Cauchemars

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Je m'imprègne de cette ambiance magique et assiste au maximum de démonstration possible. Je fais ma groupie et je serre les mains des magiciens qui m'éblouissent par leur aura. J'ignore pourquoi j'éprouve ce besoin tactile alors que la plupart me dégoûtent par leur suffisance. Les seuls qui refusent de toucher une humaine même pour une poignée de main sont Lisbeth et son époux. Mon instinct, à moins que ce ne soit la façon dont ils me traitent, me dit de me méfier d'eux. Pourtant, aucun de leurs actes ne justifie mon inquiétude.

J'ai beau potasser les livres d'histoires et discuter avec un grand nombre d'anciens, quelque chose me gêne dans ce drama familial Lisbeth – Erwan sans que j'arrive à mettre le doigt dessus. Si seulement mes amis se méfiaient de Lisbeth comme moi, mais tous la vénèrent comme une déesse.

Du mieux que je le peux, je ferme mon esprit à Léa et je m'éloigne d'elle. On pourrait croire que je la fuis. D'ailleurs, elle m'envoie les membres de notre petite famille à la pêche aux infos. Même Mushu s'y colle, c'est trop mignon ! Je sors un bobard de mini déprime de la fille mortelle qui ne veut pas que sa meilleure amie la voit vieillir et mourir, préférant s'éloigner pour qu'elle ne souffre pas. Un vrai mélodrame digne d'un soap-opéra idiot qui berne toute cette petite société de magicien.

En réalité, je me sens mal depuis que je suis arrivée dans la forteresse magique. Je me sens oppressée et je fais de nombreux cauchemars. J'ai de plus en plus de migraines inexplicables. Pour être précise, je suis constamment au bord de l'écœurement depuis l'attaque du petit sorcier. Je me réveille la nuit en sueur. Je suis dans la peau de ce sale type et je me vois m'auto-poignarder. J'imagine des atrocités qu'il aurait fait subir à de parfaits inconnus. C'est très étrange. J'ai l'impression de revivre des morceaux de sa vie alors que je ne le connaissais pas.

Ce qui me file une frousse pas possible, c'est que depuis que je suis arrivée à la forteresse, je ne revis pas que des moments du sorcier. Voilà que j'imagine la nuit, les magiciens que je croise, faire des actes cruels ou chelous. Un des plus anciens magiciens m'a fait cauchemarder. Je me suis vu dans son corps, en train de violer une jeune fille en utilisant ma magie pour l'endormir. Je me demande bien pourquoi j'ai de telles pensées. Je deviens folle.

Je ne veux pas que ma Coccola le perçoive. Elle s'inquiéterait ou pire, serait dégoûtée par moi. En fait, je souhaite que personne ne sache la teneur de mes cauchemars. Je ne peux pas les cacher, mes hurlements réveillant plusieurs chambrées par leurs puissances. Mes cris sont si horrifiés que j'ai même alerté les chambrées masculines la nuit dernière.

Je suis le sorcier. Entravée à un mur, je subis des coups de fouet et des décharges électriques. Quelqu'un me torture. Chaque blessure me meurtrit les chairs. Je m'époumone et supplie qu'on m'épargne. Je ressens la douleur, le désespoir de ce sorcier. À ce moment-là, il n'a que quinze ans. Incapable de se défendre et d'utiliser la magie.

Je porte un foulard qui me masque la vision. J'aperçois un visage flou. C'est un homme. Cette fois, il me poignarde dans le ventre. Des coups précis qui me blesse sans toucher d'organes vitaux. Il me soigne le strict nécessaire pour que je survive puis il recommence. Encore et encore. Avec rage, il me charcute. Il me hurle dessus, voulant que j'utilise mes pouvoirs. J'ignore ce que je sais faire. Jamais je n'ai eu d'apparitions de magie. On me torture pour me pousser à bout, pour que mon corps agisse par réflexe.

Je revis plusieurs séances de torture. Parfois, c'est un homme, parfois une femme. Je ne vois pas leurs visages. Toutefois, aux cris du sorcier, je comprends que les deux tortionnaires sont ses parents ou du moins, ceux qui élèvent le sorcier. Il connaît leurs voix et les supplie en les appelant papa et maman.

