Chapitre 24
Une fois dans l’enceinte du Temple des Cerisiers, je peux enfin marcher normalement, sans que la moitié des personnes me fixe. Je respire le parfum des fleurs.
- Aria… Je peux discuter avec toi ?
Je me tourne vers mon père qui vient d’arriver dans mon dos.
- Euh… oui, évidemment.
Il fixe Hyujin avec intensité avant de lancer :
- Sans lui.
- D’accord.
- J’attends ici, dit Hyujin.
Je suis mon père dans les jardins, puis dans le pavillon Est. Une fois que nous y sommes, nous nous installons au sol. Mon parent me sert une tasse de thé silencieusement, avant de la pousser vers moi. J’incline la tête pour le remercier et bois doucement, le thé me brûlant la gorge.
- Bien, dit-il quand j’ai reposé la tasse.
- De quoi vouliez-vous me parler ?
- Je voulais discuter de la situation actuelle du temple, dit-il, soucieux. Les rumeurs qui circulent sont préoccupantes. La mort de ta mère a laissé un vide que Seok et Hana tentent d’exploiter.
Il soupire et me tend une nouvelle tasse de thé.
- Les gens parlent, Aria. Les fausses rumeurs sur ta relation avec Hyujin ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu.
Je me sens rougir à l’évocation de Hyujin.
- Que devons-nous faire alors ?
- Je veux que tu prennes plus de responsabilités. Officiellement, tu n’es pas dirigeante, c’est vrai, mais j’aimerais que tu m’aides quand même à diriger. Tu ne peux plus te permettre de mener ton enquête. Ta place est à mes côtés, dans ce temple. Le peuple a besoin de toi, Aria.
- Tu me demandes de… remplacer Mère ?
- Oui. Dirigeons ensemble en attendant que la situation se calme, et que je te trouve un époux.
À ces mots, je grimace. Je ne veux pas me marier, et encore moins avec une personne que je n’ai pas choisie. Je pense à nouveau à Hyujin et soupire.
- Aria, tu comprends ce que je te dis, n’est-ce pas ? Tu comprends à quel point c’est important que tu sois présente ?
Je hoche la tête, mais un poids pèse sur ma poitrine. Je sais que mon père a raison, pourtant, maintenant que je dois prendre la place de ma mère et diriger, je suis terrifiée. Surtout si l’on ajoute la perspective d’un mariage avec un inconnu.
- Oui, je comprends. Mais je ne peux pas abandonner ce que j’ai commencé.
Il fronce les sourcils.
- C’est comme ça, tu dois d’adapter. C’est ça, être dirigeant. S’adapter, encore et encore, pour satisfaire le peuple et maintenir l’ordre dans la cité. Ta mère a sacrifié beaucoup pour protéger ce que nous avons. Maintenant, c’est à toi de le faire.
- Que dois-je faire ?
- D’abord, nous allons rencontrer ensemble les dirigeants d’autres temples puissants, en particulier ceux du Lotus.
Mon coeur se serre à l’idée de parler avec Seok et Hana.
- D’accord.
Mon père me sourit.
- Je savais que tu comprendrais, Aria. Nous partons demain matin. Sois prête. On en profitera pour ramener Hyujin chez lui.
Je quitte presque en courant le pavillon pour rejoindre le jardin où m’attend Hyujin. Je repousse mes larmes. Je ne veux pas diriger, pas maintenant. Je ne peux pas abandonner mon enquête, je ne veux pas abandonner Hyujin.
- Hyujin, lancé-je, la voix tremblante.
Il remarque mes yeux embués de larmes et fronce les sourcils.
- Que s’est-il passé ?
- Je… je dois aider mon père à diriger, je ne peux plus t’aider, je suis contrainte de rester au temple.
Il ne dit rien et continue de me regarder.
- Et… je vais me marier, Hyujin ! Mon père doit me trouver un époux.
Ce n’est pas juste. Pourquoi mon père a pu choisir sa femme et moi non ? Il a repoussé toutes les prétendantes que ses parents lui ont présenté, mais moi, il me force à me marier à la personne de son choix. L’idée que les parents de Hyujin soit, eux aussi, en train de lui chercher une épouse, me brise le coeur.
