33 - Love Drunk
- Minuit moins quart, annonce William en regardant sa montre. Je crois que c'est l'heure de la bûche.
Je sens poindre la fin de soirée, et avec elle, le départ imminent de Corentin. William apporte le dessert, tandis que je descends ma fameuse bière de Noël. Je ne m'attendais pas à ce qu'il passe la soirée avec nous, mais maintenant qu'il est là, je ne suis plus certain de vouloir qu'il parte. Sentir sa chaleur à mes côtés, pouvoir l'observer... Ai-je toujours souhaité partager ces moments avec lui ?
- Tu veux encore une part ? demande-t-il en s'emparant de mon assiette vide.
- S'il te plaît...
Il me sert, puis propose également à William de le resservir.
- Ça va aller, je suis calé... lâche ce dernier. Je crois que je ne vais pas tarder... je suis crevé. Ah au fait, tu vas comment à la masterclass ?
- En bus.
- Si tu veux, on a de la place dans la voiture. Tu veux venir avec nous ?
Corentin se tourne vers moi, comme pour demander mon accord. Ne voyant pas de refus de ma part, il accepte.
- Ok, alors rendez-vous demain soir à dix-sept heures, l'avertit Will.
Après avoir terminé le repas, le frérot se lève et débarrasse. Il se lance presque trop gaiement dans la vaisselle et dans le rangement de la cuisine pendant que Corentin et moi discutons. Nous parlons de son appart et de son emménagement. De nos cours de formation musicale, qui nous donnent mal au crâne, et de nos profs. Il évoque Stein et sa propension à la perfection. J'évoque Griffin et son envie de bien faire, en omettant toutefois que je n'ai pas de plans pour la suite, si ce n'est de tenter et de réussir mes concours. Finalement, il revient la masterclass :
- Tu as déjà choisi tes morceaux ? demande-t-il.
- Pas encore. Avec tout ce qu'il y a dans ma tête en ce moment...
Je me sens tellement détendu que je parle sans réfléchir, et réalise trop tard que j'en ai peut-être trop dit. La bière commence à faire effet. Corentin me fixe avec insistance. Mon cœur s'affole, le rouge me monte aux joues. Est-ce qu'il remarque l'effet qu'il me fait ? Est-ce qu'il sait seulement ce qu'il m'en coûte de me retrouver si près de lui ? Il trouve probablement cet accès de timidité charmant, quand je me sens terriblement gauche.
- Je veux dire...
Je me frotte la tête avec la main, gêné.
- Je veux dire qu'il y a trop de choses en ce moment. Entre les cours, William, la préparation aux concours, et...
Et toi. Et toi qui m'accapare tout entier. Toi, qui me vole mes rares instants d'intimité. Toi, qui ne quitte jamais une seule seconde mon esprit. Comment pourrais-je penser à la musique ? Comment pourrais-je seulement me concentrer sur autre chose ?
- Et... Et toi ? Une idée ?
- La masterclass porte sur le grand romantisme du 18e. Tout le monde risque de se ramener avec un Chopin ou un Liszt. Saint-Saëns ne me disait pas plus que ça. Je crois que je vais opter pour un Brahms.
- Tu aimes bien Brahms ? m'enquis-je, curieux.
- Tu n'aimes pas ?
- Comment pourrais-je ne pas aimer... Et Beethoven ?
- Mon préféré.
Un sourire accompagne sa réponse tandis qu'il se ressert en bière. Il lève son verre, m'incitant à faire de même et nous buvons en silence, trop conscients de cet intime sentiment de complicité qui s'installe.
- Et Chopin ? me demande-t-il soudain.
Il a probablement entendu mes précédentes prestations et cherche à comprendre.
- Une longue histoire de solitude, soupiré-je. Pas de Chopin pour moi...
- Mais tu n'as pas envie de réessayer ?
- Je ne pense pas que ce soit le moment...
Encore moins si je dois jouer devant toi, ai-je envie d'ajouter. Mais cette fois, je m'abstiens, malgré l'alcool qui tend à nous rendre moins vigilants, lui et moi.
Nous passons un moment à rigoler de nos expériences musicales. Lui, de ses premières fois au violon et des sons atroces qu'il sortait. Moi, de ces moments de scènes où je devais faire face à un imprévu au dernier moment, dans la panique générale. Lui, de ses premières auditions dans une école prestigieuse. Moi, de ma scolarité dans l'ombre de mon frère.
- Et tu n'as jamais souhaité faire du violon ?
- La question ne s'est jamais posé, soupiré-je, pragmatique. Comment aurais-je pu, avec William qui accaparait déjà toute l'attention des parents ? Ça aurait été un conflit permanent duquel je ne serais pas sorti gagnant, de toutes façons...
- Et maintenant ?
- Et maintenant William est au philharmonique de New-York...
- Pourquoi ta mère ne soutient pas tes études, insiste-t-il, les sourcils froncés.
- Pourquoi le devrait-elle, quand un fils lui suffit ?
