Chapitre 23
Hébétée, je fixe Hyujin. Comment veut-il que je lui réponde, alors que je ne suis même pas capable de comprendre mes sentiments ?
- De… de l’amitié, peut-être bien. Je ne sais pas non plus, bafouillé-je.
- Oui, d’accord. Soyons amis, comme tu dis.
Cette discussion manque de naturel. En réalité, ce que je ressens est plus fort que de l’amitié, mais je ne suis pas sûre que ce soit la même chose de son côté, alors je préfère ne rien dire.
Je lui souris, essayant de cacher mon trouble.
- Allons marcher, lancé-je soudainement.
Il hoche la tête et se relève. Je pensais que nous allions marcher dans les jardins du temple, mais Hyujin se dirige vers la cité.
Dans la rue, les gens nous dévisagent. Enfin, plutôt moi. Je sens leur regard me suivre tandis que je marche. Une femme m’observe avec dédain, comme si je l’avais trahie, alors que je ne la connais même pas. Certains chuchotent même.
- Il se passe quoi ? demandé-je à Hyujin.
- Comment veux-tu que je le sache ?
Je hausse les épaules et continue de marcher en regardant droit devant moi lorsqu’une main s’abat sur mon épaule. Je m’arrête et me retourne pour observer la personne. C’est une jeune femme brune, accompagnée d’une autre, blonde, qui semble un peu plus vieille.
- Excusez-moi, vous êtes bien l’héritière Aria ?
Je papillonne des cils avant de hocher la tête, étonnée qu'elle me reconnaisse alors que techniquement, personne ne sait qui je suis.
- Oui.
Les deux femmes se regardent en mordant leurs lèvres.
- Les rumeurs sont vraies ? questionne la plus jeune.
Étonnée, je fronce les sourcils.
- Quelles rumeurs ?
Je me tourne vers Hyujin, mais je lis dans ses yeux la même incompréhension que moi. Les femmes se tordent les doigts.
- À propos… Enfin… Il paraît que le Temple des Cerisiers est affaibli depuis… depuis la mort de Dame Mei, souffle l’une d’elle.
L’autre hoche la tête.
- Et ? continué-je, perplexe.
- Et que le Temple du Lotus va s’approprier nos terres et mettre fin à la dynastie du Seigneur Seji, comme apparemment, vous êtes…
- Affaiblis, c’est bon, j’ai compris, réponds-je sèchement.
- Oui, confirme la blonde.
Il est vrai que nous sommes un peu plus faibles depuis que l’on a perdu un dirigeant, mais c’est logique, en soit. Nos moyens de diriger ont été perturbés, nos habitudes bouleversées. Pourtant, je sens l’inquiétude dans les paroles des deux femmes, comme si ce qu’il se passait n’était pas normal. Pourtant, Seok et Hana ne peuvent pas simplement venir et s’emparer de notre cité, de notre temple et de nos richesses.
- Et les autres rumeurs ? ajouté-je.
- En réalité, il n’y en avait que deux, mais… Celle-ci est-elle vraie ?
Je soupire, soudain excédée par ces deux villageoises. La vérité, c’est que je ne sais pas si cette rumeur est vraie.
- Non, elle est fausse, lancé-je quand même.
- Et celle à propos de votre couple ? s’exclame la brune.
Je hausse un sourcil, ahurie.
- Oui, il paraît que vous entretenez une relation amoureuse avec…
La blonde se penche un peu vers moi et chuchote :
- Avec l’héritier du Temple du Lotus. Donc les habitants se questionnent. En plus, ces deux rumeurs sont étroitement liées.
Je m’éloigne des femmes, de plus en plus abasourdie par ce qu’elles me disent. Hyujin est tout aussi perturbé par ces rumeurs. Il fronce les sourcils et regarde les filles avec méfiance.
Rougissante, je dis aux femmes :
- Mais… Je ne suis en couple avec personne ! D’où sortent ces rumeurs ?
