Réveil Nébuleux

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- Aie. Ma tête. J'ai mal, je me plains.

La lumière qui pointe à travers les volets m'aveugle et accentue ma migraine. Je referme les yeux, le visage d'une jeune fille blonde semble imprimé sur mes rétines et ce mot dans ma tête. Coccola. Elle est si belle, irréelle. On dirait un ange avec un doux sourire et ses grands yeux bleus de biche aux longs cils recourbés.

J'ai l'impression qu'un brouillard m'entoure. Je ne reconnais pas les meubles autour de moi. Où suis-je ? Le lieu me paraît familier et cependant aucun objet ne semble m'appartenir. Je soulève la couette, je porte un pyjama ce qui est plutôt rassurant compte tenu de mon cerveau endormi. À croire que j'ai été droguée.

Je tente de me lever et mes jambes sont flageolantes. Les draps sentent l'assouplissant bon marché et leur odeur m'écœure. Le pyjama que je porte est horrible, ses motifs de grosses fleurs vieillottes me donnent l'impression d'être une grand-mère. En plus, il gratte horriblement et il est trop chaud, je suffoque. Je me tâte pour vérifier l'absence de blessures et mis à part mon poignet un peu rouge, je ne perçois rien d'inquiétant.

Je reprends mon examen de la pièce dans laquelle je me trouve. Un lit en bois massif, avec de grosses colonnes aux quatre angles, surmontées de boules ressemblant à des pommes de pins. Une tête de lit avec un décor rupestre gravé confirme mon impression d'avoir atterri au siècle dernier. Le papier peint poursuit la scène ancestrale avec ses petites poupées de porcelaine en motifs, poupées reprises dans la décoration et les bibelots. Une table de chevet assortie, une armoire et un bureau complètent l'ameublement.

J'aperçois un objet que je reconnais. Mon téléphone portable. C'est le seul élément rassurant de cette pièce que je m'empresse de quitter. Le couloir n'est guère plus sécurisant et les bruits que je perçois me guident vers une cuisine ancestrale où s'affaire une vieille femme dont le visage me dit quelque chose, mais je suis incapable de remettre un prénom dessus. Elle est voûtée, minuscule, aux cheveux blancs en chignon, une robe de velours bleu clair plus longue sur le devant et un fichu blanc usé.

Elle m'aperçoit et me fait un sourire qu'elle doit penser bienveillant. Elle me regarde comme une folle ou une débile, je perçois ce genre de choses. Je ne la trouve pas inquiétante ou menaçante et je me calme un peu. Elle me tend du lait et du chocolat en poudre, ce qui me prouve qu'elle me connaît et spontanément, je trouve l'emplacement des bols et des verres.

Le lieu m'est donc connu et pourtant, je ne sais toujours pas où je suis. J'ai cette impression d'avancer dans un nuage, de gestes mécaniques et non réfléchis, instinctifs. Je n'ai qu'une envie, fuir. Ce lieu m'est désagréable, je ne me sens pas à ma place ici. Ce n'est pas chez moi. La boule au ventre me dit que quelqu'un m'attends, quelque part mais pas ici. Mon instinct me suggère de patienter et d'observer. Je ne me sens pas en danger avec la vieille et surtout, j'ai terriblement faim.

Elle passe un appel et un quart d'heure plus tard, je vois arriver un homme qui se présente comme un psychiatre. Doucement et sur un ton neutre, il me rappelle les derniers mois. Des voleurs qui ont agressés mes parents et ceux de ma meilleure amie un soir au dîner. La mort des quatre adultes et surtout de ma copine sous mes yeux. Mon état de choc qui bloque une partie de mes souvenirs.

Il évoque la veille femme comme une tante éloignée, ma dernière famille, chez qui j'ai été placée sous tutelle le temps que je me rétablisse. Je suis encore mineure, je n'ai que seize ans, mais je suis très adulte et dès que je me sentirais mieux, je pourrais demander l'émancipation. Son ton professionnel me gonfle. Il me parle comme à une bébé, ce qui me donne envie de le taper.

