Plusieurs semaines s'écoulent sans nouvel incident. Je suis en train de me préparer à attaquer un sorcier qui me suit dans une ruelle sombre pour me bouffer quand je m'aperçois que ce n'est pas un petit sorcier ordinaire. Je reconnais cette aura entre mille bien qu'elle soit plus sombre que d'habitude. Mushu. Avec des lentilles, il me suit comme un fauve traque sa proie. 

Soit il a changé de camp, soit il tend un piège à d'autres sorciers qui seront attirés par l'odeur de sang humain. Je dois savoir. Je me cache derrière une poubelle pour qu'il me dépasse puis je fais demi-tour. Je hèle une prostituée et lui donne de l'argent pour qu'elle aille voir Mushu et je donne à la fille quelques vêtements m'appartenant. Je l'envoie dans la ruelle rejoindre le feu follet et observe la suite.

La jeune fille de joie s'approche de ma cible qui se mit à la regarder des pieds à la tête avec stupeur et incompréhension. La demoiselle n'est guère subtile et je l'ai déjà payé pour dépuceler mon grand frère hyper timide. Je sais, ce n'est pas beau de mentir, cette idée, de le voir galérer avec des mains baladeuses, m'a parue très amusante sur le coup. Il la repousse avec douceur et se met à ricaner. Il la laisse s'approcher d'un air enjoué qui ne présage rien de bon. Cette andouille sniffe les vêtements et porte mon chandail à son nez alors que la fille glisse ses mains dans son pantalon.

- Eh sale gosse. Rappelle l'obsédée. Je t'ai reconnu. Je veux juste te parler. Je ne dirais rien à Léa. Il n'y a que moi. Promis. Montre tes fesses saleté et pas besoin de m'envoyer une professionnelle, je suis déjà naturellement chaud comme la braise.

Je vois Mushu qui écarte la donzelle peu farouche en se marrant. Il semble chercher quelqu'un des yeux, mais je refuse de me montrer. Mushu lance un petit sort de sommeil indétectable tellement il est faible sur la fille et la pose délicatement dans un coin à l'abri. Puis il m'appelle en me donnant des surnoms idiots.

- Poupée... Mon petit cœur... Où es-tu ? Mon canard en sucre... Montre toi mon petit oiseau des îles. Mon petit glaçon adoré.. Sinon j'appelle Gaëtan et toute la clique pour te botter les fesses. Allez Barbie, on quitte sa cachette et on vient voir son dragon préféré.

Il ouvre les bras et tapote sur ses hanches comme pour appeler un animal. Il ose même siffloter. Mushu me fait du chantage et veut appeler les autres si je ne me montre pas et le connaissant suffisamment pour savoir qu'il mettra sa menace à exécution, je sors de ma planque en bougonnant.

- Qu'est-ce que tu veux Mushu ?

- Juste te parler. Savoir si tout va bien. Et surtout que tu me dises la vraie raison de ta fuite, car je ne crois pas au mélodrame que tu nous as sorti.

- Je ne te demande pas d'y croire. Juste d'arrêter de me coller aux basques. Si ça continue, je vais croire que t'es amoureux ma parole.

Mushu ne peut s'empêcher de rire face à ma mine boudeuse et à mon ton grognon. Six mois que je ne l'ai pas vu et la première chose que je fais, c'est me disputer avec lui. Je cherche clairement la bagarre avec lui en sachant qu'il ne peut pas utiliser la magie. Il a compris que je ne voulais pas revenir tout comme ma tentative de mise sous pression de la cocotte-minute ne le dupe pas.

- Ohhh, mais mon enquiquineuse préférée, tu crois ce que tu veux. Je m'en fiche bien de ton opinion à mon égard, et même si tu me prends pour un obsédé prêt à sauter sur la première demoiselle qui passe, je ne suis pas un idiot alors arrête de me mentir.

- Depuis cent ans que tu attends ta promise, tu dois bien avoir le boxer en feu coco. Fiche moi la paix. C'est à cause de moi qu'Erwan retrouve Léa. Sans moi, elle est en sécurité avec Gaëtan. Alors dégage. Casse toi avant que le super vilain ne débarque.

