- Chapitre 50 -
Mercredi 3 mars 2021, Parc national du Grand Bassin, Nevada, États-Unis d’Amérique.
Avec un soupir de soulagement, Jim boucla le dernier exercice de maths que son prof particulier lui avait exigé pour le lendemain. Il terminait le chapitre sur l’étude des fonctions. Le prochain portait sur les équations à deux inconnues. Petit à petit, l’adolescent rattrapait son retard scolaire et, dans la même lancée, le niveau de la Ghost Society. Leur programme scolaire était en avance sur le niveau national. Ce serait bien la première fois que Jeremy avait de l’avance par rapport aux autres élèves de son âge.
Il referma son cahier en plissant les lèvres. D’autres devoirs l’attendaient, mais seules les mathématiques avaient su l’intéresser suffisamment pour qu’il s’y mette. Le découragement et un sentiment diffus de tristesse l’avaient enveloppé d’un cocon opaque toute la journée. Une information douloureuse tournait en boucle dans son esprit. Aujourd’hui, c’était son anniversaire. L’anniversaire de son ancienne identité, du moins.
Joyeux anniversaire, se souhaita-t-il avec une ironie amère. Déjà quatorze ans.
Jeremy rangea son cahier avec brusquerie, se leva en faisant racler sa chaise puis se jeta sur son lit deux-places. Ses draps portaient à présent son odeur, le matelas et les oreillers les formes de son corps. Trois des livres de littérature classique avaient été rangés sur une étagère, terminés. Deux autres étaient en cours et jetés sur la table de chevet. Jim n’avait jamais été féru de lecture mais, en absence de télévision et d’ordinateur, il avait fini par s’y pencher. Il lui avait fallu de nombreuses heures avant de trouver le moindre intérêt aux phrases pas toujours simples qui s’alignaient sous son nez. Sans compter que Jim avait découvert grâce à la lecture que ses écrits comportaient moins de fautes et plus de vocabulaire.
L’adolescent était toujours allongé dans son lit, rêvant de gâteau au chocolat, de jeux vidéo emballés, de bougies à souffler, quand on toqua. Sourcils froncés, il se tourna sur le dos et lança d’une voix ennuyée :
— Entrez.
— Ta porte est verrouillée, abruti.
Demi-sourire aux lèvres, Jim s’étira avant de se décider à se lever. Rebecca affichait une moue renfrognée quand il ouvrit.
— Désolé, j’ai cru que c’était ton père ou un de mes profs. Comme ils ont les cartes magnétiques qui ouvrent les portes…
— Je te pardonne, le coupa-t-elle sans s’attarder, le bousculant à moitié pour entrer dans la chambre. Ça pue.
Vexé, Jeremy la toisa d’un air maussade.
— Ça pue pas.
— Si. Ça sent… l’ado puant.
— Mais encore ?
— L’ado puant qui a pas pris sa douche alors qu’il a eu sport le matin. Et qui met deux fois les mêmes chaussettes. (Comme Jim ne répliquait rien, les mains dans les poches de son jogging, sa cousine roula des yeux.) C’est dégueux, putain.
Jeremy lui fit une grimace dans le dos avant d’aviser l’étui de guitare qu’elle portait à l’épaule.
— Tu viens me jouer un morceau ? Trop sympa.
La jeune fille se tourna vers lui avec un sourire narquois.
— Rêve pas, je sais pas en jouer.
— Pourquoi tu te trimballes avec, alors ?
Les yeux de Rebecca s’emplirent d’une lueur malicieuse alors qu’elle déposait délicatement la housse au sol. Elle farfouilla ensuite dans son sac bandoulière pour en sortir un sachet en papier.
— Va dans la salle de bains, ordonna-t-elle de sa voix grave. Je veux pas que tu voies ce que je fais.
Perplexe, Jim s’approcha d’elle pour observer ce qu’elle trafiquait, mais Rebecca le chassa d’un coup de coude. Grommelant, l’adolescent finit par s’enfermer dans la salle de bains. Il s’assit sur la cuvette des WC pour patienter, bras croisés. Au bout d’une minutes ou deux, la voix de Rebecca s’éleva derrière la porte.
— Tu peux venir !
Jim resta sur ses gardes lorsqu’il ouvrit. Rebecca lui avait fait plus d’une blague douteuse en quatre mois et demi. Sa manière à elle de lui montrer qu’elle s’attachait petit à petit. Jim craignait de recevoir un objet quelconque dans le visage.
