Troisième tentative Action
Me voilà au fin fond du sud de l'Espagne, dans une ville côtière du nom de Tarifa. Mais qu'est-ce que je fais ici ? J'étais bien chez Aline alors pourquoi je suis partie ainsi comme une voleuse. Tout ça à cause d'un fichu rêve. Le psychiatre doit avoir raison. Je n'ai plus toute ma tête.
Cela fait trois mois que je suis ici. Je suis assise sur la plage et la nuit est en train d'arriver. Tout ressemble à ma vision, d'un autre côté, toutes les plages se ressemblent un peu. Un marchand ambulant de Churros passe. Là aussi, c'est identique et très commun. Par contre, son visage et la décoration de son échoppe ambulante dans les moindres détails, ça, je ne peux pas l'avoir deviné.
Je suis donc les fesses dans le sable à regarder le soleil se coucher et je réfléchis à ma situation. Ce spectacle est magnifique. Les couleurs rouge et or se fondent à merveille et les quelques nuages présents s'assombrissent pour devenir noirs. Je songe malgré moi à un feu ardent qui se consume et finit par s'éteindre, les nuages étant les morceaux de bois transformés en charbon et le soleil, les flammes rouges orangés et or. Si on réfléchit bien, l'astre du jour n'est qu'une énorme boule incandescente.
Je me demande pourquoi j'ai une telle fascination du feu. Peut être parce que je suis une grande frileuse. J'ai vraiment un grain. Mes yeux se promènent sur les autres personnes. Je vois un groupe de trois garçons, dont l'un d'eux est torse-nu malgré la fraîcheur nocturne et surtout, il porte des lunettes de soleil dans l'obscurité. Je trouve cela suspect. Je focalise mon regard sur eux, et pas uniquement en raison des quasi tablettes de chocolat de l'exhibitionniste.
Ses cheveux noirs me font immédiatement penser à un des personnages du dernier dessin animé que j'ai vu. Les deux autres garçons sont assez mignons, je dois le reconnaître, surtout le blondinet. Il ressemble assez au portrait que j'ai fait du crush de Coccola. Mes propos étaient tout de même très vagues et peuvent convenir à pas mal de blondinets mignons aux yeux noisettes. Les trois garçons sont en train de rire comme les jeunes hommes d'une vingtaine d'années peuvent le faire entre potes.
Je suis hypnotisé par ce groupe. J'ai envie d'aller les aborder. Je ne veux pas draguer, j'ai juste cette impression qu'ils me mèneront à mon objectif. J'ai cette étrange sensation qui me fait penser que je les connais. J'ai même des prénoms en tête. Du moins un, le blondinet s'appelle Gaëtan, j'en suis intimement persuadée. Je suis dingue.
Je me rapproche doucement pour les entendre parler. Je ne veux pas me faire voir, juste être suffisamment proche pour distinguer leurs paroles. Dans leur dos, et profitant de l'obscurité, je parviens à moins de trois mètres du groupe sans me faire repérer. J'ai un couple de petits vieux silencieux qui me dissimule. Soudain, le troisième garçon se chamaille avec Blondinet et crie son prénom. Gaëtan. C'est dingue.
Comment trois inconnus, au milieu d'une plage minuscule dans un pays étranger, vont pourvoir m'aider dans ma quête. Et comment ai je su le prénom de l'un d'entre eux. C'est du délire. Mon esprit cartésien réprouve cette idée. Je photographie toutefois le groupe et enregistre l'image dans mon journal numérique avec tout les commentaires descriptifs possibles, y compris le timbre de leurs voix que j'ai perçu.
Les trois types se lèvent et partent. Sans attendre, je me mets à les suivre, tel un tueur en série dans les mauvais films. Je m'enfonce dans des ruelles sombres sans jamais les lâcher d'une semelle. Malheureusement pour moi, ils enfourchent des vélos et s'éloignent beaucoup trop vite pour que je puisse les suivre même en courant. C'est suspect d'avoir caché les vélos dans une ruelle aussi éloignée de la plage tout de même. Ses zigotos n'étaient pas très nets.
Je retourne sur mon étendue de sable et me trouve un coin discret pour dormir. Je grelotte un peu et le moindre bruit me fait sursauter. Tant bien que mal, je m'assoupis et me repose. Le lendemain matin, je traîne en ville en espérant trouver une information. Je suis attirée par le port et la mer. Je reviens sans cesse sur la plage, instinctivement. À plusieurs reprises, je me mets à nager vers le large jusqu'à ce que mon cerveau me dise de faire demi-tour, en voyant le rivage s'éloigner peu à peu.