- Dis-moi une chose avant petite peste. Si tu croyais qu'un sorcier te suivait, pourquoi tu n'as pas fui tout simplement ? Tu fais quoi ? Et d'ailleurs qui tue les jeunes sorciers? Toi ou Erwan ? Je commence à avoir des doutes. C'est quoi ce look ? On dirait une clocharde. C'est une épée à ta ceinture ?

- Ben ouais. Le seul moyen de tuer un sorcier, c'est la magie ou la décapitation non ? Je n'ai pas de magie en stock alors j'ai pris des cours d'escrime et de combats quand j'étais dans la forteresse magique. Et ce n'est pas une épée, c'est un katana, bien plus effilé et efficace, ignare.

- Efficace ?

Je bondis et place ma lame sur le cou de Mushu, faisant pointer une goutte de sang qui coule doucement. Il ne bouge pas d'un centimètre et sourit nullement inquiet par ma démonstration. Il ose même soupirer comme un adulte devant une bêtise d'enfant. Il essuie la goutte de sang avec un de ses doigts et me le tend en riant pour que je lèche. Par pure vengeance, je lui mords le doigt et il grimace un peu sans cesser de sourire. Le peu de sang qui se mélange à ma salive a un goût de piment.

- Bon. Puisque tu ne sembles pas décider à me lâcher, ça te dit un bon repas chaud au restaurant du coin. J'ai la dalle. C'est toi qui payes bien sûr.

- Bien suuuur mon amouuurrrr, répond cet abruti.

Mushu fait semblant de m'embrasser sur la joue et ne récolte qu'un coup de pied au postérieur de ma part. Il passe son bras autour de mes épaules pour s'assurer que je ne fugue pas de nouveau. Nous allons manger au petit restaurant italien à l'angle de la rue. Il y a tellement de gens bizarres dans ce quartier que Mushu passera inaperçu.

À table, nous discutons et j'apprends que suite à mon départ, il y a eu une violente dispute entre Louis, si calme et réservé, et d'autres anciens qui m'ont dénigré en tant qu'humaine. Louis a pris ma défense devant un conseil et s'est clairement opposé aux autres qui voulaient me trouver pour me tuer ou m'effacer la mémoire de peur qu'Erwan n'accède aux informations dont je dispose. Louis aurait même accusé les autres anciens d'être la raison de mon départ qui les a mis en danger, en leur jetant au visage la façon méprisante dont ils n'avaient parlé durant mon séjour.

Je suis navrée d'apprendre que Louis a eu des ennuis à cause de moi et dans le même moment, je suis heureuse qu'ils soient loin des autres anciens à l'esprit étriqué. Ce qui me fait le plus plaisir, c'est qu'ils n'ont plus jamais été retrouvé par le moindre sorcier depuis mon escapade. Mes amis vont bien. Ils soufflent enfin depuis quasiment cinq ans qu'ils ne cessent de fuir. Léa et Gaëtan ont énormément progressé avec leurs pouvoirs durant leur séjour à la forteresse.

Mushu sait aujourd'hui faire des flammes rouges ou oranges, mais n'arrive toujours pas à faire les bleues, les plus chaudes et les plus puissantes. Il m'avoue que sa progression vient de son bain forcé dans l'eau glacé. Avant, il contrôlait ses dons par la colère. Maintenant, il peut aussi les contrôler pour protéger et secourir. Grâce à mes pitreries, il a pris conscience de l'utilité de ses dons dans certaines situations comme cuire des aliments, réchauffer une tente ou une fille totalement givrée.

En le poussant à bout, je l'ai fait progresser. Je souris à cette expression à double sens. Mushu m'apprécie dans un certain sens. Savoir que j'ai pu lui être utile me réchauffe le cœur. Parfois, ses yeux cessent d'avoir cette couleur orange pour devenir verts ou bleus quelques instants. Cela reste fugace, mais Mushu a bon espoir qu'il puisse avoir un jour un regard plus normal. Il me taquine à propos du blaireau que j'ai fait perdre à un concours de mannequin. Léa aurait trouvé Mushu plus beau que ce type lorsque le feu follet a les yeux bleus. Ce crétin me dragouille, pour m'énerver, pensant que je le trouve joli garçon. Il se fourre le doigt dans l'œil s'il pense cela, d'autant plus que l'aspect physique est plus que minoritaire dans mes critères d'appréciation des gens.

