Fin de soirée
Mushu me suit à mon abri nocturne. Nous marchons l'un à côté de l'autre en silence dans la nuit, en repensant à cette drôle de soirée. Le froid nocturne me surprend et je suis parcouru d'un frisson. Mushu pose son bras sur mes épaules, me réchauffant immédiatement. Encore un avantage à faire binôme avec lui, ma frilosité naturelle va être combattue par sa chaleur corporelle.
Je le guide vers un quartier populaire pas trop craignos. J'ai une petite chambre dans un hôtel bon marché. Le coin n'est pas le plus tranquille, mais il a l'avantage d'être puant d'humains ce qui fait fuir bon nombre de sorciers. La chambre est coquette et spacieuse, avec le strict minimum. Un grand lit au matelas neuf, un fauteuil moelleux, une petite table, une chaise, une télévision, une douche et un lavabo. Des tons pastels chaleureux. Ce n'est pas le grand luxe, toutefois, c'est confortable.
Mushu n'a qu'un petit sac à dos comme bagage, tout comme moi. Nous avons largement la place pour cohabiter pour une nuit sans nous marcher dessus. Une fois dans la chambre, je lui accorde le droit à la salle de bains en premier pendant que je recherche notre prochaine destination sur Internet. Je ne sais pas trop où aller. Je cherche parmi les faits divers des choses inhabituelles, qui pourrait masquer de la magie.
Cette andouille chantonne faux sous la douche. À l'odeur, je sais qu'il m'a piqué mon shampoing et mon gel douche. Je ne m'énerve pas. Je ne suis pas sûre qu'il en ait avec lui. En plus, je pourrais me moquer de lui et de son odeur de fille. Le voilà qui ressort enfin à demi-nu, seulement vêtu d'un boxer. Il est dégoulinant d'eau et se sèche en utilisant sa chaleur corporelle.
Mushu, nullement gêné de sa tenue légère, se place derrière moi pour regarder le résultat de mes fouilles. Il ne comprend pas pourquoi je veux aller dans le sud de la France jusqu'au ce que je lui montre un article sur la série d'incendie criminels meurtriers causés par un pyromane visant des lieux touristiques bondés et le commentaire du pompier interrogé qui parlait de feu vivant, comme doté d'un esprit. Il y sûrement de la magie noire là-dessous. Et s'il y a bien un sorcier que Mushu peut combattre, c'est un autre avec un don du feu.
Le reste de mon discours à propos de notre moyen de locomotion ne sied guère à mon nouvel acolyte. J'abandonne donc l'idée du train bondé pour la location de véhicule. Cette idée ne rencontre pas plus de succès. Mushu s'inquiète de parasiter les éléments électroniques ce qui nous ferait perdre du temps et sûrement repérer. Je finis par trouver son bonheur. Une grosse moto vintage avec quasiment aucune puce ou circuit.
Je réserve le bolide et nous jouons à pierre papier ciseau pour déterminer qui sera le conducteur. Je laisse Mushu gagner, l'étincelle de joie dans ses yeux à l'idée de diriger ce noble deux roues était trop visible. J'ai déjà conduit de grosses motos alors je peux bien lui faire ce petit plaisir pour améliorer son humeur. Mushu a des yeux de gosse devant une pâtisserie à la vue des photos du véhicule. J'aurai aussi un moyen de pression si je veux obtenir une faveur plus tard. En plus, vu le nombre de kilomètres à faire, il devra bien me donner le guidon à un moment pour se faire relayer.
Je lui allume la télé et laisse un film d'action pour pouvoir aller me doucher tranquillement. Je lui dis que s'il utilise ses pouvoirs pour rendre l'eau brûlante ou glacée, il risque de nous faire repérer et lui ordonne d'être bien sage. Il me fait un salut militaire en riant. Il me tend une serviette qu'il a séchée et rendue toute chaude. Je la saisis en lui tirant la langue.
Bien que je n'ai aucune confiance, je lui donne une couverture et un bon oreiller pour qu'il puisse s'installer le plus confortablement possible sur le canapé. Je ferme soigneusement les rideaux et les volets, verrouille la porte d'entrée et attrape mes affaires dans mon sac à dos. J'ai besoin d'un bon décrassage moi aussi. Heureusement que l'hôtel assure de l'eau chaude à toute heure.
