Chapitre 39

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Je me prépare pour partir à la cité du Lotus, où je rencontrerai Sunhee, et où j’abandonnerai Hyujin pour quelques jours. Je n’en ai pas envie, mais je n’ai pas le choix. Quand je quitterai la cité du Lotus pour celle des Cerisiers, ce sera à ce moment-là que nos chemins se sépareront.

Hyujin ouvre la porte de ma chambre.

- Tu es prête ?

- Oui.

- Alors allons-y.

Nous sortons silencieusement du temple, puis nous parcourons la ville jusqu’aux chemins de campagne que je connais parfaitement, maintenant. Je sais à quel moment les plantations de soja laissent la place à des rizières, je connais chaque virage, chaque détour. J’ai emprunté ces routes tellement de fois que je les connais par coeur.

Lorsque nous arrivons dans la cité du Lotus, mon coeur se serre. Dans quelques heures, je quitterai Hyujin. Je me le répète comme un mantra, ce qui a pour effet de me faire monter les larmes aux yeux.

Une fois devant la prison, les gardes nous font entrer. Nous descendons des escaliers miteux. L’odeur de moisissures et d’humidité est forte et me donne une nausée. Il fait assez sombre, le couloir est éclairé par quelques bougies accrochées au mur tous les deux mètres. Je distingue des ombres dans les prisons que nous longeons, et je remarque avec horreur qu’une des personnes est morte.

On peut entendre des raclements réguliers, et je vois un prisonnier griffer le sol avec un petit couteau. Il nous lance un regard sauvage quand on passe près de lui.

Enfin, nous arrivons devant la prison de Sunhee. Les barreaux sont rouillés, la cellule est minuscule. Dans un coin, la jeune fille est assise en boule, secouée de sanglots.

- Sunhee ? lancé-je.

Elle se relève et s’approche des barreaux, qu’elle attrape entre ses mains crasseuses. Ses cheveux blonds sont sales, pleins de terre, de poussières et d’autres choses non-identifiées. Ses yeux verts sont rougies par les larmes. Ses vêtements sont déchirés au niveau des épaules, des bras et des jambes.

- Aria, Hyujin, souffle-t’elle.

Ses lèvres tremblent, tout comme le reste de son corps. Sunhee resserre sa prise au niveau des barreaux tout en nous fixant.

- Que faites-vous là ?

- Je voulais te voir, dis-je.

Elle sourit rapidement avant de retrouver son expression triste.

- C’est gentil. Merci beaucoup. À part des psychopathes, je n’ai personne à qui parler, ici. Ça me fait du bien de vous voir.

Une lueur sombre passe sur le visage de Sunhee.

- Au fait, Hyujin… tu sais que ton père est mort et… et que ta mère se trouve dans la prison réservée aux malades mentaux ? Fous, psychopathes, hystériques…

- Oui, j’ai compris, coupe-t’il. Et oui, je le sais.

La jeune femme hoche la tête et soupire.

- Et sinon… vous devenez quoi ?

- Hyujin va devenir dirigeant et moi… je suis… euh… rien, pour le moment.

- Oh.

Sunhee ouvre la bouche puis la referme.

- Dis, Hyujin, quand tu seras dirigeant, tu ne voudrais pas me faire libérer ?

- Non. Si tu es ici, c’est qu’il y a une raison.

Elle pince les lèvres.

- D’accord. Toi, tu ne m’as jamais aimé et tu ne m’aimeras jamais, c’est ça ?

- Oui, répond-il froidement.

Sunhee se force à rire puis elle se tourne vers moi.

- Et toi, Aria… si tu étais à sa place, tu me ferais libérer ?

Interdite, je la fixe. Hyujin a n’a pas tort, elle est ici pour une bonne raison. C’est peut-être mon amie, mais elle reste une ancienne criminelle, bien qu’elle n’ait pas fait grand-chose. Et si le juge a décidé qu’elle serait condamnée à la prison à vie, je ne peux pas le contredire. Il connaît mieux son métier que moi.

- Sunhee… je ne sais pas.

- Tu ne sais pas parce que tu n’as pas confiance en moi, dit-elle doucement. C’est pas grave ! J’ai mérité ma place ici. Tout est entièrement de ma faute. J’aurai mieux fait de laisser Hiro me tuer, au moins, je ne me retrouverai pas en prison jusqu’à ma mort. Je devrais peut-être faire comme ton père, Hyujin. Me suicider. Ça serait une libération.

