrandirent sous l’effet de l’émerveillement. Il repéra une silhouette qui se promenait dans les allées, qu’ils rejoignirent.

En les entendant approcher, l’homme s’arrêta et se tourna vers eux. Il était de taille moyenne et d’apparence assez jeune, environ trente ans. Il avait une expression triste, comme si la vie l’avait fatigué avant l’âge. Il eut l’air étonné lorsqu’il reconnut Tōru. Le jeune garçon pour sa part le trouvait assez différent des images qu’il avait vues. Il avait du mal à s’expliquer cette mélancolie semblant imprimée dans chacun de ses gestes. Les deux Chasseurs s’inclinèrent et Sergey commença :

« Votre Altesse, nous souhaiterions vous entretenir d’un sujet d’importance.

- Est-ce la présence d’Akihito en ces lieux ? demanda l’Empereur d’une voix ne trahissant aucune émotion.

- C’est cela.

- Laissez-moi avec lui. »

Les jumeaux eurent l’air surpris, mais ne répondirent rien. Ils s’éloignèrent. Tōru se retrouva seul avec l’Empereur, ne sachant que dire, ignorant tout des règles à la cour impériale. Son interlocuteur lui sourit et déclara :

« Ne t’en fais pas pour le protocole, je n’y accorde pas vraiment d’importance. J’imagine que tu es ici car tu as réussi à leur échapper, mais qu’ils t’ont retrouvé.

- Oui.

- Et as-tu une demande particulière à formuler ?

- Comment dire… Pour être franc, je cherche désespérément de l’aide, mais…

-Tu n’es pas sûr que je sois la bonne personne, je me trompe ? Après tout, continua-t-il, cela n’a rien d’étonnant. Après ce que j’ai fait, c’est plutôt à toi de m’en vouloir. »

Il y eut un silence.

« Je voudrais comprendre. dit finalement Tōru.

- Cette triste histoire n’est pas vraiment compliquée. Tu ne l’ignores pas, ton père et moi étions meilleurs amis. De longues années durant, rien de bien exceptionnel ne se passa, excepté sur les champs de bataille. Nous nous connaissions depuis toujours, et nous formions un duo dévastateur. »

Une étincelle s’alluma dans ses yeux au fur et à mesure qu’il parlait.

« Nous étions comme des frères. L’un était toujours là pour l’autre. J’ai même été son témoin, le jour de son mariage. C’était peu de temps avant que je ne devienne Empereur. Mais quand j’ai succédé à mon père, les difficultés ont commencé. J’étais certes bien préparé à régner, mais rien en revanche ne m’aurait permis de m’imaginer à quel point une cour peut être corrompue. Évariste m’avait souvent gentiment reproché d’être un idéaliste, et il avait bien raison. Alors que l’Empire devenait de jour en jour plus florissant, la situation se détériorait peu à peu pour moi. Détenir le pouvoir suprême ne signifie pas que l’on échappe aux intrigues des hommes. Ton père a toujours été à mes côtés pour me seconder, et grâce à lui j’ai pu gouverner avec justice. Cependant, sa position privilégiée dans mon entourage a vite fait des envieux. Je ne décrirai pas ici les manipulations et les complots qui se sont tramés pour le faire chuter. Mais il était inatteignable. Je m’efforçais de le protéger, malgré la difficulté croissante. Et un jour, ses détracteurs sont parvenus leur objectif. Ils l’ont accusé d’un crime infâme, apportant maintes preuves accablantes auxquelles il n’a rien pu répondre. J’ai tenté de prouver son innocence, mais même moi on ne m’écouta pas. J’avais perdu tout crédit auprès de ces gens. Tout démontrait qu’Évariste était coupable, et qu’il devait de ce fait subir les conséquences de ce dont on l’accusait. J’ai alors pris conscience du point où j’en étais arrivé : pris au cœur de sombres intrigues, contraint de rendre la justice sans quoi mes jours aussi étaient en danger, ainsi que le pouvoir impérial. Car en effet, comment faire confiance à un Empereur ne faisant pas son devoir ? J’ai brusquement réalisé que je n’avais plus aucune liberté. Les adversaires de ton père n’en référaient à moi que parce que le protocole me désignait comme le juge de mon meilleur ami. Mais en vérité, ils agissaient comme bon leur semblait. J’ai été contraint à le condamner. Je ne me pardonnerai jamais ma lâcheté. »

Il y eut un silence. Tōru mesurait à présent l’ampleur du drame. Le regard de l’Empereur était fixé sur un point indéterminé au loin. Après un long moment, il reprit :

« À présent, ma situation n’est pas meilleure. Je ne suis pas de taille à m’opposer à mes ennemis. Je ne suis qu’un pantin entre leurs mains, ils ne me laissent gouverner que pour mieux machiner leurs complots. »

De nouveau, aucun des deux ne parla.

« Je ne te demande pas de me pardonner. Mais si je pouvais t’aider, j’aurais au moins le sentiment de me racheter. C’est pour cela que j’ai recueilli Sakura, et pris soin d’elle. Je comprendrais parfaitement que tu ne me fasses pas confiance, mais crois-moi au moins quand je te dis que le remords me ronge depuis toutes ces années.

- Je… commença Tōru. Je ne souhaite qu’une chose, être libéré du pouvoir des Chasseurs. Je le demande non seulement pour moi, mais aussi pour Sakura et Sei, qui sont là-bas.

- As-tu des nouvelles d’elle ?

- Malheureusement, hésita-t-il, elles ne sont pas très bonnes.

- Ne me dis pas que… »

L’Empereur se tut. Il paraissait animé d’une nouvelle énergie.

« Je leur avais pourtant interdit de s’approcher d’elle ! s’exclama-t-il. Et Nikita a tenté de me cacher cela ! Il est temps qu’il se rappelle qu’il me doit allégeance ! »

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