Mais ce fut un cupcake surmonté d’une unique bougie, lové dans le creux des mains de sa cousine, qui l’attendait.
— Joyeux anniversaire, Jeremy.
Il resta planté devant sa cousine avec un air idiot. La petite flamme jetait une lueur chaleureuse dans les iris dorés de Rebecca et soulignait la sincérité de son sourire.
— Je l’ai piqué dans la cantine des Fantômes rien que pour toi, précisa-t-elle en durcissant son expression. Alors t’as intérêt à souffler cette foutue bougie avant que la cire me coule sur les doigts.
Sorti de sa transe par le ton agacé de Rebecca, Jim finit par souffler sur le cupcake. L’odeur de la bougie éteinte le ramena à tous les anniversaires qu’il avait passés à Sludge, aux côtés de sa mère, de sa sœur et de Ryu. L’ambiance n’était définitivement pas la même, mais il se sentait terriblement reconnaissant à Rebecca d’avoir pensé à lui.
— Merci, murmura-t-il d’un ton éraillé – sa voix en train de muer n’appréciait pas trop les changements de modulation. J’aurais pas cru que…
Comme il laissait sa phrase en suspens, l’expression de Rebecca s’assombrit.
— Mon père t’a privé de tout ce qui te définissait avant. Mais moi… moi, je suis là pour pas que tu oublies ton ancienne vie. En public, je peux pas, mais, en privé… je préfère t’appeler Jeremy, te souhaiter ton anniversaire le bon jour et tout le reste.
Avec précaution, l’adolescente retira la bougie du glaçage du cupcake et la déposa sur un bout de papier. Après quoi, elle tendit le gâteau à Jim, qui croqua dedans sans tarder. C’était un simple muffin nature avec un glaçage au chocolat, mais les saveurs du sucre, du cacao et du beurre faillirent lui arracher une larme. La cantine des recrues-Fantômes ne proposait pas desserts en dehors de yaourts et de fruits. Les sucreries et pâtisseries ne pointaient le bout de leur nez qu’en de rares occasions.
Le Dr Mann ayant conseillé à Jim d’arrêter de se goinfrer de bonbons et autres sucreries, l’adolescent avait l’impression de goûter littéralement à son ancienne vie.
— Qu’ch’est bwon, lâcha-t-il entre deux bouchées, les yeux mi-clos. J’tuerai pour un deufième.
— J’aurais pu me faire sacrément engueuler pour un, alors deux… même pas en rêve.
— Pas grafe, ch’est défà délifieux.
Amusée par l’expression de contentement sur le visage de son cousin, Rebecca se laissa choir sur la chaise du bureau. Elle s’étonnait encore de la simplicité avec laquelle Jim pouvait passer d’un état morose à un enthousiasme communicatif.
— Et la guifare ? s’enquit Jeremy en s’asseyant sur son lit, frôlant du bout des doigts la housse noire de l’instrument. Elle sort f’où ?
— On parle pas la bouche pleine, marmonna l’adolescente avant de soupirer devant l’expression envieuse de son cousin. Tu peux sortir la guitare, elle est pour toi.
— Hein ?
Il avala de travers un morceau de muffin, toussa bruyamment puis se pencha vers Rebecca.
— T’es sérieuse ? Me dis pas que tu l’as achetée pour moi.
— Non, t’inquiète ! C’est mon père qui me l’a offerte il y a deux ans. Mais… il s’est encore trompé. Mon truc, c’est la peinture, pas la musique. (Elle haussa les épaules.) J’aime bien la musique, mais… pour l’écouter, pas en faire.
Jim ne l’entendait plus. Après avoir avalé correctement les restes de son cupcake, il plaça précautionneusement l’étui entre ses jambes et s’affaira sur la fermeture éclair. La housse révéla le manche d’une guitare sèche puis une caisse en bois ciré.
— Je te la donne, souffla Rebecca en rejoignant le garçon sur le lit. Un jour, on a discuté de ce qu’on aimerait faire… J’ai même pas tilté, sur le coup, quand t’as dit vouloir jouer d’un instrument. Puis ça m’a sauté aux yeux. J’espère que ça te dérange pas, qu’elle soit pas neuve.
