There is no such thing as a free lunch

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Les anglophones le savent bien, « there is no such thing as a free lunch » : un repas gratuit, ça n’existe pas. Je ne tarde pas à comprendre le prix du miens.

La soirée démarrait pourtant bien. Béa ne tarissait pas d’éloges sur mon compte. J’apprenais, entre autres, que lorsque nous étions à l’école, elle adorait mon côté artiste. Quelle surprise ! Je m’étais, jusqu’à très récemment, toujours prise pour une matheuse pure et dure. Pas contrariante, j’acquiesçais néanmoins à tout, ne sachant pas si elle inventait, mélangeait ses meilleures amies dans un amas de souvenirs nébuleux, ou m’apprenais vraiment sincèrement quelque chose sur l’image que, à mon insu, j’avais pu donner. Je penchais néanmoins pour un scintillant miroir d’éloges que Béa se tendait à elle-même – être entouré de personnalités de talent, c’est forcément en avoir aussi - mais n’en laissais rien paraître. Je recevais ses compliments comme un canard réceptionne la pluie sur ses plumes : sans y prêter la moindre importance.

L’abondance de fruits de mer et de vin participait allégrement à la création d’une ambiance détendue et spontanée. Dès qu’une bouteille était vide, Tom en entamait une nouvelle, ce qui rendait notre festin d’autant plus joyeux et léger. Au fil de la dégustation, j’en apprenais plus sur mes nouveaux amis.

Le mari de Béa est musicien. La notoriété grandissante de son groupe le force à s’absenter de plus en plus souvent, notamment les week-ends. Les tourtereaux profitent de leurs vacances pour se retrouver.

Aline a travaillé longtemps pour d’importantes entreprises informatiques. Elle a gravi les échelons et est en ce moment au comité de direction d’une boîte qui vient d’effectuer sa mise en bourse. Elle décrit les dix-huit derniers mois écoulés comme un interminable marathon. La perspective de venir se faire bichonner au Château lui a permis de tenir le coup. Elle est à bout et cela se ressent.

Le job de son mari est plus difficile à appréhender :

  • Nous misons sur l’excellence de nos solutions innovantes pour manager les priorités et maximiser les efficiences stratégiques grâce à nos standards quatre point zéro. Et ça marche ! Mon téléphone n’arrête pas de sonner.

C’est bien, il a du succès. Mais je n’ai toujours pas compris ce qu’il faisait. Je lui demande de m’expliquer plus lentement, il reprend :

  • C’est simple. Pour gagner en efficacité, nous avons créé des synergies avec des partenaires clefs. Nos clients sont plus que satisfaits. Je ne refuse aucune nouvelle opportunité, mais je dois repousser les investisseurs. Je sélectionne très soigneusement les gens avec qui m’associer. Pas question de traiter avec des spéculateurs à la petite semaine, ou avec des poules mouillées qui retirent leur billes au premier mois creux.

Fidèle à elle-même, Béa s’exclame :

  • C’est passionnant ! Nous sommes justement à la recherche d’un bon placement..

Perso, je n’ai rien toujours pas compris en quoi consiste son business. Je le relance :

  • Mais concrètement, vous proposez des solutions à quel genre de problèmes ?
  • Ah ! Elle ne comprend pas… Béa, je croyais que tes amies étaient intelligentes.

Béa se fige. James reprend aussitôt.

  • Je rigole ! Allez. Assez parlé de nous. Parle-nous plutôt de toi. Qu’est-ce qui t’a poussée à venir t’enterrer seule dans ce trou à rats ? Hors saison, avec une pauvre boîte de sardine, une vieille miche de pain et les toilettes à la turque au bout du jardin. Tu y vas avec une lampe de poche pendant la nuit, ou le pot de chambre est fourni avec le taudis ?

C’est comme ça que le vent a tourné. À la première boutade de James, Béa est hilare. Elle craint tellement les germes, que les critiques vont la titiller exactement là où ça la coince. Déridée, elle sort le paquet de lingettes qu’elle a emporté au cas où elle devait être amenée à toucher quoi que ce soit ici. Elle en a d’ailleurs déjà utilisé une pour nettoyer la fiche de son fer à lisser avant de le ranger.

Sur un ton mi-figue, mi-raisin, James continue à m’asticoter :

  • En plus, tu as encore quelques beaux restes ! T’es pas canon, canon, mais tu pourrais peut-être intéresser quelqu’un de pas trop difficile...

C’est bien sûr du deuxième degré. Je joue la fille susceptible :

  • Merci, James.

Pas méchante pour un sou, Béa n’a pas compris la plaisanterie. Elle abonde :

  • Mais oui ! C’est vrai que tu es encore pas mal. Je vais te conseiller pour améliorer ton style. J’organise un vide grenier chez moi le mois prochain. Viens, je vais t’habiller. J’adore métamorphoser mes amies. Tom ! On pourrait lui présenter Charles !
  • Mon ex-collègue de la compta ?
  • Oui ! Tu m’as bien dit qu’il possédait une luxueuse maison sur la côte d’Azur ? C’est mille fois mieux que d’aller au camping !

C’est vrai, au fond. Pourquoi suis-je venue m’enterrer seule dans ce campement insalubre alors que j’aurais pu passer des vacances de princesse avec eux et Charles de la compta. À se demander si j’ai quelque chose dans le ciboulot.

Décidemment amusé par la tournure que prend la conversation, James me fait un clin d’œil et reprend :

  • Soyons francs : ton histoire d’écriture ne tient pas la route. Tu n’arrives même pas à nous raconter ce que tu comptes bien scribouiller. Maintenant, la vérité. C’est un chagrin d’amour ? Tu t’es fait planter, c’est ça ? T’es fâchée avec les hommes ?

Me voilà cataloguée. James a pris les rênes. Il s’amuse autant qu’il épate la galerie en se payant ma tête, ou celle de Béa qui prend tout au premier degré. Il enfonce le clou :

  • La prochaine étape, c’est de te prendre un chat...

Du coin de l’oeil, je surprends Aline qui, sur ces derniers mots, hausse les sourcils en soupirant. Béa est hilare et Tom rit jaune.

Décidée à ne pas me laisser humilier par des petits bourgeois venus s’encanailler chez moi, je relance la balle en direction de notre bout en train. Vu qu’il n’a pas envie de me parler de son job, je lui en demande plus sur sa rencontre avec sa chère et tendre. Il nous relate un coup de foudre lors d’un évènement pro qui a eu lieu dans le parc du Château. James a divorcé aussitôt et les amoureux transits se sont mariés dans la foulée. C’est l’anniversaire de leur rencontre qu’ils fêtent ici chaque année, enfin… c’est la deuxième fois, mais c’est déjà une tradition.

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