- Chapitre 18 -
Vendredi 11 septembre 2020, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.
Deux heures et demie plus tard, de retour dans leur chambre, Ryu et son ami disputèrent le premier tour de douche à pierre-feuille-ciseau. Ryusuke gagna la manche trois à deux, poussa une exclamation enjouée puis fila dans la salle de bains. Dépité, Jeremy récupéra au moins une serviette pour ne pas dégoutter sur le parquet et se laissa choir au bord de son lit. Les yeux dans le vide, il écouta les gargouillements de son estomac et l’écoulement du jet d’eau. Il ne rêvait que de son lit – le vrai, celui de Seludage – et des spaghettis de sa mère.
Son cœur se tordit tandis qu’il s’interrogeait pour la centième fois à propos de sa famille. La conclusion la plus sordide qu’il avait tirée était que sa mère et sa sœur avaient été victimes de trafic d’êtres humains. Comment expliquer la situation autrement ? Ils n’étaient qu’un foyer anonyme de Sludge ; personne ne leur voulait du mal. Ce n’était pas un cambriolage : l’électroménager et les objets de valeur étaient restés en place. Un enlèvement ? Mais, dans ce cas-là, où était la demande de rançon ?
Frustré, Jim resserra la serviette autour de ses épaules puis glissa une main sous le col humide de son t-shirt. Il referma les doigts sur le cordon en cuir autour de son cou puis le tira sous son nez. Ternes depuis longtemps, les deux petites perles jumelles qui faisaient office de pendentif luisirent faiblement à la lumière. Il était temps de contacter Mike. C’était le dernier recours de Jim. Puisque la A.A n’avait même pas voulu entendre son histoire, l’adolescent devait compter sur le deuxième adulte de son entourage auquel il faisait confiance. Et il était persuadé que son parrain mettrait tout en œuvre pour l’aider. Même si le contacter signifiait sûrement se retrouver nez-à-nez avec…
— Jimmy ! lança vivement Ryu depuis la salle de bains. C’est bon, tu peux y aller. J’ai fait au plus-vite, pour qu’on ait le temps d’aller manger à la cantine.
Tiré de ses pensées, Jim adressa un hochement de tête reconnaissant à son ami puis se leva. Impatient d’être sous la douche, il tourna le verrou, jeta son t-shirt sale dans la corbeille à linge, se débarrassa rapidement du reste de ses vêtements puis bondit dans la cabine. Comme Ryu était passé juste avant, l’eau chaude jaillit immédiatement. Il la laissa remouiller ses cheveux et resta tête baissée plusieurs secondes, le temps de délasser ses muscles un par un.
Quand il rouvrit les yeux, il agrippa de nouveau son collier. Le cuir était élimé, les perles en mauvais état. Mais c’était le rappel le plus efficace qu’il avait encore des gens sur qui il pouvait compter. Avec un soupir, Jeremy lâcha le cordon puis récupéra la bouteille de gel douche. Ce n’était même pas son collier. Quand il avait onze ans, son parrain lui avait offert un set de matériel à dessin. C’était une époque mystérieuse où Jim s’était mis en tête d’apprendre à dessiner – alors qu’il traçait ses lettres horriblement. L’idée l’avait quitté quelques mois plus tard, d’ailleurs, remplacée par le désir ardent de se mettre à la musique – envie qui, elle, ne s’était pas dissipée. Pourtant, le jour où il avait reçu le set, il n’avait pu garder son cadeau. Thalia avait piqué une crise de jalousie et, incapable de la consoler, Jeremy avait cédé et échangé son présent avec celui de sa sœur. Maussade, il s’était retrouvé avec un collier entre les mains à essuyer les taquineries de sa mère. Son parrain avait lui-même passé le cordon autour du cou de Jim avant d’affirmer que ça le rendrait peut-être moins sauvageon.
Rendu amer par le souvenir, Jeremy décida d’écourter sa douche et se rhabilla en vitesse. Ryusuke l’attendait patiemment en lisant. Dès que les deux adolescents furent prêts, ils se hâtèrent vers le bâtiment nord qui abritait la cantine. Quarante-cinq minutes s’étaient écoulées depuis la fin du dernier cours et la file d’attente était minuscule. Tout comme le choix restant pour leurs plats. Ils cherchèrent Mia et Valentina des yeux, mais les filles devaient manger de leur côté, car ils ne les virent nulle part.
À quatorze heures, ils patientaient devant leur salle de physique-chimie.
— Des labos, s’exclama Ryu en se penchant pour apercevoir l’intérieur de la classe. On va sûrement manipuler.