La tante valide en hochant la tête. Le récit m'est vaguement évocateur et quelques images parviennent à mon cerveau. Quelque chose me gêne, comme une impression de déjà-vu. Un élément qui n'est pas à sa place. Les deux personnes en face de moi me paraissent sincères et honnêtes, je ne doute pas qu'ils soient persuadés de me raconter la vérité. Néanmoins, je sais au fond de moi que tout ceci est faux, je ne peux pas l'expliquer, j'en suis sûre et certaine. Leur histoire n'est pas la vérité.

Face à mes multiples questions pour découvrir la faille, la vieille ose enfin m'avouer que je viens de fuguer. Après trois semaines chez elle, je suis partie un matin et elle n'a pas eu de nouvelles de moi pendant deux mois. Je suis revenue hier, déposée dans un commissariat du quartier, ayant perdu mes souvenirs et ne me rappelant plus mon nom. J'avais juste un papier en poche avec l'adresse de la maison et le numéro de téléphone de ma tante. Je tenais des propos incohérents à propos d'un poussin qui aurait perdu sa maman et d'un coq que je voulais faire cuire au court bouillon.

J'ai été examinée par des médecins, aucune trace de blessure ou d'agression si ce n'est une brûlure légère au poignet, aucune trace de drogues quelconque, aucun souvenir des six derniers mois. Mes réponses étant logiques et vraisemblables jusqu'à l'évocation des derniers mois. À partir du jour fatidique, je me mettais à raconter n'importe quoi et à délirer. Mes propos n'avaient ni queue ni tête et je reprenais mon récit à plusieurs reprises en modifiant à chaque fois sans parvenir à plus de clarté.

Le psychiatre parle de choc post-traumatique et d'autres termes techniques comme une phase de rejet et de colère. Je le laisse faire son discours les yeux rivés dans les siens, l'esprit ailleurs. Ma tante boit ses paroles, moi, je ne le vois pas malgré mon regard dans sa direction. Des scènes étranges défilent devant moi sous forme de nuages de vapeur invisibles pour les autres. Encore ce visage d'un ange blond aux yeux azur et souriant, accompagné d'une impression de douceur et de bien-être. J'ai toujours ce mot ou alors ce prénom, je n'arrive pas à savoir. Coccola. Coccola. Une douleur immense dans la poitrine qui rend ma respiration difficile.

Une autre scène. Un autre visage très flou. Non plusieurs en fait. Un masculin, aussi blond que le premier et aux yeux noisette, qui dégagent un sentiment de gentillesse et un autre, aux cheveux noirs et aux yeux couleur flamme me donnant envie de frapper. Les deux silhouettes sont en train de marcher dans ce qui me semble être la rue de ma maison. Je veux dire la maison où j'ai grandie, je crois que c'est ça. C'est tellement embrouillé dans ma tête. Je les vois ouvrir la porte et la jeune fille sauter au cou du blondinet puis faire la bise au second.

Devant mes yeux, les nuages forment une succession de petites scènes. Toutes ont l'ange comme sujet principal. Elle danse ou chantonne en berçant un bébé. Elle change sa couche avec un air de dégoût, ce qui me donne envie de rire. La jeune blonde agite un hochet pour amuser le bébé. Elle lui apprends à marcher et joue avec lui dans une attitude maternelle? Au fond de moi, je sais que ce n'est pas son enfant mais qu'il est normal qu'elle s'en occupe. Pourquoi? Je l'ignore.

Une autre scène apparaît. La jeune fille est dans un canapé en train de manger ce qui je suppose être du pop-corn. Mes narines imaginent l'odeur de sucre chaud qui se dégage de l'énorme bol entre les mains de la belle. Elle est captivée par quelque chose qu'elle fixe. Je suppose que c'est un film à la télévision. Dévorant son encas, je la vois sursauter, rire et pleurer face aux images. Elle est si belle et joyeuse, si innocente.

La voici maintenant sur un manège à sensations. Elle crie et ferme les yeux de peur et de joie. Ses longs cheveux s'envolent et redescendent en suivant les mouvements du manège. Ses joues rosissent sous l'excitation. Le calme revient. Le tour doit être fini. Elle bat des mains, heureuse comme une enfant. Elle crie "encore, encore" et ça repart. Le petit ange est au paradis.