— Tu rigoles ? chuchota l’adolescent avec désarroi en sortant complètement la guitare de sa housse pour mieux l’observer. Elle est magnifique.
Embarrassée, Rebecca se tordit les doigts pendant quelques secondes.
— Euh, je crois que c’est une guitare pour débutants, tu sais, un modèle pas trop cher.
— Elle est géniale quand même.
Il la plaça maladroitement sur ses cuisses, glissa la main gauche le long du manche, la droite sur la caisse de résonnance. Quand il gratta deux cordes, un son crissant les fit grimacer tous les deux.
— Oui, bon, faudra l’accorder, soupira Rebecca en récupérant son sac bandoulière. Mon père m’avait acheté un accordeur, un capodastre et quelques médiators avec.
Elle déposa une petite pochette assortie à la housse à côté de Jim et le regarda prendre connaissance de l’instrument. Ses yeux dépareillés pétillaient. Tandis que ses doigts parcouraient en long et en large la guitare, il se mit à sourire, à peine conscient de la présence de sa cousine. Rebecca laissa tomber ses épaules continuellement tendues. C’était la première fois qu’elle le voyait aussi heureux depuis qu’il était arrivé.
Son sourire creusait des fossettes à côté de sa bouche, faisait ressortir ses pommettes hautes et plissait ses paupières. Rebecca s’imagina qu’il devait ressembler à sa mère en cet instant, car ce n’était pas une expression qu’elle aurait pu voir sur le visage d’un Sybaris.
Une heure plus tard, Rebecca entraîna Jim vers sa chambre. Même s’ils s’étaient rapprochés au cours des quatre derniers mois, l’adolescente ne l’avait jamais laissé découvrir son univers. Après avoir accordé tant bien que mal la nouvelle guitare de Jim, Rebecca lui avait proposé d’aller voir ses peintures. Entre les cours et les entraînements, la jeune fille s’enfermait dans une petite pièce accolée à sa chambre pour jeter pigments et émotions sur des toiles vierges.
— Je t’aurais bien emmené faire un tour dehors, souffla-t-elle sur le chemin en jetant un coup d’œil désolé à son cousin. Il y a des écuries qui appartiennent à la Ghost, ma jument est là-bas. Je pars souvent me balader dans la forêt à côté. Mais je pense pas que mon père accepte de te laisser sortir, même avec les implants.
— Attends, attends, s’étonna Jeremy en accélérant le pas pour se dresser face à l’adolescente. La Ghost a des écuries ? Et toi une jument ? Et, bordel, c’est quoi cette histoire d’implants ?
Avec une moue dubitative, Rebecca le contempla en silence quelques instants.
— On se trouve au milieu d’un parc national, expliqua-t-elle en reprenant sa marche. Pour patrouiller autour du QG, la sécurité utilise pas mal les chevaux pour se déplacer plus facilement. Et, oui, j’ai une jument. (Elle sourit fugacement.) Elle s’appelle Quinn et elle est toute grise. Papa me l’a offerte il y a un an.
— Waouh, se contenta de souffler Jim – même si un cheval comme cadeau l’aurait laissé profondément perplexe.
— Et pour les implants… (Rebecca fronça les sourcils en tapotant le creux de son coude.) Quelques jours après ton arrivée, tu as pas fait des examens médicaux ?
Jeremy prit un air songeur le temps de se rappeler le déroulé des événements lorsqu’il était arrivé puis expira bruyamment.
— En soi, j’ai eu un mois complet d’examens médicaux avec le Dr Mann.
— Et y’a pas une fois où tu as été endormi ? Où tu t’es réveillé avec un pansement sur le bras ?
— Si, reconnut le garçon en se tournant vers sa cousine, grimaçant. En faisant un examen d’aptitudes physiques, j’ai perdu connaissance. Mais je l’ai pas du tout senti venir. Et en me réveillant, j’avais un cathéter sur le bras.
— Le Dr Mann a dû t’endormir pendant ton exercice, supposa Rebecca en ralentissant le pas à hauteur de l’une des multiples portes qui couraient le long des murs sans fenêtres. Les recrues-fantômes ont tous un implant au niveau du coude. C’est une balise géolocalisée. Si tu sors du périmètre du centre de formation et, pire encore, du siège, c’est signalé à la sécurité.
