Troisième tentative Réaction
- Allez viens, elle est là-bas, m'indique mon premier interlocuteur en me montrant l'arrière du navire.
Je nage très rapidement et aperçois enfin une blondinette en train d'asperger le type bizarre et son acolyte mannequin. Elle me voit et écarquille les yeux. C'est elle. Coccola. J'en suis sûre, je la reconnais. Elle nage à toute vitesse vers moi.
Nous nous enlaçons et nous embrassons. Nous pleurons toutes les deux de joie. Je prends une grande bouffée d'air, comme soulagé d'un poids qui m'oppressait la poitrine. Mon cœur bat la chamade mais mon corps s'apaise. Je me sens enfin complète et sans douleur. Je ne suis pas folle. Coccola existe, elle est vivante et devant moi. Je n'ai pas fugué et pris tout ces risques pour rien.
Les deux garçons, comme les autres, font une tête de six pieds de long. Ma présence ne le ravit guère. Je ne suis clairement pas la bienvenue. Ils ne sont pas hostiles, mis à part peut être M. Bizarre, mais je sens bien que je ne devrais pas être là, que je les dérange. Ils scrutent les alentours et serrent les dents, inquiets pour je ne sais quelle raison.
Coccola et moi grimpons sur le bateau pour continuer à nous câliner au grand dam des autres membres d'équipage. Nous sommes coupées du monde et l'une des filles doit tousser pour nous sortir de notre bulle. C'est la fille de ce matin, celle que j'ai associée à ce drôle d'oiseau. Je teste mon intuition.
- Oui Isabelle ? Tu veux quoi ?
- Comment sais-tu mon prénom toi ?
- Je ne le savais pas. Une intuition à propos d'un volatile qui m'a collé quelques mois.
Je vois la jeune femme pâlir et se tourner vers ses acolytes stupéfaits eux aussi. Bien que je ne saisisse pas l'embrouille, je sais que j'ai fait mouche. Comme pour Gaëtan sur la plage il y a quelques jours, je suis convaincue d'avoir trouvé le bon prénom. Même si tout ça est vraiment plus qu'anormal. Mes troubles de la mémoire sont plus qu'étranges, ils ne sont décrits par aucun manuel de psychologie humaine. Je commence à me donner de sérieuses questions sur ce qui m'arrive.
Mon amie me couvre de bisous en me murmurant qu'elle était sûre que je reviendrais. Elle me voit toutes les nuits dans ses rêves, elle nous a vu mangeant des churros ensemble sur la plage. Elle me décrit son rêve qui est identique en tous points au mien, y compris la couleur et la forme de nos maillots de bains, ceux que l'on porte ce soir. A ce stade, nous souffrons de prémonitions simultanées ou d'hallucinations collectives. J'hésite encore.
Coccola a tout raconté à ses amis, à chacun de ses rêves. Ils ne la croyaient pas. Ils pensaient qu'elle rêvait et nourrissait de faux espoirs. J'apprends que ce n'est pas la première fois que nous nous retrouvons mais la troisième depuis le jour fatidique où Coccola est censée être morte.
Je n'ai pas le droit de rester davantage. Ils me donnent à manger et me disent de rentrer chez moi sans me fournir d'explications. Mon amie pleure et me confirme qu'il est préférable que je parte et que je l'oublie. Je leur dis ma douleur thoracique dès que je m'éloigne de Coccola. Ils me croient, elle souffre du même mal. Ma présence met mon amie en danger, et sa présence me met en danger, c'est tout ce je saurais.
Une fois le repas terminé, ils me débarquent sur la plage. Ils, enfin surtout le type bizarre, s'assurent que je récupère mon sac et ils me donnent assez d'argent pour retourner chez ma tante dans le premier avion. Ils me déposent à l'aéroport et attendent que je décolle.
Une fois à Paris, j'utilise ma réserve financière pour prendre un vol pour Naples. Toujours sur une intuition. Je passe un mois dans cette sublime ville italienne avant de revoir mon type bizarre. Comment ai-je pu savoir, je l'ignore. Cette fois, je vais le suivre sans me montrer. Je veux en apprendre plus sur les raisons qui poussent mon amie à me tenir à l'écart alors qu'elle souffre encore plus de la situation, vu qu'elle se rappelle tout.