Soudain, je vois ce qui doit être un salon. Je l'identifie comme celui des parents de la fille. Quatre adultes attablés et deux jeunes filles dont celle dont le visage me hante. L'autre, je crois que c'est moi. Oui, c'est moi après vérification de mon reflet dans l'ovale de ma cuillère. Des éclairs surgissent. Des couteaux volent. Les quatre adultes sont transpercés. La blonde et moi hurlons et nous couchons à terre. Un vent violent. Un froid glacial entre dans la pièce. Des flammes. Des flammes gigantesques, qui nous entourent la fille et moi, pourtant elles ne m'effrayent pas, elles nous rassurent.

Une main se tend vers nous. Nous la saisissons. La blonde et moi quittons le salon et atterrissons dans le parc voisin en tenant la main d'un jeune adulte. Son visage est flou, je suis incapable de dire quel est la couleur de ses cheveux ou de ses yeux, ni si sa coiffure est longue ou courte. La blondinette m'embrasse sur les joues et je ressens un immense froid qui me brûle de l'intérieur. Une rage est en moi, incontrôlable et destructrice. Je me mets à hurler.

Ma tante me tape sur l'épaule et me fait revenir au moment présent. J'ai eu une absence, on dirait que ce n'est pas la première. Le psychiatre me demande ce que j'ai vu. Il veut savoir ce qui m'a effrayé et fait crier. Je suis incapable de trouver les mots adéquats. Je parle de nuage au lieu de visage, de glaçons pour indiquer des garçons, de chocolat pour imager les flammes. Ce que je raconte n'a ni queue ni tête, pourtant dans ma tête, c'est très clair.

Ce langage incohérent m'irrite au plus haut point, je serre les poings rageusement, puis me terre dans le silence. Quelque chose en moi ne veut pas révéler mes visions aux deux personnes qui me font face. Mon inconscient ne leur fait pas confiance ou alors il souhaite garder le secret, je ne sais pourquoi. Ils ont l'air si gentils et bienveillants. Au bout d'une heure de serrage de dents, le psychiatre s'en va.

Je regagne ma chambre épuisée de cette lutte intérieure et une fois seule, je débloque mon téléphone portable. La solution est dedans, j'ignore quoi, c'est dedans, j'en suis convaincue. C'est comme une intuition, un sixième sens. Ce que je veux savoir est là, caché dans les méandres des circuits intégrés et la mémoire de la carte sim. Au début, je ne trouve que les numéros de la pizzeria et de la boulangerie et des photos de mes parents, de mon ancienne maison et de mon ex lycée. Personne d'autre. Aucune photo de moi ou d'autres personnes.

C'est très étrange qu'un ado n'ait aucune photo d'elle ou de ses amies dans son téléphone. Aucun numéro de copines ou de copains. Mon téléphone a été effacé. J'en suis persuadée. Je tape mon nom sur un moteur de recherche et trouve une page Facebook bidon. J'ai les mots de passe. Le contenu est vide d'intérêt. Totalement à coté de la plaque. Je n'ai jamais pu poster de photos de chatons ou de bébés pandas. Quelqu'un d'autre a accéder à mon compte et a effacé le contenu. Il y a bien des photos de moi, l'arrière fond ne m'évoque rien. On m'a inventé une vie.

Je farfouille jusqu'à trouver mon bonheur. L'application pour un site d'écrivains en ligne où chacun peut raconter le fruit de son imagination. J'ai un compte avec un recueil publié de blagues carambars nazes. Ça, ça me ressemble déjà un peu plus.

Le plus intéressant n'est pas cela, c'est le roman non publié, mon journal intime depuis les cinq dernières années. En prologue, l'emplacement de mon journal papier racontant mon enfance depuis que je sais écrire. Je fonce le récupérer et le dévore à toute vitesse. Au bout de trois bonnes heures, j'ai fini la partie manuscrite. J'y parle d'une certaine Coccola, ma meilleure amie et voisine depuis la maternelle. Je suis sur une piste.