C'est un calvaire. Un jour, une troisième personne vient pour le rouer de coups. Celle-ci utilise la magie pour brûler la peau. Enfin, la magie s'est réveillée. Le sorcier fait apparaître une lame à la place d'une de ses mains. Il brise alors ses chaînes et se bat avec cette autre personne. Je donne des coups et j'en reçois. Je frappe mes parents et je m'enfuis, loin de cette maison.

Dans mon rêve, j'ai crié si fort qu'Arthur et Mushu sont accourus. J'étais endormie et hurlante. Mushu m'a secoué pour me faire sortir de cet état de terreur. Je me suis réveillé le visage inondé de larmes et surtout avec un goût métallique de sang dans la bouche. Terrifiée, je me suis débattue et j'ai frappé mes deux amis plusieurs fois avant de les reconnaître. Mushu et Arthur m'ont pris dans leurs bras, me berçant pour me calmer. Ils m'interrogent pour savoir ce que j'ai vu. Je ne peux rien leur dire. Les mots sont bloqués dans ma gorge. J'ai des envies de meurtres, une haine farouche et viscérale.

J'ai besoin d'air. Je dois sortir de cette chambre. J'enfile un pull et je sors marcher. Mushu veut m'accompagner, pour ma sécurité. Je le repousse durement. J'ai besoin d'être seule. Je hais le monde entier, éprouvant encore les sentiments du sorcier. Je ne comprends pas. Comment puis-je vivre des choses aussi intenses, aussi réelles ? Je ne réussis pas à me rendormir de la nuit. Mon cœur bat trop vite.

Au matin, les yeux cernés, je me traîne en ville comme un zombie. J'ai très mal à la tête. Je me mets à repenser à des souvenirs de mon enfance avec Léa sans raison. Je refuse. Quand mes idées divaguent, elles ne prennent pas ce genre de chemin. Je rends ma tête entre mes mains et je me mets à chanter des trucs idiots à tue-tête pour bloquer mon cerveau. J'ai froid. Tellement froid. Je suis si fatiguée. Ça explique peut-être mes frissons. Soudain, un voile noir apparaît devant mes yeux et je m'écroule au sol.

Je me réveille dans une pièce que je ne connais pas. Je commence à paniquer, mais j'aperçois tous les garçons auprès de moi alors je me calme. Ils sont soucieux. Mushu me regarde avec inquiétude. Je me demande bien ce qui se passe. Arthur me prend la main, et me la caresse doucement. Ils commencent à me faire flipper avec leurs sourires gênés et leurs silences.

- Qu'est-ce qui se passe ? Je suis où ?

- Tu es dans ma chambre, me répond Mushu. Je t'ai vu t'écrouler d'un coup. Tu étais frigorifiée, comme quand tu avais reçu l'attaque d'Inès. Tu étais glacée, on aurait dit qu'on t'avait attaqué et pourtant, je n'ai vu personne. Je t'ai ramené ici et je t'ai réchauffé. Ca fait trois heures que tu dors. J'ai appelé Arthur pour t'examiner.

- Et qu'est-ce que j'ai ?

- Le problème est bien là ma puce, me dit doucement Arthur. Tu n'as rien. Absolument rien. Mais tes doigts étaient bleus et pleins de gerçures ainsi que tes lèvres. Mushu et moi avons dû combiner nos pouvoirs pour te réchauffer et te soigner. Je ne perçois aucune aura autour de toi.

- Louis et Gontran n'ont détecté aucune magie. Ils n'ont connaissance d'aucun sort à distance. Si quelqu'un t'a attaqué, il était invisible, or les défenses de la forteresse ne le permettent pas, m'informe Gaëtan.

Je frissonne. Mushu se méprend et allume une flammèche. Je prends alors la main de Gaëtan et lui demande d'utiliser le don de Léa sur moi. Je veux qu'il sente cette sensation d'attaque mentale. Cette sensation que j'ai eue aussi lors de l'attaque de la ferme. Le petit ami de Coccola parvient à la même conclusion que moi. Ludovic n'a pas détourné le pouvoir d'Inès. Quelqu'un m'a attaqué. Mais qui ? Comment j'ai pu résister ? Et pourquoi ? Je ne suis qu'une humaine.

Face à mon début de panique, Arthur me serre comme une enfant dans un geste paternaliste. Le contact avec mon ami et le soutien des garçons fait plaisir à voir. Louis est inquiet comme un papa poule lui aussi. Il a de sérieuses raisons. Ici, au sein de la forteresse, aucun sorcier y compris Erwan ou Matthieu ne pourrait être présent sans se faire repérer par les magiciens de haut niveau. Mon attaque est signe qu'il y a un ripou parmi eux.