La douche brûlante est un vrai régal. Mon shampoing et mon gel-douche à l'odeur de fleur m'apaisent et m'enveloppent dans une bulle de senteur relaxante. Mushu m'a effectivement piqué un peu de gel douche, ce n'est pas bien grave. Il a laissé la pièce d'eau dans un bon état de propreté, nettoyant le lavabo des poils issus de son rasage. Tant mieux, je déteste faire le ménage, surtout après les autres.
J'oublie les quelques contrariétés récentes et repense à cette drôle de soirée. Si on m'avait dit que je tiendrais plus de deux heures en tête-à-tête avec le feu follet sans l'étriper, je n'y aurais jamais cru. Le pire est qu'en plus, j'ai passé une super soirée, je m'arracherais la langue plutôt que de l'avouer. Je souris en me séchant les cheveux, amusée de la tournure des événements. Finalement, avec Mushu à mes côtés, je pourrais plus facilement me sortir des griffes de petits sorciers. Et la présence d'un homme à mes côtés m'évitera quelques mésaventures avec des mains de camionneur baladeuses si je dois encore faire du stop.
Je sors de la pièce d'eau avec le sourire, prête à aller dormir, détendue par l'eau chaude et le ventre plein de nourriture italienne. Chaudement couverte de mon pyjama en pilou et de grosses chaussettes, je m'apprête à me vautrer sous ma couette avec délectation.
Mais pourquoi j'ai accepté ? Ce type est un abruti. Il n'écoute rien de ce que je lui dis. J'ai pourtant été clair. Le canapé pour lui, le lit pour moi. Alors pourquoi je le retrouve sous la couette du lit en revenant de la salle de bains. En plus, il fait mine de dormir, mais il se marre, je le vois. Ah, mais s'il le prend comme ça, il va voir. Je fonce illico vers le mini bar de la chambre d'hôtel et récupère les glaçons. Il a deviné ma future connerie et alors que je m'approche en douce, il l'attrape les poignets et nous nous bagarrons. Même sans magie, il est plus fort que moi.
Vu le quartier où nous sommes et vu la tête du réceptionniste, avec le raffut qu'on fait, tout l'hôtel doit me prendre pour une call-girl avec son client. L'idée me traverse l'esprit au moment où Mushu me surplombe sur le lit en me tenant d'une main les poignets en l'air et cherchant à me chatouiller les côtes avec les glaçons. Heureusement que je ne connais personne ici. À force de rire, j'ai du mal à respirer surtout que ce gros lourdaud pèse son poids. Je suffoque et il me libère enfin, triomphant, s'allongeant à mes côtés avec un sourire de gosse. Nous sommes côte à côte essoufflés et tout sourire.
Mushu en profite pour critiquer ma tenue mélange entre le déguisement de panda et l'ours polaire qui refroidirait pas mal de monde. Il se moque de ma frilosité et reprend le surnom de petit glaçon pour chercher la bagarre. Quand je lui réponds que je suis toujours chaudement vêtue, Mushu me surprend en faisant des allusions à mes talents de danseuse. J'ai beau feindre de ne pas comprendre, je réalise que Mushu m'a vu me déhancher et détient une arme massive de taquinerie.
Je saisis l'oreiller et le frappe doucement pour lui faire avouer tout ce qu'il a vu. En fait, il avait beau regarder le sol, par instant, il relevait la tête suffisamment pour voir ma chorégraphie. Il n'a pas compris que c'était moi avant que les deux types ne s'endorment et qu'il ne soit éclaboussé par leur sang. Il m'a reconnu quand il a complètement relevé les yeux, tandis que je déverrouillais ses entraves. Il a essayé de me parler et de me rattraper, cependant, j'avais déjà fui loin.
Il est donc parti en récupérant ses affaires, avant que quiconque ne détecte les deux cadavres. Une fois dehors, il m'a cherché tout en appelant Gontran. Il voulait s'assurer que j'allais bien et surtout me remercier. Comme j'avais disparu, il est vite rentré se mettre en sécurité et raconter sa mésaventure à nos amis. Louis et le reste de la bande, sauf Léa, ont patrouillé plusieurs jours en espérant me retrouver. Ils ont abandonné au bout de deux semaines.
Mushu profite de m'avoir enfin sous la main pour me remercier. Ses propos sont maladroits. Je vois bien qu'il cherche ses mots pour trouver ceux qui sont justes. Je déteste les effusions alors je le fais taire en mettant ma main sur sa bouche et en lui intimant le silence. Je lui dis qu'il aurait fait de même pour moi, que c'était normal et je clôture la discussion. Le feu follet ne s'avoue pas vaincu et me fait des petits bisous sur la main en silence.