Guère enthousiasmé, Jeremy pinça les lèvres puis jeta un coup d’œil aux élèves qui discutaient près de lui. Il aperçut la tignasse rousse de Mia à quelques mètres, mais elle ne se tenait pas aux côtés de Valentina. Elle échangeait avec l’adolescent blond qui s’était adressé à Jim le matin-même. Le Régulier.
— Dis, Ryu, souffla Jim en attrapant le bras de son ami. Le mec blond, là-bas, avec Mia, tu le connais ?
Songeur, Ryusuke dévisagea longuement son camarade de classe puis secoua la tête.
— Je l’avais repéré en classe, mais je le connais pas spécialement.
— Nan, mais je veux dire… Tu l’as jamais vu avant d’arriver ici ?
— Non, ça, j’en suis sûr, nia son ami en lui jetant un regard troublé. Pourquoi ?
— Pour rien, embraya Jeremy en baissant les yeux. C’est un Régulier. Je sais pas pourquoi Mia lui parle. Valentina aussi lui a parlé, ce matin.
Dubitatif, Ryu observa son ami avec une grimace puis soupira.
— Jimmy, c’est un peu bête de mettre tout le monde dans le même panier. C’est pas parce que… (Il baissa subitement la voix pour continuer :) … Hugo et Emily sont des imbéciles qu’ils le sont tous. Et je fais confiance à Mia et Valentina ; si elles lui parlent, c’est qu’il doit être sympa.
Toujours refroidi par l’expérience désagréable qu’il avait eue avec les deux Réguliers, Jim plissa les lèvres. Jason ressemblait-il à un ancien camarade de son collège pour qu’il ait l’impression de l’avoir déjà vu ?
Il n’eut pas le temps de se poser plus de questions, car leur professeure les appelait en classe.
Jeremy s’ennuya un peu moins que d’habitude pendant le cours, soulagé par la possibilité de bidouiller des instruments et d’observer des résultats. Ryusuke lui laissa faire la majeure partie des manipulations, conscient du peu d’entrain que son ami montrait dans les autres cours. L’heure s’écoula sans heurt, si ce ne fut un petit accrochage entre deux binômes d’élèves à l’avant de la salle. Comme Ryu et son ami s’étaient installés à l’arrière, ils n’entendirent pas ce que se lancèrent les deux groupes. Ils remarquèrent toutefois que Hugo et Emily étaient impliqués.
Jim et Ryusuke durent se séparer pour l’heure d’après, le premier filant en italien et le deuxième en espagnol. Valentina rejoignit Ryu dans les couloirs. D’habitude souriante et confiante, la jeune fille affichait une visage fermé et des yeux luisant de colère retenue.
— Ça va ? souffla Ryu avec hésitation alors qu’ils atteignaient leur salle de cours.
Valentina sortit de sa torpeur en haussant mollement les épaules. D’un œil prudent, elle s’assura qu’aucune oreille indiscrète ne pouvait les entendre puis murmura à l’adresse de son camarade :
— Tout à l’heure, en cours… Vous avez dû voir, deux groupes se sont embrouillés.
Ryu hocha vivement la tête, impatient d’en apprendre plus sur le petit incident.
— Ben, y’avait le binôme d’Emily et Hugo dans les deux. Ils se sont foutus de la gueule de Sana.
— Je sais pas qui c’est, avoua Ryusuke avec une grimace.
— Une fille de notre classe… qui a des origines, comme tous les foutus habitants de ce continent qui ne sont pas Amérindiens. (Valentina s’efforça à prendre une grande inspiration pour ne pas imploser.) Tu sais, aujourd’hui, c’est les dix-neuf ans des attentats du onze septembre.
Visage grave, Ryu acquiesça, même s’il ne comprenait pas toujours le rapport avec l’accrochage qui s’était produit quelques minutes plus tôt.
— Ben Emily a lancé à Sana que le cours de chimie était pas un prétexte pour fabriquer une bombe. Hugo en a rajouté une couche et ça a pété.
— Ils sont sérieux ? bredouilla Ryusuke, choqué par la nature des propos.
— Malheureusement. La prof a vite séparé les deux groupes, donc c’est pas allé plus loin, mais le mal est fait. Sana est sortie de la classe en pleurant.
— Je comprends pas pourquoi ils sont comme ça, soupira Ryusuke en s’engageant dans la classe lorsque le prof leur fit signe. Tu t’assoies à côté de moi ?
— Volontiers. Je savais pas que tu faisais de l’espagnol.