- Je ne sais pas trop, répond la brune.
- Où en avez-vous entendu parler ?
- Hier, dans une taverne. C’était un homme qui les répandait. Un grand homme, armé, en plus. On s’est vraiment inquiétées, Hyeji et moi, affirme la blonde.
Je suppose que Hyeji est la fille brune qui l’accompagne.
- Et… vous pouvez me donner d’autres détails sur lui ? demandé-je.
- Oh, oui, bien sûr. Il dit qu’il vous a déjà parlé et que c’est pour ça qu’il sait des choses, déclare la plus jeune, donc Hyeji.
- Il était plutôt vieux, continue la blonde en réfléchissant.
Je hoche la tête, même si je ne vois vraiment pas qui ça pourrait être. Est-ce vraiment important de se préoccuper de ces rumeurs ?
- Oh ! s’écrie la brune.
- Quoi ?
- Est-ce que son lieu de vie pourrait vous être utile, Mademoiselle ?
- Oui.
- Et bien, il a dit qu’il vivait dans une ville sans nom, entre deux montagnes.
Je me tourne vers Hyujin. Lui aussi a compris. C’est le village des assassins.
- Merci, lancé-je.
- Au revoir ! s’exclament les deux femmes avant de disparaître dans la foule.
Je soupire et regarde au loin.
- Il va falloir retourner là-bas, me plains-je.
- Tu es sûre ? Ça ne sert à rien. Laissons les gens croire ce qu’ils veulent, ils verront bien que ce n’est pas la vérité un jour.
- Oui, mais j’ai envie de savoir, Hyujin. Peut-être que tes parents profitent réellement de la faiblesse du Temple des Cerisiers pour se l’approprier.
- Si tu veux.
Nous marchons vers la sortie de la cité. Je commence à en avoir marre de faire des allers-retours entre la cité des Cerisiers, la cité du Lotus et le village des assassins.
- Vous me cherchez ?
Hyujin se retourne au son de la voix. Je fais comme lui et vois l’homme que nous cherchons. Soulagée à l’idée de ne pas aller dans le village des assassins, je pousse un soupir.
- Oui, raille Hyujin.
L’assassin sourit et s’avance.
- Alors, quelles questions avez-vous à me poser aujourd’hui ? Au fait, Aria, tu vas mieux ? Tes blessures ont été soignées ?
Je hoche la tête.
- Oui.
- D’accord, tant mieux ! Alors, vos questions ?
- Pourquoi dites-vous que le Temple du Lotus veut prendre les terres de mon père ?
Le tueur se gratte le menton.
- Parce que c’est la vérité. J’ai mes sources et tant que vous n’aurez pas posé la bonne question, je ne peux pas répondre. C’est le jeu.
- Et pourquoi vous racontez aux gens que je suis en couple ? continué-je.
- Haaa.
Le visage de l’assassin se fend d’un large sourire.
- Parce que c’est ce qui arrivera tôt ou tard. (Il fait un clin d’oeil à Hyujin.) Pas vrai, jeune homme ? Nous savons tous les deux qu’il n’y a pas que de l’amitié entre vous.
Hyujin serre les dents et rétorque :
- Je ne vois pas de quoi vous parlez.
- Ne fais pas l’innocent. Tu ne l’as peut-être pas remarqué, mais je sais tout. Je ne vois pas de quoi tu as peur, tu sais, ce que tu ressens est probablement récipr…
- Je vous ai dit que je ne voyais pas de quoi vous parliez, coupe-t’il.
L’assassin forme un «oh» avec sa bouche avant de sourire à nouveau.
- Oui, d’accord, je n’insisterai pas.
Il regarde le soleil avant de baisser les yeux vers nous.
- Bon, il est presque midi, je vais devoir y aller. On se revoit une prochaine fois.
L’homme part en courant vers la sortie de la cité.
- Rentrons, indiqué-je à Hyujin.
Il me suit, la mâchoire et les poings serrés.
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