J'ai bien réfléchi et je pense qu'il s'agit d'une secte. Comment expliquer cela autrement, ils ont dû l'endoctriner. Grâce à mon fidèle ami Google, je me suis renseignée durant mon attente sur les déprogrammations, les différentes méthodes et approches. Je suis persuadée que si j'arrive à la convaincre que je ne crains rien, elle viendra avec moi chez ma tante. Ce que je dois apprendre, c'est quel danger je suis censé courir.
Par contre, je n'ai toujours pas de pistes pour trouver comment ils ont pu m'effacer la mémoire plusieurs fois. J'ai fait des tonnes de recherches sur les processus mentaux de mémorisation ou d'altération des souvenirs. Ce qui se rapproche le plus de mon cas est le choc post traumatique. Cependant, cela fonctionne une fois et non à répétition. Bref, je dois découvrir également ce qu'ils m'ont fait subir.
Je piste donc l'étrange personnage qui ne semble pas connaître le combat contre le climat. Dans la nuit froide ou en plein soleil brûlant, il est toujours vêtu léger et avec des lunettes de soleil. Il est parfois accompagné des autres, jamais de mon amie. Le plus souvent, c'est le joli blond ou le gentil qui m'a laissé câliner mon amie. À l'aide de mon fidèle skate, je sais qu'ils ont élu domicile dans une luxueuse villa sur les hauteurs. Vu la taille du bateau précédent, leur gourou me parait bien fortuné.
Je confirme les neuf personnes en comptant mon amie que je ne vois jamais. Elle ne semblait pas séquestrée la dernière fois. J'espère que je ne lui ai pas attiré d'ennuis. Cinq garçons et quatre filles. Monsieur Bizarre, Blondinet alias Gaëtan, Sympa que j'ai surnommé Ken, et les deux frères sérieux. Une rousse sexy, la fameuse Isabelle aux cheveux châtains et toujours très calme, une brune discrète et mon amie. Il y a peut-être d'autres personnes enfermées que je n'ai pas vues sur le bateau. Je reste vigilante cependant, je ne perçois aucune autre forme de vie.
Par contre, moi, je suis suivie par deux pervers qui croient me coincer dans une ruelle sombre. Voilà deux jours que je ne cesse de les croiser et à chaque fois, ils se lèchent les babines. Mon espionnage de M. Bizarre se complique avec les deux pots de colle. Alors, je m'achète un spray au poivre et surtout, je ne vais pas dans les ruelles sombres. Les deux obsédés ont une allure encore plus étrange que M. Bizarre. Ils portent des lunettes de soleil et des chapeaux masquant le visage et des gants, leurs peaux semblent allergiques au soleil, ils couvrent le moindre centimètre carrés.
Il me faut quatre jours pour les semer et quatre autres pour retrouver mon porteur de short cible. Quand je me rapproche de lui pour l'écouter parler, sa voix m'irrite, son discours un brin misogyne m'exaspère. Je surprends une de ses conversations avec Ken le sympa à propos de mon amie. M. Bizarre ne parvient pas à comprendre pourquoi elle ne m'oublie pas et pourquoi je suis aussi butée et entêtée à la retrouver.
Ce type est un abruti fini, il ne sait pas ce que c'est que l'amour fraternel, il me confirme qu'à chacune de mes précédentes fugues, je suis parvenue à rejoindre mon amie. Comment pouvais-je oublier tout cela ? Je ne sais pas quel est le cocktail de drogues qu'ils m'ont fait ingurgiter, il doit être puissant et inédit pour qu'aucun médecin ne soit parvenu à le détecter. Son efficacité est redoutable. Je suis sûre que les deux pervers paieraient cher pour l'obtenir et en abuser sur leurs proies.
Et s'ils droguaient Coccola? Je dois envisager cette option. Il faut absolument que je rentre dans leur villa. Le mieux pour ne pas me faire repérer, c'est la nuit. Seulement, moi, je ne suis pas en sécurité la nuit avec les deux allumés qui m'ont suivi. Je tente quand même le coup un soir, pendant qu'une grosse fête a lieu en ville. M. Bizarre et ses deux compagnons favoris sont de sortie.