— Eh bien, si… Et toi ? Tu dois être bilingue, tu t’ennuies pas en cours ?
Sourire amusé aux lèvres, Valentina posa son visage sur ses mains, les yeux perdus dans la contemplation de l’extérieur – qui n’offrait pourtant pas de vue très agréable.
— Je m’ennuie un peu, mais au moins j’ai des super notes.
— T’as bien raison, s’esclaffa Ryu avant se taire face au regard sévère de l’enseignant.
La 3ème A se retrouva en classe entière pour la dernière heure de la semaine. L’impatience du week-end montait dans les couloirs, où les professeurs devaient rappeler à l’ordre les récalcitrants plus que d’habitude.
L’accrochage survenu en chimie flottant toujours dans l’esprit des adolescents, le cours de sciences militaires s’écoula dans une ambiance tendue. Comme Jeremy n’était pas au courant de ce qui s’était passé, Ryu lui expliqua, en chuchotant, les insultes qu’avaient proféré Hugo et sa partenaire à l’adresse de Sana – qui n’était pas retournée en cours depuis.
— Quels salauds, siffla Jim à voix basse en fusillant du regard Emily et son comparse.
— Je comprends pas pourquoi ils s’en prennent à nous comme ça. C’est pas très encourageant de se dire qu’on va passer l’année avec eux.
— Ryu, rien est sûr de ce côté-là, maugréa son ami d’un ton sec en fronçant les sourcils. Rappelle-toi que la A.A doit encore approuver nos dossiers. Et vu comme ils ont l’air, j’ai pas l’impression que ce soit gagné.
Piqué, Ryu se tourna brusquement vers lui et susurra :
— Jeremy, j’en peux plus de t’entendre dire qu’on a aucune chance. C’est insupportable. T’es toujours défaitiste, tu veux jamais voir le bon côté des choses. Toi, peut-être que t’as pas envie d’être ici, mais moi oui. Alors arrête avec tes sous-entendus et fous-moi la paix.
Ryusuke se tut en rougissant lorsqu’il remarqua que les regards du professeur et de ses camarades étaient plantés sur eux. Il s’était emporté, il le savait. Ce n’était pas toujours évident de passer vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec Jim. Il ne cessait de répéter qu’ils n’avaient pas leurs chances, qu’ils échoueraient, qu’il valait mieux ne pas se projeter. Mais Ryusuke avait envie de croire en sa chance, il avait envie d’une nouvelle vie. Contrairement à son ami, il avait besoin d’avancer pour aller mieux.
— Il est tout le temps rouge, gloussa une fille dans un coin de la salle. Il va peut-être exploser.
Elle s’était exprimée trop bas pour que le prof l’entende depuis son bureau, mais assez distinctement pour que Ryusuke perçoive ses mots. Une nouvelle vague de colère déferla en lui et il se leva de sa chaise. Un silence de souffles retenus tomba dans la pièce.
— Tu as dit quelque chose ?
Ryu ne reconnut pas sa propre voix. Elle était à la fois grave et pincée par la fureur. Mais elle avait porté, tous l’avaient entendue, et chacun attendait une réponse. La fille qui s’était exprimée tourna du rose au blanc en prenant conscience de la situation dans laquelle elle s’était fourrée.
— Sale lâche, cracha Ryu en faisant un pas dans sa direction. Si tu as quelque chose contre moi, dis-le maintenant.
— Du calme, lança le professeur depuis son bureau d’un air las. Allez, on reprend le cours.
Un garçon se leva brusquement vers l’avant de la classe. Le corps crispé comme s’il venait de se faire électriser, Ryu se tourna vers lui. C’était Hugo.
— Monsieur, vous allez le laisser agresser Sophie comme ça ? lança-t-il d’un ton provocateur en fusillant du regard son camarade.
Face aux murmures étonnés qui enflaient autour de lui et aux regards déconcertés des élèves, Ryu sentit son courage s’envoler. Qu’est-ce qui lui avait pris ? Il s’était servi de sa colère envers Jim pour nourrir son assurance, mais celle-ci s’était effilochée. Prétendre qu’il se sentait sûr de lui et en confiance n’avait jamais été le fort de Ryusuke. Il s’en rappelait un peu tardivement.
— Tout va bien, trancha le prof en tapant sur son bureau à l’aide d’une règle. Hugo, rassieds-toi. (Comme il ne connaissait pas encore très bien les deux nouveaux élèves, l’enseignant appuya son regard sur Ryu.) Toi aussi.