- C’était prévisible.
Je lève les yeux vers lui. Il a une tête d’enterrement.
- On était destinés à ça : les mariages forcés, diriger… Au fond, tu aurais dû te douter que ça finirait ainsi. La situation est critique, ton père fait passer le peuple avant toi.
Sur le coup, je trouve ça égoïste. Mais en y repensant, ça ne l’est pas. Il sacrifie mon bonheur parce que les gens attendent quelque chose de lui. Et en tant qu’héritière, je dois accepter de renoncer à ma joie.
* * *
Après le dîner, Hyujin et moi rejoignons ma chambre. J’ai encore l’esprit embrumé par la discussion avec mon père et celle avec l’assassin. Je n’ai pas tout compris à ce dialogue entre Hyujin et le tueur, mais mon compagnon avait l’air irrité. Visiblement, il ne voulait pas parler des rumeurs concernant notre relation. Nous savons tous les deux qu’il n’y a pas que de l’amitié entre vous.
Je me tourne pour regarder Hyujin, qui allume les bougies et fait brûler de l’encens. Décidée à lui demander des explications, je m’approche de lui.
- Qu’est-ce que l’assassin a voulu dire, tout à l’heure, quand il a dit qu’il n’y avait pas que de l’amitié entre nous ?
Il se tourne vers moi et avance d’un pas. Je lève les yeux pour le voir.
- Tu ne vois vraiment pas ? Tu n’as toujours pas compris ?
Je secoue négativement la tête. Quand il le dit, j’ai l’impression que c’est la chose la plus simple à comprendre, alors que justement, je n’y arrive pas.
Hyujin soupire, frustré. Il s’avance un peu plus et m’attire à nouveau contre lui. Je sens son coeur s’accélérer, comme le mien. Il se penche et dépose ses lèvres sur les miennes. Il les retire au bout de quelques secondes et me regarde dans les yeux. Je ne parviens pas à calmer les battements de mon coeur tandis qu’il murmure :
- Tu n’as toujours pas compris que j’étais amoureux de toi ?
Le rouge me monte aux joues et vient rapidement envahir tout mon visage. Il semble gêné lui aussi, je remarque qu’il s’empourpre un peu.
- Non… pas… pas vraiment…
Décontenancé, il continue de me fixer. Je baisse les yeux en chuchotant :
- Je… je crois que… moi aussi…
Mon coeur n’arrête pas d’accélérer, et je sens mon ventre se serrer. Il semble surpris par ma réponse, puis un sourire timide éclaire son visage.
- En réalité… je m’en doutais un peu, mais je n’étais pas sûr, souffle-t’il.
- Ça fait un peu prétentieux de dire ça, lancé-je.
Je ris nerveusement avant de m’arrêter, me demandant soudain s’il l’a mal pris. Mais il sourit à nouveau.
- Plus sérieusement… tu es sûre ? susurre-t’il.
- Euh… oui…
Il me serre un peu plus avant de m’embrasser une nouvelle fois.
La réalité me rattrape. Je ne peux pas l’aimer. Je n’ai pas le droit. Nos familles sont ennemies et mon père veut me trouver un mari.
- Hyujin.. je ne peux pas… Mon père veut me marier.
- C’est vrai…
La vérité, c’est que je me fiche de ce que mon père veut. Moi, je veux être juste vivre ma vie. Est-ce trop demander ? Est-ce que, en tant qu’héritière, je n’ai pas le droit d’être heureuse ?
- Je n’ai pas envie de le laisser gâcher ma vie. Hyujin… gardons ça secret.
Je sais que j’agis égoïstement, mais j’en ai plus qu’assez de me plier en quatre pour un peuple que je ne connais même pas.
- D’accord, répond-il.
Cependant, je sais que cacher une relation n’est pas simple. Si mon père le découvre, sa confiance en moi va encore baisser.
- Et pour ton mariage ? demande-t’il.
- Je ne sais pas, gémis-je. Je dois essayer de le convaincre mais… si ça ne suffisait pas ? Si je suis forcée d’épouser un homme que je ne connais pas ?
La question s’adressait plus à moi-même qu’à Hyujin.
- J’ai besoin de repos. Et demain… Mon père veut que l’on te ramène chez toi. Je dois rencontrer tes parents.