Aie. Ma tête. J'ai mal, je me plains.

La lumière qui pointe à travers les volets m'aveugle et accentue ma migraine. Je referme les yeux, le visage d'une jeune fille blonde semble imprimé sur mes rétines et ce mot dans ma tête. Coccola. Elle est si belle, irréelle. On dirait un ange avec un doux sourire et ses grands yeux bleus aux longs cils recourbés de biche.

J'ai l'impression qu'un brouillard m'entoure. Je ne reconnais pas les meubles autour de moi. Où suis-je ? Le lieu me paraît familier et cependant aucun objet ne semble m'appartenir. Je soulève la couette, je porte un pyjama ce qui est plutôt rassurant compte tenu de mon cerveau endormi. À croire que j'ai été droguée.

Je tente de me lever et mes jambes sont flageolantes. Les draps sentent l'assouplissant bon marché et leur odeur m'écœure. Le pyjama que je porte est horrible, ses motifs de grosses fleurs vieillottes me donnent l'impression d'être une grand-mère. En plus, il gratte horriblement et il est trop chaud, je suffoque. Je me tâte pour vérifier l'absence de blessures et mis à part mon poignet un peu rouge, je ne perçois rien d'inquiétant.

Je reprends mon examen de la pièce dans laquelle je me trouve. Un lit en bois massif, avec de grosses colonnes aux quatre angles, surmontées de boules ressemblant à des pommes de pins. Une tête de lit avec un décor rupestre gravé confirme mon impression d'avoir atterri au siècle dernier. Le papier peint, poursuit la scène ancestrale avec ses petites poupées de porcelaine en motifs, poupées reprises dans la décoration et les bibelots. Une table de chevet assortie, une armoire et un bureau complètent l'ameublement.

J'aperçois un objet que je reconnais. Mon téléphone portable. C'est le seul élément rassurant de cette pièce que je m'empresse de quitter. Le couloir n'est guère plus sécurisant et les bruits que je perçois me guident vers une cuisine ancestrale habitée d'une vieille femme dont le visage me dit quelque chose, mais je suis incapable de remettre un prénom dessus. Elle est voûtée, minuscule, aux cheveux blancs en chignon, une robe de velours bleu clair plus longue sur le devant et un fichu blanc usé.

Elle m'aperçoit et me fait un sourire qu'elle doit penser bienveillant. Elle me regarde comme une folle ou une débile, je perçois ce genre de choses. Je ne la trouve pas inquiétante ou menaçante et je me calme un peu. Elle me tend du lait et du chocolat en poudre, ce qui me prouve qu'elle me connaît et spontanément, je trouve l'emplacement des bols et des verres.

Le lieu m'est donc connu et pourtant, je ne sais toujours pas où je suis. J'ai cette impression d'avancer dans un nuage, de gestes mécaniques et non réfléchis, instinctifs. Je n'ai qu'une envie, fuir. Ce lieu m'est désagréable, je ne me sens pas à ma place ici. Ce n'est pas chez moi. La boule au ventre me dit que quelqu'un m'attends, quelque part mais pas ici. Mon instinct me suggère de patienter et d'observer. Je ne me sens pas en danger avec la vieille et surtout, j'ai terriblement faim.

Elle passe un appel et un quart d'heure plus tard, je vois arriver un homme qui se présente comme un psychiatre. Doucement et sur un ton professionnel neutre, il me remémore les derniers mois. Des voleurs qui ont agressés mes parents et ceux de ma meilleure amie un soir au dîner. La mort des quatre adultes et surtout de ma copine sous mes yeux. Mon état de choc qui bloque une partie de mes souvenirs.

Il évoque la veille femme comme une tante éloignée, ma dernière famille, chez qui j'ai été placée sous tutelle le temps que je me rétablisse. Je suis encore mineure, je n'ai que seize ans, mais je suis très adulte et dès que je me sentirais mieux, je pourrais demander l'émancipation. Son ton professionnel me gonfle. Il me parle comme à une bébé, ce qui me donne envie de le taper.