Je m'approche lentement. La porte d'entrée est verrouillée, une fenêtre de l'étage est ouverte. J'aperçois les deux frères en compagnie de la rousse en train de bavarder autour d'un verre sur la terrasse extérieure. Je grimpe le plus silencieusement possible le long du mur, en m'aidant de la vielle glycine et de la gouttière. Je rentre par l'ouverture, il n'y a personne. J'entends de la musique dans une pièce proche. Le groupe préféré de mon amie.
Doucement et en surveillant les alentours, je m'approche de la chambre. Je perçois deux voix féminines qui chantent et rient et l'une d'elles est celle de Coccola. À la lumière qui pointe d'une autre chambre, je devine la présence de la dernière fille. Cachée derrière un pot de fleurs, j'écoute la douce voix mélodieuse de ma chérie.
Elle semble aller bien et ne pas souffrir ou être maltraitée avec eux. Il y a de la joie dans son babillage sauf durant les quelques secondes où elle m'évoque. Sa tristesse me brise, je lui manque comme son absence me fait défaillir le cœur. Je pleure en silence, la sachant si proche et ne pas pouvoir la toucher. De l'autre coté du mur, elle aussi se met à sangloter.
D'un seul coup, j'ai très chaud et je me sens entourée d'un vent pas possible. Les flammes m'encerclent et cependant, je n'ai pas peur. Je relève les yeux et aperçoit M. Bizarre qui m'envoie les flammes avec colère sans pour autant me toucher. Il doit avoir un lance flammes que je ne vois pas. Le blondinet a la main levée, avec ce brouillard de fumée, je suppose qu'il s'amuse avec un énorme souffleur.
- Eh Aang et Zuko ! Arrêtez votre cinéma. Vous ne me faites pas peur avec vos machines infernales. Je vous jure que si vous avez fait du mal à Coccola, je vous défonce la mâchoire d'un moyen ou d'un autre.
- Il va falloir te le dire en quelle langue ? Dégage, tu te mets en danger et ton amie par la même occasion, me répond l'incendiaire.
- Tu peux me le dire en biélorusse que je me contreficherais encore de ton avis. Tant que je ne saurais pas quel est le danger, je croirai que le problème, c'est vous et surtout toi boule de feu. Vous lui avez fait quoi à Coccola ? C'est quoi la drogue qu'elle avale ?
Les autres ont tous rappliqué. Les deux garçons m'ont reposé au sol et ont éteint leur incendie. Je suis en train de chopper le spray au poivre dans ma poche et je m'avance dangereusement vers M. Bizarre. Une main sur mon bras me stoppe dans l'agression que je projette et deux yeux azur me grondent en silence.
- Non choupette. Ils me protègent et je te connais assez pour savoir que tu t'apprêtes à lancer quelque chose de toxique sur l'un d'entre nous. J'ai même ma petite idée sur l'identité de ta future victime.
- Pourquoi tu ne me dis rien ? Pourquoi tu ne rentres pas avec moi ? Tu me manques. Tu souffres comme moi. C'est qui ces gens ? Ils ne sont rien. Tu es ma sœur de cœur. Explique-moi. Prouve-moi que tu ne fais pas partie d'une secte qui te broie le cerveau. Coccola, je t'aime tellement, j'ai mal loin de toi. Je n'arrive pas à t'oublier. J'ai froid, si froid quand ton souvenir me revient en mémoire.
Coccola me prend dans ses bras et me berce, en pleurnichant elle aussi. Le blondinet semble comprendre sa peine comme la plupart des autres. Il n'y a que M. Bizarre qui ronchonne devant nos effusions de tendresse. L'un des deux frères, celui que je dirais le dominant ou le gourou de la secte me propose de rester dormir et de tout m'expliquer demain. J'acquiesce et profite de mon passage dans la salle de bains pour tout écrire sur ma mémoire numérique, discrètement.
En sortant de la douche, je croise M. Bizarre dans le couloir et son regard lubrique sur le tee shirt collé à ma poitrine me fait dégainer mon spray au poivre. Je me sauve pour rejoindre mon amie en le laissant hurler et enrager contre mon acte de pure vengeance face à son insensibilité.
Je me réveille deux jours plus tard chez ma tante, sans mémoire.
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