Mushu me parle de leur nouveau quotidien et me rassure sur le bon état de ma Léa sans me poser trop de questions personnelles. Cela me fait du bien de savoir mes amis en si bonne santé. Ils ont rejoint une autre cachette, Louis et Marie ayant du mal à s'entendre avec les autres anciens. La cohabitation était devenue si insupportable que même la douce Léa venait à s'irriter. Cette fois, leur cachette est inconnue des autres magiciens. Mushu a décidé de faire cavalier seul une fois qu'il était sûr de leur sécurité.

Il m'explique que son séjour a la forteresse lui a causé beaucoup de réflexions sur lui-même et sur ses origines. Il a toujours pensé que l'éducation pleine d'amour de ses parents adoptifs serait suffisante pour l'empêcher de s'éloigner du droit chemin, mais tellement de magiciens semblent persuadés du contraire qu'il a de nouveau des doutes. Il est parti pour chercher ses géniteurs et savoir d'où il vient et comment il s'est retrouvé déposé devant la porte d'entrée de ses adoptants. Il espère ainsi calmer la colère intérieure qui fait rage en lui depuis ses quinze ans.

Il veut aussi retrouver le salopard qui les a tués le jour de ses quinze ans, devant ses yeux, lui faisant éprouver une telle colère que ses pouvoirs sont sortis tout seul et ont mis le feu à la demeure. Le sorcier a fui en ricanant et si Gaëtan n'était pas venu en courant, Mushu se serait sûrement auto-consumée de colère. Mushu veut anéantir ce sorcier pour venger ses parents. Tout ce qu'il sait, c'est que cet homme maîtrisait aussi le feu puisqu'il a participé au brasier avec des flammes d'un noir sinistre, la chaleur semblant même accroître sa force.

Je me mords les lèvres, repensant à mon cauchemar, un jour où Léa s'entraînait avec les pouvoirs de Mushu. Je ne suis même pas sûre de ce que j'ai ressenti vraiment. J'ai toujours gardé le secret de ma vision, cependant, à cet instant, j'ai le sentiment que je dois parler à mon ami de ce moment plus qu'irréel et si troublant.

- Mushu? Tu te rappelles quand on était tous à la ferme et que Léa s'entraînait à utiliser vos pouvoirs ? Quand elle s'est concentrée sur toi, j'ai poussé un cri avant de m'évanouir...

- Oui, je m'en rappelle. Tu étais en état de choc et tu ne voulais pas parler. J'ai eu l'impression que tu nous mentais, mais je ne comprenais pas pourquoi.

- En fait, j'ai vu quelque chose. Je ne suis toujours pas certaine si c'était réel ou non. Ca te concerne. J'ai vu le jour où... Tes parents adoptifs sont morts. Mushu... J'étais dans ton esprit et en même temps une ombre qui observait la scène. J'ai vu tes sentiments, mais pas seulement. Des choses bizarres et incompréhensibles. C'est sûrement juste mon imagination... Je ne voulais en parler à personne, de peur de te rappeler de mauvais souvenirs et de te faire croire des choses fausses. C'était ta douleur, je n'avais pas le droit...

- Je t'en prie. Dis-moi tout. Ce moment me hante. Raconte moi ce que tu a vu. Même si ce que tu dis est faux, au moins, je pourrais en parler avec quelqu'un. Gaëtan n'ose pas évoquer le sujet. C'est un tabou, mon cauchemar.

- Ok, je vais te décrire ce que j'ai vu et ressenti. N'oublie pas que c'était un cauchemar, j'ignorais tout de toi avant cela. Je n'ai même pas saisi le sens de ce que j'ai vu tout de suite, ni compris qui était les personnes avant un bon bout de temps. Ce que je vais te dire va te paraître fou. Moi-même, j'ai des doutes encore aujourd'hui. Pourtant, les dessins et les descriptions que j'ai faits dans mon journal dès le soir même, correspondent à des découvertes ultérieures. J'espère que tu me pardonneras de ne pas t'avoir tout dit au fur et à mesure. Ce que j'ai vu ce jour-là, puis ce que j'ai découvert par la suite, était si intense et incroyable que les mots étaient bloqués. Pardonne moi. Je n'y arrivais pas.