La tante valide en hochant la tête. Le récit m'est vaguement évocateur et quelques images parviennent à mon cerveau. Quelque chose me gêne, comme une impression de déjà-vu. Un élément qui n'est pas à sa place. Les deux personnes en face de moi me paraissent sincères et honnêtes, je ne doute pas qu'ils soient persuadés de me raconter la vérité. Néanmoins, je sais au fond de moi que tout ceci est faux, je ne peux pas l'expliquer, j'en suis sûre et certaine. Leur histoire n'est pas la vérité.

Face à mes multiples questions pour découvrir la faille, la vieille ose enfin m'avouer que je viens de fuguer. Après trois semaines chez elle, je suis partie un matin et elle n'a pas eu de nouvelles de moi pendant deux mois. Je suis revenue hier, déposée dans un commissariat du quartier, ayant perdu mes souvenirs et ne me rappelant plus mon nom. J'avais juste un papier en poche avec l'adresse de la maison et le numéro de téléphone de ma tante. Je tenais des propos incohérents à propos d'un poussin qui aurait perdu sa maman et d'un coq que je voulais faire cuire au court bouillon.

J'ai été examinée par des médecins, aucune trace de blessure ou d'agression si ce n'est une brûlure légère au poignet, aucune trace de drogues quelconque, aucun souvenir des six derniers mois. Mes réponses étant logiques et vraisemblables jusqu'à l'évocation des derniers mois. À partir du jour fatidique, je me mettais à raconter n'importe quoi et à délirer. Mes propos n'avaient ni queue ni tête et je reprenais mon récit à plusieurs reprises en modifiant à chaque fois sans parvenir à plus de clarté.

Le psychiatre parle de choc post-traumatique et d'autres termes techniques comme une phase de rejet et de colère. Je le laisse faire son discours les yeux rivés dans les siens, l'esprit ailleurs. Ma tante boit ses paroles, moi, je ne le vois pas malgré mon regard dans sa direction. Des scènes étranges défilent devant moi sous forme de nuages de vapeur invisibles pour les autres. Encore ce visage d'un ange blond aux yeux azur et souriant, accompagné d'une impression de douceur et de bien-être. J'ai toujours ce mot ou alors ce prénom, je n'arrive pas à savoir. Coccola. Coccola. Une douleur immense dans la poitrine qui rend ma respiration difficile.

Une autre scène. Un autre visage très flou. Non plusieurs en fait. Un masculin, aussi blond que le premier et aux yeux noisette, qui dégagent un sentiment de gentillesse et un autre, aux cheveux noirs et aux yeux couleur flamme me donnant envie de frapper. Les deux silhouettes sont en train de marcher dans ce qui me semble être la rue de ma maison. Je veux dire la maison où j'ai grandie, je crois que c'est ça. C'est tellement embrouillé dans ma tête. Je les vois ouvrir la porte et la jeune fille sauter au cou du blondinet puis faire la bise au second.

Devant mes yeux, les nuages forment une succession de petites scènes. Toutes ont l'ange comme sujet principal. Elle danse ou chantonne en berçant un bébé. Elle change sa couche avec un air de dégout, ce qui me donne envie de rire. La jeune blonde agite un hochet pour amuser le bébé. Elle lui apprends à marcher et joue avec lui dans une attitude maternelle? Au fond de moi, je sais que ce n'est pas son enfant mais qu'il est normal qu'elle s'en occupe. Pourquoi? Je l'ignore.

Une autre scène apparaît. La jeune fille est dans un canapé en train de manger ce qui je suppose être du pop corn. Mes narines imaginent l'odeur de sucre chaud qui se dégage de l'énorme bol entre les mains de la jeune fille. Elle est captivée par quelque chose qu'elle fixe. Je suppose que c'est un film à la télévision. Dévorant son encas, je la vois sursauter, rire et pleurer face aux images. Elle est si belle et joyeuse, si innocente.

La voici maintenant sur un manège à sensations. Elle crie et ferme les yeux de peur et de joie. Ses longs cheveux s'envolent et redescendent en suivant les mouvements du manège. Ses joues rosissent sous l'excitation. Le calme revient. Le tour doit être fini. Elle bat des mains, heureuse comme une enfant. Elle crie "encore, encore" et ca repart. Le petit ange est au paradis.