Tandis qu’elle passait sa carte magnétique devant le lecteur de la porte, Jim fit la grimace. Edward lui avait rapidement déconseillé de se lancer dans la moindre tentative de fuite, mais il n’avait jamais précisé l’existence de cet implant. Sans compter qu’il devait y avoir toute une panoplie de mesures de sécurité.
— Bienvenue chez moi, annonça Rebecca avec un sourire ironique.
La chambre avait la même disposition que celle de Jim, mais une ambiance bien différente. Sa cousine avait eu le temps d’adapter les lieux à sa personnalité. Rideaux rouge sombre, tapis confortable au pied du lit, posters artistiques au-dessus du bureau, une bibliothèque remplie d’ouvrages sur les techniques de peinture ou la relation de l’homme avec le cheval.
— Sympa, lança Jeremy en se laissant choir sur un gros pouf rouge dans un coin de la pièce.
Il remarqua alors la porte juste à côté du lit et fronça les sourcils.
— J’ai pas de porte ici dans ma chambre. Ça emmène où ?
— Vers mon atelier, répondit Rebecca avec un petit sourire.
Elle fit signe à Jim de la suivre et l’entraîna dans la petite salle plongée dans l’obscurité. Ici non plus, pas de fenêtres. Mais Rebecca avait demandé à l’équipe logistique d’installer des plafonniers dont elle pouvait régler l’intensité et la colorimétrie à l’aide d’une télécommande. Ainsi, elle pouvait peindre dans différentes ambiances.
— La vache, murmura Jeremy en jetant un coup d’œil au chevalet couvert de taches de peinture séchée et aux toiles – vierges, amorcées ou terminées – qui envahissaient les quelques mètres carré.
Sa cousine alla se planter devant le chevalet, toisa son œuvre en cours d’un air renfrogné puis soupira. Jim observait avec attention une toile où un enchevêtrement de lignes et d’aplats de couleurs formaient un ensemble monochrome de gris.
— Je dois reconnaître… commença-t-il d’une voix pensive, que je comprends rien.
Rebecca s’autorisa un petit rire moqueur avant de s’installer en tailleur à même le sol.
— Y’a rien à comprendre, abruti. Si tu te mets à gratter ta guitare avec une mélodie que seul toi entends et imagines d’avance, personne comprendra non plus. L’art, ça exige pas forcément d’être compris. (Elle haussa les épaules en plissant la bouche.) Puis, pour moi, je fais pas de l’art, je… je balance juste physiquement ce que j’ai sur le cœur.
Jeremy hocha la tête, saisissant parfaitement les mots de sa cousine. Lui non plus ne s’attendait pas à devenir compositeur en jouant de la guitare. Il voulait simplement oublier, oublier sa situation, s’oublier lui. Laisser les notes, les temps, les silences, recomposer les rouages de son esprit.
Plongé dans ses pensées, il poursuivit son petit tour des toiles accrochées au mur ou calées les unes contre les autres à même le sol. Près du chevalet, ses pieds se prirent dans une bâche de protection. Il perdit l’équilibre, agita vainement les bras puis tomba tête-la-première dans un mélange de pots de peinture et de caisses à outils remplies de pinceaux et bocaux. Stupéfaite, Rebecca ne réagit pas tout de suite. Comme Jim ne se redressait pas de lui-même, elle bondit sur ses talons, partagée entre l’envie de rire furieusement et celle de se précipiter à son secours.
— Jeremy ? Ça va ?
L’inquiétude chassa momentanément le sourire qui flottait sur ses lèvres. Main posée sur l’épaule de son cousin, elle glissa son autre bras sous son torse pour le soulever. Même s’il avait grandi et grossi, il ne pesait pas encore très lourd.
— Hey, murmura-t-elle en l’aidant à s’asseoir. Ça va ?
Jeremy clignait rapidement des yeux, sonné. Son crâne palpitait de douleur, son front lui envoyait des vagues de chaleur jusque dans le ventre. Quelque chose lui coulait sur la tempe.
— Tu t’es mis de la peinture, je crois, souffla Rebecca avec une esquisse de sourire.
Elle se déplaça à quatre-pattes jusqu’à un gros rouleau d’essuie-tout, dont elle tira plusieurs feuilles. C’est seulement en les plaquant contre le visage de son cousin qu’elle prit conscience de la chaleur du liquide.