Je commence à croire qu’à force d’être enfermés ici, les gens développent des problèmes psychologiques. Ce n’est peut-être pas bon pour leur santé mentale, d’être emprisonnée. Je suis sûre que la moitié des personnes ici sont suicidaires.

- Partez, s’il vous plait. J’ai envie d’être seule.

Je hoche la tête.

- D’accord. Au revoir, Sunhee.

- Au revoir, répond-elle.

Après lui avoir souri une dernière fois, j’emboîte le pas à Hyujin, qui remonte le couloir à grandes enjambées.

Une fois dehors, je prends une grande inspiration. Ça fait du bien de pouvoir respirer de l’air frais.

- Aria… je vais rentrer au Temple du Lotus. On se reverra pour la cérémonie dans deux jours, n’est-ce pas ?

Je lève les yeux vers lui. Il me regarde, inquiet.

- Oui, bien sûr. Je vais retourner chez moi aussi, donc… je te laisse.

Hyujin acquiesce. Je continue de le fixer, essayant de me rassurer en me disant que je le reverrai bientôt.

Il tourne les talons et je me concentre sur sa silhouette qui s’éloigne doucement. Moi aussi, je dois rentrer chez moi. Je reste un petit moment debout, sans bouger, regardant la rue déserte. Puis je fais demi-tour pour emprunter les chemins de campagne.

* * *

- Aria, c’est toi ?

La voix de mon père retentit, alors que je passe la porte du pavillon est. Il est assis par terre, face à un homme de petite taille. Une théière ainsi que deux tasses sont disposées devant eux.

- Oui, réponds-je, concentrée sur l’inconnu.

- Vous pouvez y aller, dit-il à l’intention de l’homme. Aria, approche.

Tandis que je m’assois, l’inconnu disparaît. Mon père me sert une tasse de thé et la fait glisser jusqu’à moi. Il jette un coup d’oeil dehors puis soupire.

- Il commence à faire froid, pas vrai ?

J’acquiesce.

- Alors… tu as pu voir ton amie ?

- Oui. Elle… elle va… bien… enfin, je crois. Et sinon… Hyujin est de retour au Temple du Lotus. Il est sûrement en train de préparer tout pour après-demain.

- Oui… On y assistera, puis on rentrera pour que je te présente quelqu’un.

- Qui ?

Mon père soupire à nouveau.

- Tu verras.

- D’accord.

- Donc…

Je lève la tête vers lui et plante mes yeux dans les siens.

- Quoi ? demandé-je.

- Ça y est, c’est fini ? On va pouvoir retrouver notre vie d’avant. Sans criminel, sans Seok et Hana… sans Hyujin… ajoute-t’il tout bas.

Je détourne le regard, vexée. Je ne veux pas continuer ma vie comme si rien ne s’était passé. Que mon père le veuille ou non, les relations entre le Temple des Cerisiers et le Temple du Lotus vont changer. Une fois au pouvoir, je ferais tout pour cesser les querelles et pour faire du Temple du Lotus un puissant allié.

- Non, réponds-je. On ne peut pas, Père. Maintenant, il faut que vous acceptiez que je ne referai pas ma vie sans Hyujin.

- On en reparlera plus tard. Quand je t’aurai présenté la personne dont je t’ai parlé tout à l’heure.

- Oh, ça y est, j’ai compris ! Vous allez me présenter mon futur mari en espérant que j’oublie Hyujin et que je fasse du Temple des Cerisiers ce qu’il était avant la mort de Mère ! C’est vrai que c’est votre but, depuis le début. J’avais oublié que j’étais le printemps.

- Aria, calme-toi. J’essaye juste de faire ce qui est le mieux pour toi, et pour le peuple. Hyujin a de nouvelles responsabilités. Je ne te forcerai pas à épouser quelqu’un, je veux juste que tu y réfléchisses.

- Moi qui pensais que cette histoire était derrière nous. Je me suis trompée.

Je me lève et quitte le pavillon d’un pas décidé. Je rejoins ma chambre et m’assois dans mon jardin, les genoux repliés contre ma poitrine. J’observe les fleurs qui commencent à se faner. Mon père a raison sur un point : Hyujin a de nouvelles responsabilités. Il n’a plus le temps de penser à moi.

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