Je suis une très bonne nageuse fort heureusement pour moi. Les courants sont plutôt puissants dans ce coin et je me sens emmener vers le large. Je lutte de toutes mes forces. Avec difficulté, je retourne au rivage en haletant. Cette fois, j'ai franchi la zone des cent cinquante mètres, un énorme poisson m'ayant fait une frayeur avec sa taille. Je suis essoufflée et mon cœur s'emballe dans ma poitrine. Pourquoi je fais ça ? Je voudrais me suicider que je n'y arriverais pas aussi bien.
Une fois calmée, je me rhabille et me rends sur le petit marché pour manger quelque chose. Je suis frigorifiée, j'ai besoin d'un truc chaud. Dissimulée par mes lunettes de soleil, je retrouve une autre paire de ray-bans aux cheveux noirs et au torse musclé. Il ne doit jamais porter de chemise, il faut croire. Les femmes profitent du spectacle en gloussant. Cette fois, il ne m'échappera pas. J'ai dérobé une planche de skate-board. Je lui colle aux fesses tandis qu'il se rend au port avec son vélo rouillé.
Je suis obligée de cesser ma poursuite quand il monte sur un gros bateau qui s'éloigne du port. Un bateau nommé BellissiMarie. Quel nom bizarre. J'ai tout de même une information et Google translate m'assiste dans mes recherches auprès de la capitainerie du port. Le bateau vient une fois par semaine, le jour du marché, s'ancrer quelques heures, sûrement le temps de se ravitailler. Je n'ai plus qu'à attendre et m'acheter de la crème solaire si je ne veux pas finir en couleur chocolat brûlé. Malgré la fraîcheur nocturne et aquatique, le soleil tape dur en journée, la chaleur est étouffante.
Je note dans ma prose numérique toutes les informations obtenues jusqu'ici. Je relate également mes rêves de plus en plus fréquents et détaillés depuis que j'ai atteint ce village. Ma source d'inspiration ne doit pas se trouver loin. J'ai eu le sentiment de manger une bonne glace vanille en approchant du bateau. Ce genre de baume au cœur infaillible quand tout va mal. L'emplacement d'ancrage m'est connu. Juste en face, il y a un vieux panneau d'affichage qui n'a pas dû être changé depuis plusieurs années.
Une nuit, alors que tout le monde dort, j'arrache la vilaine affiche décolorée et je peins un arc-en-ciel avec des bombes de peinture, avec à son pied une fleur multicolore. Je ne suis pas douée en dessin naturellement et c'est la première fois que j'utilise des bombes de peinture. Le résultat est très moche et enfantin. Peu importe, il ressemble à un dessin que Coccola m'a offert pour l'anniversaire de mes sept ans.
J'étais hospitalisée ce jour-là pour une appendicite. J'avais très peur et on s'est fait un serment éternel, une cérémonie d'adoption mutuelle et un échange de sang dans le dos des infirmières et de nos parents. Si elle est là, j'espère qu'elle verra mon œuvre et se souviendra. Je tremble à l'idée qu'elle souffre du même syndrome d'amnésie partielle que moi. Si elle est encore vivante.
C'est le jour du marché. Je squatte à proximité du port depuis l'aube et ma cible ne tarde pas à arriver. C'est encore le drôle de type qui en sort avec deux filles. Une d'elle me fait penser au piaf casse-pieds qui me collait chez ma tante. Je fais un drôle de parallèle entre un animal et un humain. Je les laisse s'éloigner et me rapproche du bateau.
Je tente de monter dessus, la passerelle pourtant baissée me parait infranchissable, comme barrée d'un mur invisible. Je contourne le problème et saute à l'eau pour accéder via l'échelle de corde placée à l'avant. Sans succès. Je regagne la surface et me sèche sur un banc en attendant et en réfléchissant.
Les trois individus reviennent avec des courses, puis au bout de deux minutes, le type bizarre et exhibitionniste ressort avec le joli blondinet. Ils semblent chercher quelque chose ou quelqu'un. Très rapidement, ils font demi tour et semblent décider d'une autre activité. Puisque je ne peux pas entrer sur le bateau, je vais les suivre à l'aide de mon skate.