— Oh merde, lâcha-t-elle dans un souffle désemparé. Tu saignes.
Elle arracha frénétiquement de nouvelles feuilles pour remplacer celles déjà imbibées de sang. Jim dodelinait de la tête, les mains posées sur le sol de béton froid pour garder l’équilibre. Son œil gauche, couvert du liquide poisseux, refusait de s’ouvrir.
— T’as dû t’ouvrir l’arcade sourcilière, marmonna Rebecca en pressant l’essuie-tout sur le front de son cousin. Ça pisse le sang comme pas permis, mais c’est pas bien grave en vrai.
Docile, Jim laissa Rebecca éponger le sang qui lui dégoulinait jusque dans le cou. Elle rassembla plusieurs feuilles pour en faire une boule, qu’elle plaqua sur l’arcade de Jeremy en lui ordonnant de la garder pressée.
Rebecca s’apprêtait à le prendre par le bras pour l’aider à se redresser quand il lâcha un petit éclat de rire. Elle se figea, interdite, puis laissa un sourire effleurer ses lèvres lorsque Jeremy se mit à pouffer nerveusement.
Quand ses rires se muèrent en hoquets puis en sanglots hachés, Rebecca resta hébétée. Jim arracha d’autres feuilles d’essuie-tout, à la fois pour éponger son sang, ses larmes et son nez bouché. La douleur qui lui vrillait le crâne avait fait sauter quelques verrous mentaux. Il riait toujours, alors que le sang et l’eau saline suivaient le contour de son nez et de sa mâchoire.
— Jeremy… chuchota Rebecca, incapable de savoir quoi faire de ses larmes douloureuses et de ses rires nerveux.
Mortifiée, elle essuya un nouveau filet de sang et resta coite quand Jim se laissa aller contre son épaule. Visage crispé, elle lâcha ses feuilles tachées de rouge pour enserrer maladroitement son cousin. Elle le trouva aussi vulnérable qu’un chaton, tout blotti contre elle.
— Désolé, s’étrangla-t-il entre un sanglot larmoyant et un rire sincère. J’crois que j’me suis bien cogné la tête.
— Je crois aussi, murmura Rebecca d’un ton mi-figue mi-raisin. Et c’est pas grave.
— Mmh, lâcha Jeremy entre deux lèvres pincées. Le cognage de tête plus un anniversaire sans ma famille… j’crois que ça fait pas bon ménage.
— Pas sûre que le mot « cognage » existe, lui fit remarquer Rebecca d’un ton malicieux.
Rassuré par la moquerie bienveillante de la jeune fille, Jim se redressa en expirant longuement. Il se sentait plus clair d’esprit, comme si le sang et les larmes l’avaient délaissé d’un paquet d’impuretés.
— Merci, Rebecca, chuchota Jim en se passant une main sur le visage pour essuyer les dernières traces d’hémoglobine ou d’eau saline. Et désolé.
— Arrête de t’excuser, le morigéna-t-elle en se levant. Je suis contente d’être avec toi. J’aurais aimé avoir des gens avec moi quand ça allait pas. (Jim l’observa de ses yeux rougis, le gauche s’ouvrant toujours moins que l’autre à cause du sang.) Jeremy, quand tu te sens mal… tu trouveras pas du soutien du côté de mon père. Alors… vraiment, hésite pas.
Avec un sourire tendre, elle lui tendit la main. Son cousin l’accepta sans rechigner et épousseta son jogging couvert de poussière et de peinture fraîche.
— J’ai tout foutu en l’air, grimaça-t-il en se tournant vers le bazar qui s’était formé suite à sa chute. Je viendrai tout ranger, promis.
— T’occupe ! le rassura Rebecca en le poussant hors de la pièce. Va te faire…
— Foutre ?
— Abruti. (Elle ouvrit la porte de sa chambre et indiqua du doigt le panneau qui indiquait l’infirmerie à deux couloirs d’ici.) Recoudre.
— OK, capitula Jim avec un demi-sourire.
Bras croisés sur la poitrine, l’expression intransigeante, elle le surveilla du regard tandis qu’il remontait vers l’espace médical. Juste avant de prendre l’intersection, Jim se tourna vers elle pour lui adresser un doigt d’honneur. Elle écarquilla les yeux, les roula, puis soupira. Dire qu’elle s’était imaginé, pendant un instant, qu’il avait mûri.
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