Les deux garçons n’insistèrent pas plus. Ryusuke garda le nez baissé sur sa trousse, encore mortifié par son élan de colère. Quant à Jim, il fixa l’extérieur pour le restant du cours, blessé par les mots que lui avait jetés son ami.
Valentina et Mia retrouvèrent les deux amis dès la sortie de la classe. Toujours mortifié par ses propres agissements, Ryu accepta avec reconnaissance le soutien des deux filles. Mia lui proposa même de venir voir un film dans leur chambre.
— On peut regarder une comédie débile, approuva Valentina en passant un bras amical autour du cou de Ryusuke. Histoire de se détendre.
— OK, accepta l’adolescent en s’esclaffant. Jim, tu viens ?
Son ami, qui traînait les pieds derrière eux, leva la tête à la mention puis la secoua.
— Non, désolé, je dois faire un truc.
Étonné, Ryu ne répondit rien. Il était trop encore trop accaparé par son élan de colère survenu plus tôt pour s’interroger sur les motivations de son ami.
Ryu suivit donc les deux filles dans leur chambre tandis que Jim rejoignait la sienne. Il jeta son sac de cours sur le lit et entreprit de fouiller tous les documents qu’il avait emportés avec lui. Papiers d’identités, ordonnances médicales, devoirs roulés en boule qu’il avait omis de montrer à sa mère… Mais pas de note avec le numéro de téléphone de Mike.
— Merda, marmonna l’adolescent en se laissant choir au bord de son lit.
Il ne connaissait pas le numéro de son parrain… Il devait être marqué sur un papier quelque part chez lui, mais Jim était bloqué à l’École : il ne pouvait sortir sans l’autorisation de son recruteur.
Frustré, l’adolescent récupéra une barre de céréales dans la petite réserve que Ryu et lui s’étaient constituée pour leur goûter et petit-déjeuner puis sortit. Des exclamations provenaient de l’espace détente le plus proche. Il reconnut la voix suffisante d’Emily et le ton blasé de Hugo.
— J’ai vraiment cru qu’il allait s’en prendre physiquement à moi…
Jim fronça les sourcils, sa barre de céréales en travers des dents, en s’adossant au mur près de l’espace détente. Il était presque certain que la fille qui venait de s’exprimer était celle qui avait lancé la remarque déplacée à Ryu une heure plus tôt.
— L’Asiat’ ? Tu rigoles ? Il oserait jamais, c’est qu’un foutu lâche.
Les épaules de Jim se tendirent tandis qu’il cassait en deux sa barre d’un mouvement sec des dents. Il avala à moitié de travers, toussa, puis se décolla du mur. Les cinq élèves rassemblés dans le coin détente ne le virent pas approcher et continuèrent vivement :
— Lâche, lâche, répéta Sophie d’un air guère convaincu en secouant la tête. Il l’a ouvert devant toute la classe, n’empêche.
— Que de la gueule, rétorqua Emily d’un ton dédaigneux en se laissant aller dans le canapé. Je suis certaine qu’il se pisserait dessus en face-à-face. La preuve : quand je lui ai parlé, le premier jour, il a rien osé dire. C’est son pote gothique qui a répondu.
Je suis pas gothique, songea brièvement Jeremy en grimaçant avant de faire quelques pas de plus. Hugo finit par le repérer et haussa des sourcils moqueurs.
— Quand on parle du loup… Tu veux quoi, le sauvage ? Tu comprends, quand on te parle, au moins ?
Interloqué par les propos de son camarade, Jim ne répondit pas immédiatement. Il n’avait jamais essuyé de telles insultes dans son ancien collège… et ne savait donc pas forcément comment y répliquer.
— Ryu s’en serait jamais pris à toi, assura-t-il en jetant un coup d’œil à Sophie, dont le visage se plissa. Et c’est plutôt ironique de le traiter de lâche alors que vous osez même pas nous dire en face ce que vous pensez.
— Tu rigoles ? s’exclama Hugo en se levant. Je me gêne pas pour le faire, perso. Surtout avec les demeurés comme toi qui méritent absolument pas d’être ici.
Jim effrita le reste de barre de céréales qu’il tenait à la main en serrant le poing. Il en était rarement venu aux mains dans son ancien collège, mais c’était arrivé deux ou trois fois. Les disputes qu’il avait eues avec sa mère par la suite étant plus violentes que les confrontations elles-mêmes, l’adolescent avait fini par mettre de côté son envie d’en découdre. Il craignait alors plus le courroux de Maria que son honneur blessé.