Louis s'interroge sur les raisons qui le poussent à m'attaquer moi. Je suis humaine sans pouvoir. J'ai bien un lien avec Léa, toutefois, Gaëtan aussi et il ne subit pas d'attaques. Léa, également, ne rencontre aucun problème. Il n'y a que moi qui vit mal notre présence à la forteresse. Gontran pense à un rejet de la magie. Louis n'est pas d'accord. Les garçons se disputent vivement sur la conduite à tenir.

J'essaye de suivre le débat et de participer. Je n'ai pas tous les éléments en main. J'ai cette désagréable sensation d'être un enfant dans un débat de grandes personnes. Chacun met son grain de sel. Arthur, Gaëtan et Mushu sont les plus inquiets pour moi. Louis est le plus sage. Gontran veut ruer dans les brancards. Et soudain, ça recommence. J'ai à peine le temps d'attraper la main de Mushu que je retombe dans les pommes.

Cette fois, je me réveille dans la chambre de Léa et les filles sont là. Arthur, Inès et Mushu ont les yeux fermés et semblent utiliser leurs pouvoirs. Léa est en pleurs. Gaëtan la console. Marie, Louis, Isabelle et Gontran sont en train de lire des livres fébrilement. J'ai l'impression de flotter sur un nuage. J'ouvre les yeux et me ré-évanouie quelques secondes à plusieurs reprises. J'entends une porte s'ouvrir et une voix stridente qui s'élève. Lisbeth.

Mon état se stabilise instantanément. Sans bien savoir pourquoi, je suis en colère, j'ai envie de taper ou de mordre quelqu'un. Léa ressent ma rage et me regarde avec surprise. Je ne peux pas expliquer ce sentiment instinctif, animal et sauvage. Lisbeth me débecte, c'est viscéral et cette fois, je n'ai pas pu le masquer à ma meilleure amie. Le contact oculaire avec Léa m'apaise sans tarder. Je ne peux pas la lâcher des yeux. Telle une bouée de sauvetage en pleine mer, je m'accroche à ses prunelles. Je reprends des forces, comme si son regard me nourrissait.

Lisbeth m'examine. Je comprends que j'ai filé la frousse à mes amis et qu'ils ont appelé des renforts dans la panique. La fantastique magicienne ne découvre rien de plus que ce que mes amis lui disent. Elle promet de faire une enquête pour trouver qui m'attaque et lance un sort de protection qui me fait vomir sur ses chaussures. Je ne sais pas qui m'attaque, cependant, l'indésirable semble haïr cette femme.

Léa décide de venir dormir avec moi la nuit. J'ai pitié de Gaëtan qui s'inquiète pour elle et je refuse sa proposition. J'incite mon amie à dormir avec Gaëtan pour la protéger au cas où c'est elle la cible. Je rejoins ma chambre tant que mes jambes me portent et je m'effondre sur le lit comme vidée. Mushu toque et entre directement. Je n'ai même pas envie de lui crier dessus. Il se déshabille, ne gardant que son boxer et s'allonge à mes côtés sans que je réagisse.

- On a tiré au sort. Un de nous dormira avec toi que tu le veuilles ou non. Pas de bol, ce soir, c'est moi. Alors enfile vite ton pyjama et fais moi de la place, me sort cet âne en soupirant.

- Mushu ? Tu te rappelles notre discussion à propos d'être un monstre ?

- Oui. Pourquoi ? Tu déprimes encore ?

- Non ! Ce n'est pas ça ! Je...

J'éclate en sanglots inexplicables. Je suis si fatiguée. J'en ai marre de mes cauchemars glauques. J'en ai plus que ras-le-bol de tout retenir seule. Alors, je déballe mon sac à Mushu. Je lui raconte chacun de mes mauvais rêves en détail. J'ai besoin de faire sortir ces horreurs, d'en parler pour les extérioriser. Je m'endors en pleurs dans les bras du feu follet, une fois qu'il m'a rassuré en me disant que c'est sûrement la personne qui m'attaque qui m'envoie ces cauchemars. Mushu pense que je suis une peste, mais pas un psychopathe. Et il reconnaît que Lisbeth est bizarre.

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