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Prise d’un besoin pressant et ne désirant pour aucun prix attraper une saloperie, Béa a soudainement sonné le glas des réjouissances. Les filles voulaient de toute façon aller se coucher tôt pour profiter du spa ensemble le lendemain, tandis que leurs hommes iraient jouer au golf. Gommage au miel, enveloppement à l’argile, massages aux pierres chaudes, réflexologie plantaire, hammam, sauna… elles ont passé une partie de la soirée à se faire mousser et à débattre de l’ordre dans lequel profiter des divers plaisirs offerts par le spa du Château, les milles et une nuits. Garder l’huile pour la fin afin qu’elle bénéficie à la peau plutôt qu’aux canalisation du jacuzzi, foi d’expérience déjà tentée.
Béa m’a demandé si je n’étais pas attirée par l’expérience : « Tu n’as qu’à nous rejoindre ! Moi, je dis toujours : Hammam, gommage et enveloppement au rassoul, il n’y a rien de tel pour redonner de l’éclat à une peau fatiguée. Tu devrais vraiment essayer. ». Bien sûr, je déclinais poliment l’offre. J’avais un livre à écrire.
Le lendemain, je suis réveillée par le déluge qui s’abat sur le toit de mon antique caravane en métal. Quelques secondes avant d’émerger, je rêve que je suis une souris cachée dans une casserole que des gamins ont reconvertis en tambour. Quand je retrouve mes esprits, ma vessie se rappelle à mon bon souvenir et me pousse à enfiler de quoi défier la tempête et accéder aux sanitaires qui sont à l’autre bout du campement.
À mon retour, je suis totalement réveillée, décidée à mettre en œuvre mon projet de roman. Mais d’abord, le petit-déjeuner. J’allume la gazinière et me prépare une cafetière pleine. Je sors les biscottes et le beurre et je m’installe avec mon laptop et une tasse de café à la mini table intérieure.
Je beurre mes tartines et bois une première ration de café. Délicieusement chaud, je le descends d’une traite et me relève pour m’en servir une autre.
Je tapote sur mon clavier, efface, tapote, efface… C’est nul. Pourtant, je fourmillais d’idées la veille. Et là, plus rien. Je me demande si avec un peu de sucre...
Je me penche sous le lit pour attraper mon sac. Dans la poche sur le côté, j’ai glissé deux plaques de chocolat de secours. J’en prend une, détache une rangée et referme sagement la poche du sac.
Une dizaine de minutes plus tard, je me dis que par un temps pareil, je mérite bien quelques carrés de chocolat en plus. Et puis merde, c’est les vacances. Je me lève pour me servir une nouvelle tasse de café, sors la tablette entamée et la pose cette fois près de moi, à côté de mon ordi dont l’écran vide me nargue.
Je me dis qu’il y a peut-être finalement un fond de vérité dans les boutades de James. Il a raison, pourquoi suis-je venue m’enterrer ici. On est franchement plus proche du bêtisier que du Best-seller.
Moi qui ai toujours rêvé d’écrire sous un arbre au fond d’un jardin, par beau temps avec une petite brise. Je me retrouve dans une boîte de conserve délabrée qui résonne comme une timbale gondolée et, pour couronner le tout, j’ai froid aux pieds. Moi qui voulais écrire un truc drôle, je m’aperçois que je n’ai rien à dire. C’est la dèche.
La cafetière est vide. J’ai tapé moins de mots que je n’ai mangé de carrés de choc. J’ai fait ça tellement machinalement que j’ai ingurgité toutes ces calories sans même les déguster. Je touche le fond. Mon téléphone clignote. C’est un message de Béa : "Bon, tu viens ? On a prévenu la réception, tu es notre invitée ; un peignoir tout chaud t’attend à l’entrée du spa. On est du côté femmes et il n’y a que nous ! Viens !"
Non mais, parfois, quand ça ne veut pas venir, rien ne sert de s’acharner. Il faut aussi savoir prendre la vie comme elle vient.
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