Comment font t'il pour supporter la chaleur étouffante ? Ils sont en tenue de sport et ils se mettent à courir le long de la rive en plein soleil. Ils sont fous. Je dois l'être aussi puisque je les suis avec mon moyen de locomotion. J'achète trois bouteilles d'eau et j'attends qu'ils se posent pour reprendre leur souffle. Je m'approche en mode midinette, avec de grosses lunettes de soleil, et un chapeau qui couvre mes cheveux ainsi qu'une petite robe à fleurs estivale.
- ¿Tienes sed? (vous avez soif?)
Mon accent doit être horrible, là n'est pas mon but. Je cherche à me rapprocher d'eux. Le type bizarre détourne le regard et m'envoie un râteau magistral. Le blondinet est beaucoup plus poli, il me sourit et sort un petit dico de sa poche. Français - Espagnol. Bingo. C'est des étrangers eux aussi et en plus, ils viennent de chez moi.
- Oh ! Vous êtes Français ? Moi aussi ! Je suis en vacances avec mes parents. Ils m'ont abandonnée pour faire la sieste et je m'ennuie tellement. Je vous ai vu courir et je me suis dit que vous devriez être assoiffés avec ce soleil.
Blondinet agrandit son sourire tellement grand qu'il pourrait faire de la publicité pour Colgate. Ma comédie semble l'amuser. Il me remercie gentiment et discute avec moi quelques minutes en excusant son camarade du genre solitaire. Si je mens avec mes pseudos vacances, il n'est pas en reste et me sort un énorme bobard sur un boulot de barman dans une boîte de nuit locale. Il oublie qu'avec Internet, on peut trouver tout ce qu'on veut et en l'occurrence l'inexistence de cette discothèque et surtout, je suis un radar à mensonges. L'important est de savoir qu'ils ne sont pas nets et méritent que j'enquête sur eux.
Ils repartent au port et le bateau rejoint la haute mer. Je retourne à mon lit caché entre deux dunes de sable pour me reposer un peu. J'ai soudainement envie de me baigner à deux heures du matin. L'eau est fraîche, pas froide, ma lubie peut donc être suivie et je me déshabille. Je plonge en sous-vêtements et effectue plusieurs longueurs d'un point à l'autre de la petite enclave entre deux digues. Je sens des poissons qui me frôlent, le noir ne me permettant pas de les voir et de les identifier. J'espère qu'il s'agit d'inoffensifs porteurs de branchies.
L'eau est soudainement plus chaude et j'aperçois un nageur au loin, au large. Je me dirige dans sa direction, prise d'une envie de discuter. Pourquoi un nageur solitaire voudrait me taper la discut à deux heures du mat ? C'est du grand n'importe quoi. Au fur et à mesure que je me rapproche, je trouve l'eau de plus en plus agréable et je me rends compte qu'il est loin d'être seul. C'est un groupe de neuf personnes dont les deux types de tout à l'heure. Ils sont près d'un gros bateau qui semble ancré à bonne distance du front de mer. Je suis folle. Il vaut mieux que je fasse demi-tour.
Je me retourne. Je suis à plus de deux cent mètres des côtes. Je vais galérer à revenir sur la plage si les courants ne m'emportent pas. Je respire un bon coup et m'apprête à effectuer mon chemin retour quand j'entends un rire sonore et enfantin. Coccola. C'est elle, je le sens, je le sais. Au plus, vite, que mon crawl me le permet avec les vagues, je nage dans la direction de cet éclat sonore. Je me fais arrêter par un des trois types du premier groupe que j'ai vu. Le troisième, pas le beau blondinet ni le bizarre à lunettes, celui qui est le plus normal et banal.
- Mais que fais-tu ici toi ? Me demande-t-il avec douceur.
- Je.. Dois la rejoindre. Elle me manque.
Ce que je dis est du délire. Cela n'a aucun sens et pourtant, le garçon me regarde avec douceur et soupire. D'ailleurs, comment se fait-il qu'il m'ait parlé directement en français? Il m'observe, j'ai l'impression qu'il me connaît. Un autre type le rejoint. Je ne l'ai pas encore vu. Du moins, je crois, son visage me rappelle bien quelque chose, c'est très flou. Lui aussi me regarde avec bienveillance et soupire.
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