- Tu m'as manqué mon petit glaçon, tu sais.
J'ai envie de lui répondre que lui aussi m'a manqué cependant, je suis trop fière pour l'avouer à haute voix. Je me contente de lui serrer la main doucement en regardant le plafond et en serrant les dents. Avoir Mushu à côté de moi me montre toute la solitude des derniers mois et je sens les larmes qui montent. Mon ami doit le comprendre et il plaisante pour me redonner le sourire.
- J'aurais essayé de sauver ta peau, c'est sur, mais je n'aurais pas fait la même chose que toi. Je doute que mes jambes poilues aient été au goût des deux sorciers et des mecs de la salle. En plus, je ne possède pas le même déhanché endiablé que toi. Franchement, tu m'imagines danser en talons aiguilles devant un troupeau de blaireaux ?
En voyant la scène dans ma tête, la bonne humeur me revient. Les quelques fois où le feu follet a esquissé des pas de danse, c'était une vraie catastrophe. Avec des talons aiguilles, il se serait cassé une jambe et je ne manque pas l'occasion de lui dire. Bon joueur, il reconnaît ses piètres talents et se moque de lui-même.
- Mushu ? Pourquoi tu t'es imposé ? J'ai l'impression que tu ne me dis pas tout. Il y a plus que le simple fait de me protéger sinon tu m'aurais assommé et kidnappé sans me demander mon avis avec l'aide des autres.
- T'as raison miss. Si je t'avais kidnappé, tu aurais repris la clé des champs petite serial-fugueuse. Et puis, tu n'étais pas la seule à ne pas te sentir à ta place dans la forteresse et à te poser des questions sur ta vraie nature...
- Ouais, ils ne sont pas cools les ancêtres.
- Moi qui trouvais Louis ronchon, j'ai été servi. J'ai eu des colères terribles là-bas. Rien à voir avec ton sale caractère. Louis et Marie m'ont sorti de bagarres contre des anciens. J'ai failli me faire enfermer ou laver le cerveau. J'ai besoin de savoir d'où je viens.
- Mushu ? Tu te poses des questions des fois sur ton appartenance aux magiciens ?
- Si tu veux savoir si parfois, je me pense sorcier, c'est oui. Le plus bizarre, c'est que plus je m'engueulais avec toi, moins je me sentais sorcier, mais depuis que t'es parti, c'est de pire en pire. Ce soir, alors que tu m'as pourtant révélé ma possible filiation avec Erwan, je me sens étrangement bien mieux et plus calme. Peut-être parce que malgré que tu savais tout cela, tu es là, avec moi et sans peur. Je te colle aussi, car je crois que tu es la seule à pouvoir m'empêcher de faire une méga connerie. La seule qui osera se brûler le pied pour me le foutre au postérieur si je déconne grave.
- Mushu ? Tu veux que je te frappe ? J'ai bien entendu ? Je suis autorisé à te frapper et te martyriser ? dis-je en sautillant sur le lit et en récupérant mon oreiller.
La seule réponse que j'obtiens est un fou rire et une bise sur la joue. Mushu m'emprisonne dans ses bras pour m'immobiliser et anéantir toutes mes tentatives de coups d'oreillers ou de chatouilles. Sa chaleur corporelle m'enveloppe d'une douce sensation de bien-être. Le feu follet me tape souvent sur les nerfs, cependant, il est un oreiller et une couette chauffante des plus géniaux. J'adore dormir avec lui. Je retire mes chaussettes discrètement et nous nous sombrons dans un sommeil profond.
Cette nuit-là, je fais de terribles cauchemars et à chaque fois que je m'apprête à commettre l'irréparable, je vois des fleurs et des papillons apparaître devant moi et je me rendort apaisée. Lui aussi fait des cauchemars, et il se calme quand je l'engueule de prendre toute la place ou de m'empêcher de dormir. Ma voix agit comme un somnifère.
Le lendemain matin, nous aurions dû ne pas être frais vu le nombre de cauchemars respectifs et pourtant, nous sommes en pleine forme. J'ai l'impression qu'une force nouvelle coule en moi et nous dévastons le buffet à volonté du petit-déjeuner.
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