Je me décale de Hyujin et croise les bras autour de mon ventre. J’aide Hyujin à éteindre chaque bougie et je me glisse dans mon lit.
* * *
J’ouvre les yeux, consciente qu’aujourd’hui, je vais perdre Hyujin pendant un temps indéterminé. Je n’ai pas envie de le raccompagner, j’ai envie de rester avec lui. Pourquoi a-t’il fallu qu’on tombe amoureux ? pensé-je.
Je réveille Hyujin.
- Nous partons dans deux heures, indiqué-je en regardant le soleil se lever.
Il se lève de son lit et attrape ma main avant de me serrer dans ses bras. Je retiens mes larmes, et pose ma tête contre son torse.
- Aria… souffle-t’il.
Je relève la tête pour le regarder dans les yeux. Il semble peiné. Je le regarde attentivement. Je n’aurai jamais pensé tomber amoureuse de Hyujin. Et pourtant, je suis dans contre lui, me retenant de pleurer parce qu’il doit partir et parce que je sais que je ne pourrai jamais être avec lui.
Hyujin se penche, ses cheveux noirs tombant sur mon front. Il effleure mes lèvres avec les siennes quelques secondes, juste avant que la porte ne s’ouvre et que je me décale brusquement.
C’est un servant, qui nous lance un regard inquisiteur. Je lui lance un regard noir pour le défendre d’en parler à qui que ce soit.
- Je suis désolé. Je crois que je ferai mieux de partir…
Il se gratte la tête, visiblement gêné.
- Mais non. Que vouliez-vous ?
- Votre père souhaite vous voir, Demoiselle Aria.
Encore ? pensé-je.
- Oh, oui. J’arrive.
Je me recoiffe rapidement et quitte la chambre pour parcourir le temple jusqu’à mon père. Il se tient debout, face au cerisier de ma mère.
- Père.
Il se retourne et me sourit.
- Aria. Nous partons très prochainement, tu es prête ?
- Oui, murmuré-je.
- Très bien. Veux-tu bien faire quelques pas avec moi ? J’aimerais que l’on discute un peu.
- Oui.
Il m’invite à le suivre dans les allées du jardin. Je remarque qu’il observe attentivement les cerisiers.
- Sais-tu pourquoi j’aime le printemps, Aria ?
Je secoue négativement la tête.
- Parce que les fleurs repoussent. Elles renaissent. Après être tombées des arbres, elles reviennent embellir nos jardins. Après la mort de Mei, notre temple s’est effondré. Mais tu es le printemps, et tu vas faire renaître l’harmonie qui régnait dans la cité en devenant dirigeante. Tu vas embellir la vie des habitants découragés.
Mon père attrape une fleur de cerisier, s’arrête et la glisse dans mes cheveux noirs avant de reprendre la marche.
- Oui.
Il sourit, satisfait.
- Tu as un rôle à jouer, Aria.
- Et si je ne suis pas à la hauteur ? Si je ne peux pas faire renaître ce que vous espérez ?
- Je suis sûr que tu en es capable.
Alors pourquoi moi, je suis persuadée du contraire ?
- Partons maintenant. Va chercher Hyujin, Aria.
Mon coeur s’accélère en entendant son prénom. Je marche jusqu’à mes appartements. Hyujin est assis sur son lit, en train d’attendre.
- On y va, lancé-je.
Il lève les yeux vers moi et hoche la tête en se relevant. Je soupire, mais je sais que je n’ai pas le choix. Comme a dit mon père, je suis le printemps.
Nous regagnons en silence les portes du temple, où nous attend mon parent. Il fait un signe de tête à Hyujin.
- Prêt à rentrer ?
- Oui, répond-il.
- C’est ce qu’il y a de mieux pour toi Hyujin, crois-moi, déclare mon père en ouvrant les portes.
- Je n’en suis pas si sûr, raille-t’il.
Les deux hommes lèvent les yeux au ciel. Je les regarde silencieusement. J’aime les deux, je veux le bien des deux et surtout, je souhaite être auprès des deux. Mais je dois faire un choix.
Et je ne peux pas choisir Hyujin. Mes responsabilités m’en empêchent.
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