Soudain, je vois ce qui doit être un salon. Je l'identifie comme celui des parents de la fille. Quatre adultes attablés et deux jeunes filles dont celle dont le visage me hante. L'autre, je crois que c'est moi. Oui, c'est moi après vérification de mon reflet dans l'ovale de ma cuillère. Des éclairs surgissent. Des couteaux volent. Les quatre adultes sont transpercés. La blonde et moi hurlons et nous couchons à terre. Un vent violent. Un froid glacial entre dans la pièce. Des flammes. Des flammes gigantesques, qui nous entourent la fille et moi, pourtant elles ne m'effrayent pas, elles nous rassurent.

Une main se tend vers nous. Nous la saisissons. La blonde et moi quittons le salon et atterrissons dans le parc voisin en tenant la main d'un jeune adulte. Son visage est flou, je suis incapable de dire quel est la couleur de ses cheveux ou de ses yeux, ni si sa coiffure est longue ou courte. La blondinette m'embrasse sur les joues et je ressens un immense froid qui me brûle de l'intérieur. Une rage est en moi, incontrôlable et destructrice. Je me mets à hurler.

Ma tante me tape sur l'épaule et me fait revenir au moment présent. J'ai eu une absence, on dirait que ce n'est pas la première. Le psychiatre me demande ce que j'ai vu. Il veut savoir ce qui m'a effrayé et fait crier. Je suis incapable de trouver les mots adéquats. Je parle de nuage au lieu de visage, de glaçons pour indiquer des garçons, de chocolat pour imager les flammes. Ce que je raconte n'a ni queue ni tête, pourtant dans ma tête, c'est très clair.

Ce langage incohérent m'irrite au plus haut point, je serre les poings rageusement, puis me terre dans le silence. Quelque chose en moi ne veut pas révéler mes visions aux deux personnes qui me font face. Mon inconscient ne leur fait pas confiance ou alors il souhaite garder le secret, je ne sais pourquoi. Ils ont l'air si gentils et bienveillants. Au bout d'une heure de serrage de dents, le psychiatre s'en va.

Je regagne ma chambre épuisée de cette lutte intérieure et une fois seule, je débloque mon téléphone portable. La solution est dedans, j'ignore quoi, c'est dedans, j'en suis convaincue. C'est comme une intuition, un sixième sens. Ce que je veux savoir est là, caché dans les méandres des circuits intégrés et la mémoire de la carte sim. Au début, je ne trouve que les numéros de la pizzeria et de la boulangerie et des photos de mes parents, de mon ancienne maison et de mon ex lycée. Personne d'autre. Aucune photo de moi ou d'autres personnes.

C'est très étrange qu'un ado n'est aucune photo d'elle ou de ses amies dans son téléphone. Aucun numéro de copines ou de copains. Mon téléphone a été effacé. J'en suis persuadée. Je tape mon nom sur un moteur de recherche et trouve une page Facebook bidon. J'ai les mots de passe. Le contenu est vide d'intérêt. Totalement à coté de la planque. Je n'ai jamais pu poster de photos de chatons ou de bébés pandas. Quelqu'un d'autre a accéder à mon compte et a effacé le contenu. Il y a bien des photos de moi, l'arrière fond ne m'évoque rien. On m'a inventé une vie.

Je farfouille jusqu'à trouver mon bonheur. L'application pour un site d'écrivains en ligne où chacun peut raconter le fruit de son imagination. J'ai un compte avec un recueil publié de blagues carambars nazes. Ca, ca me ressemble déjà un peu plus.

Le plus intéressant n'est pas cela, c'est le roman non publié, mon journal intime depuis les cinq dernières années. En prologue, l'emplacement de mon journal papier racontant mon enfance depuis que je sais écrire. Je fonce le récupérer et le dévore à toute vitesse. Au bout de trois bonnes heures, j'ai fini la partie manuscrite. J'y parle d'une certaine Coccola, ma meilleure amie et voisine depuis la maternelle. Je suis sur une piste.

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