Mais cette envie revenait pourtant à toute allure face à la bande de Réguliers qui le toisaient avec dédain. En le voyant approcher un peu plus, Emily se releva d’un bond, sa natte de cheveux auburn fouettant son épaule. Jim se rappela brièvement qu’elle devait connaître les arts martiaux puisqu’elle suivait le cursus S.U.I puis poussa la pensée de côté.
— Recule, siffla Emily en se plantant devant lui.
Elle dépassait Jeremy de quelques centimètres. Il la toisa pourtant sans ciller, chaque cellule de son corps la provoquant d’avancer d’un pas de plus.
— Eh, le sauvage, gronda Hugo en s’avançant à son tour, je te déconseille de toucher à Emy.
— Autrement quoi ? le provoqua Jim en braquant un regard furieux sur son camarade.
Un bref rire incrédule franchit les lèvres de Hugo, qui écarta légèrement les bras.
— On t’a pas dit qui on était, ou quoi ?
Un froid désagréable descendit la colonne vertébrale de Jeremy. Ce qu’avait affirmé Valentina à propos de certains Réguliers « intouchables » n’était donc pas exagéré ?
— Vous vous prenez pour qui ? susurra Jim en fronçant les sourcils. On est dans une foutue école, vous savez ?
— À la différence que cette école est l’une des plus prestigieuses de Modros. T’as déjà de la chance qu’elle accepte des abrutis comme toi. Tu devrais quand même pas oublier qu’on est les vrais élèves ici.
— Les vrais élèves ? répéta Jim d’un air éberlué. Et c’est moi le demeuré ?
Emily lui adressa un regard assassin en serrant légèrement le poing. Ayant perçu son animosité, Jeremy se tendit à son tour. Tout chez ces adolescents lui hérissait le poil : leur apparente supériorité, leur dédain ordinaire, leur jugement sur des sujets dont ils ne savaient rien…
— Retourne donc dans ta chambre, le sauvage, lança Hugo en croisant les bras sur sa poitrine. Si l’école de S.U.I a été fondée, c’est pour former l’élite des forces armées de Californie. Les sans-papiers de Sludge en font pas partie.
Jim savait pertinemment qu’il ne pouvait pas faire grand-chose à cinq contre un – surtout si ces élèves suivaient depuis un moment des entraînements au combat. Pourtant, le goût amer de l’injustice et la brûlure des insultes lui tordaient les tripes.
— Quelle bande de connards vous faites, cracha-t-il en fusillant du regard chacun des adolescents un par un.
Mâchoires serrées, il recula de quelques pas, découragé par le nombre d’yeux assassins posés sur lui. Il détestait l’idée de leur tourner le dos sans avoir essayé de de défendre son cas, mais son instinct lui soufflait que tous les mots du monde n’y changeraient rien.
— Allez, casse-toi le sauvage. T’es qu’un sale lâche.
Un souffle fébrile franchit les lèvres crispées de Jeremy. Un sourire narquois plissait le visage suffisant de Hugo lorsqu’il se tourna vers lui. Emily lui barra le chemin, mais Jim la repoussa aussitôt. Alors qu’il la dépassait, Emily lui agrippa le bras, le plia dans son dos et siffla :
— Pas bouger, toi.
L’agression physique fit sauter les dernières limites de Jim. Avec un grognement, il tourna brusquement les talons pour se retrouver nez-à-nez avec Emily. Son bras tordu lui faisait mal, mais ne l’empêcha pas d’asséner un coup de tête dans le menton de l’adolescente.
Elle poussa un cri de douleur en reculant tandis que ses camarades bondissaient des fauteuils et canapés dans un concert d’exclamations. Jeremy, encore un peu sonné par le coup qu’il avait asséné, échappa de justesse à la grippe d’un garçon avant de bondir vers les couloirs. Tout en s’élançant à sa suite, Hugo lui jeta une flopée de jurons acerbes. Il dut néanmoins laisser tomber sa course en constatant qu’Emily était prostrée à terre, les mains sur le visage. Le cœur battant, il s’approcha de son amie et posa le bras sur son épaule.
— Emy ?
— Elle saigne, s’étrangla Sophie en jetant un regard inquiet à Hugo. Faut l’amener à l’infirmerie.
Le corps engourdi par la crainte d’une blessure sérieuse et par la colère d’avoir laissé Jeremy lui échapper, Hugo prit sa partenaire par la taille et l’entraîna ver les escaliers. Sophie suivait en frottant le dos de son amie qui sanglotait.
— T’inquiète, Emy, murmura-t-il d’une voix sourde, on va pas laisser passer ça.
Annotations
Versions