Corentin baisse la tête, compatissant. William semble s'être volatilisé depuis un moment et heureusement, il n'aurait probablement pas apprécié la teneur de notre échange. Un air de Noël jazzy s'échappe des enceintes quand Corentin finit par se lever. Les lumières plongent l'appartement dans une ambiance tamisée. Je ressens comme un pincement au cœur à l'idée que la soirée se termine et qu'il s'en aille. Après tout, il est tard et il habite juste à côté, pourquoi resterait-il ? Mais contre toute attente, il s'installe sur le canapé après m'avoir lancé un bref sourire entendu, et sort son portable.
- Ta mère ? demandé-je, soudain préoccupé à l'idée qu'il puisse contacter Elena.
- Non, une amie.
Son expression devient soudain sérieuse. Je me mords la lèvre. C'est bien la première fois que je le vois aussi accaparé. On dirait que je me fais des idées depuis le début : ils sortent ensemble, c'est clair. Sinon pourquoi prendrait-il la peine de la contacter un soir de Noël ? Il semble même énervé et pianote à toute vitesse sur l'écran.
- Elena ? insisté-je.
- Oui, El...
Surpris, il relève la tête.
- Oui, Elena, reprend-il l'air plus grave.
Je crois qu'à ce moment, un mur s'effondre en moi. Une intense tristesse m'envahit. Une boule se forme autour de mon cœur. A quoi bon... Je ne suis rien pour lui. Comment j'ai pu être aussi idiot... Ai-je eu seulement le choix ? Je ne voulais pas de ça, moi ! Je ne voulais pas de lui !
- Maxime ?
- Laisse-moi...
Il tente de me retenir par le bras, mais je résiste. Quand je me retourne vers lui, je le fixe avec colère. Mes yeux sont humides de larmes que je déteste. Je hais ce qu'elles signifient, je hais ce qu'elles éveillent en moi. Je hais de me savoir ainsi ! Il semble déconcerté, mais je n'en démords pas. A quoi s'attendait-il en venant ici, surtout après ce qui s'est passé ? C'est lui qui m'a embrassé ! Je n'ai rien demandé, moi !
- Max...
Ses doigts hésitent en s'arrêtant sur mon bras. J'ai juste mal, mal de son indifférence, mal de l'attention qu'il porte à Elena. Et moi ?
Et moi ! hurlé-je intérieurement, tandis que sa main remonte jusqu'à ma joue.
Il est brusquement devenu sérieux ; il ne rigole plus, ne sourit plus, n'est pas d'humeur à plaisanter. Moi non plus. Ce simple contact m'est aussi douloureux qu'il me fait frissonner. Et moi, Corentin ? Est-ce que tu me vois ? Est-ce que tu m'entends ? Est-ce que tu sais seulement ce que ça fait d'endurer ça pendant des jours ?
- Max...
Mon prénom reste coincé dans sa gorge. J'essaie d'éviter son regard posé sur moi, mais je ne m'en sens pas la force. Pas ce soir, pas maintenant. De rage, j'efface les larmes de mes joues d'un revers de main et il est là. A quelques centimètres à peine... Ses yeux brillent intensément, la situation l'atteint plus qu'il ne le voudrait. Il semble même triste pour moi. Intérieurement, je fais le deuil de tout ce que j'ai imaginé qu'il serait et qu'il ne sera pas. Il n'est pas prêt pour nous, sinon il ne me regarderait pas comme ça. Qu'est-ce que tu me veux, hein ? Qu'est-ce que tu veux à la fin ?
Dans un soudain élan, sa fièvre avale ma colère mêlant son souffle au mien. Nos lèvres se rencontrent, bien trop vite, bien trop tôt, avec maladresse.
Qu'est-ce... ?
Sa bouche hésite. Il lutte pour se retenir, doute de ma réaction mais ne parvient pas à freiner son ardeur. En ai-je seulement envie ? Je veux juste le sentir contre moi. Sentir sa peau, ses mains de pianistes sur mon corps. M'allier à sa grâce, épouser sa musique. Avides, mes doigts s'agrippent à son cou. Je ne suis pas rassasié, ni de lui ni de tout ce qu'il a à m'offrir. Pas après avoir attendu tout ce temps. Pas, tant qu'il ne m'aura pas prouvé que je compte un peu pour lui. La réponse est immédiate ; il enroule ses bras autour de moi et me sert, m'embrasse avec passion, m'étreint, impatient, dans un sentiment bien trop grand pour nous. Nous chutons sur le canapé, ivres d'amour, de bières et de Noël, tandis que mon cœur bat à tout rompre, que le saxo couine dans les enceintes. Longtemps, nous nous caressons. Longtemps, nous nous réparons. Et lorsque le temps s'arrête enfin ; après les rires des voisins, l'alcool, la musique ; après que les dernières lumières se soient éteintes ; la voix de Corentin résonne sourdement contre mon oreille.
- Max...
- Mmm ?
- Tu m'écrases...
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Bonsoir à tous ^^
Je pense qu'après 32 chapitres, vous m'attendiez tous plus ou moins au tournant pour celui-là... ! :p Et j'espère avoir répondu à vos attentes........ ! N'hésitez pas à me dire si ça va ou pas car j'avoue qu'après l'avoir lu et relu environ 1542 fois, je n'ai plus du tout le recul nécéssaire pour jauger de sa qualité :3 Mille et un bisous à vous, et gros calin de Will, qui s'ennui seul dans sa chambre !
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