41 - Whispering Night (part 1)
Une demi-heure plus tard, nous retrouvons les autres au restaurant. Will n'a pas manqué nous garder une place. Corentin le remercie d'un rapide hochement de tête, pendant que nous nous installons. Je parcours rapidement la table ; Laura est venue accompagnée de ses copines, Juliette et Maeva, l'une pianiste, l'autre clarinettiste, l'occasion pour moi d'apprendre à les connaitre, même si, mais il s'agit de faire bonne figure. Pour Corentin.
Nao s'est lui aussi greffé au groupe, étudiant japonais en échange qui poursuit son cursus dans la classe de Stein. Doué, même si trop discret pour attirer l'attention sur lui. Et à ses côté, Xiao, chinois jusqu'au bout des doigts, et on sait tous ce que ça signifie dans le milieu. Il est le nouveau prodige, celui en qui l'Academia fonde ses espoirs. Ca me fait mal de l'admettre, mais pour l'avoir déjà entendu jouer, et il est doué. Franchement doué.
- Alors, vous avez eu le temps de vous faire à votre nouvelle chambre ? lance Will, sarcastique.
L'allusion n'échappe pas à Corentin qui se raidit. Je fusille le frérot du regard. Il se marre.
- On vous a cherché partout, renchérit Laura. Vous étiez où ?
- Partis visiter... marmonné-je.
- Un peu plus loin, ils ont une piscine, des spa, des salles de massage et un jardin, précise Corentin.
Will nous scrute chacun à notre tour. Est-ce qu'on remarque que j'ai pleuré ? Si c'est le cas il fait mine de ne rien voir et pique un morceau de saucisse dans son assiette.
- Alors comme ça, tu aimes les massages ? le taquine Will. Max n'est pas très doué pour... Aie !
Je lui donne un grand coup de pied sous la table. Will encaisse le coup en râlant :
- Mais ça va pas !
- La ferme.
- J'ai loupé un épisode ? demande Laura.
Ses copines et Nao se questionnent du regard. Agacé, je prends mon assiette et attrape le poignet de Corentin au passage, l'invitant à me suivre jusqu'au buffet.
Plus tard, nous rejoignons notre chambre. Corentin passe la carte dans le lecteur en s'engouffre dans le pénombre tandis que je le suis de près.
- Cette journée m'a épuisée... lâche-t-il une fois la porte fermée.
Et ce n'est que le début. Cinq jours à devoir supporter les autres, à devoir supporter Will... Autant, à la maison il lui arrive de laisser tomber l'affaire, autant en public il est tout bonnement insupportable. Je me frotte le visage en pensant au lendemain. Journée de masterclass. Est-ce qu'on ne ferait pas mieux de revoir nos pièces ?
- Tu sais où se trouvent les salles avec piano ? demandé-je tandis qu'il déboutonne sa chemise.
- Parce que t'as l'intention de jouer à cette heure-là ?
- Pourquoi pas. Je me demandais juste...
Corentin s'approche et mes yeux se posent sur son col déboutonné. Mon corps réagit bien avant que mon cerveau ne comprenne qu'on est deux dans la chambre et qu'il est en train de se déshabiller. Je recule. Corentin me lance un regard étonné.
- Qu'est-ce que...
Son regard suit le mien jusqu'à sa chemise, et passe de la chemise à son torse découvert. Il rigole et se penche sur mon oreille :
- Comme je te l'ai promis, tant qu'il n'y aura que nous deux dans cette chambre, il ne se passera rien...
Mon sang martèle sourdement mes tempes. L'audace de Corentin dévoile son charme irrésistible. Je ne suis pas habitué à sa franchise, mais j'aime quand il parle de nous, j'aime entendre ce "nous" sur ses lèvres. Je respire plus profondément en tentant d'apaiser le sentiment ivre qui me monte à la tête. L'assurance dans sa voix me déstabilise. Son sourire et son regard espiègle, depuis qu'on a rejoint le resort, me rappelle combien il est beau. En temps normal aussi, mais là c'est différent. Il est différent du "lui" musicien. De cette image toujours sérieuse, droit dans son rôle, presque trop sage, qui se dégage de lui quand il joue.
Dans l'intimité, il est plus...
- Tu passes le premier à la douche ? susurre-t-il à mon oreille.
- Je...
Plus concerné, plus désinvolte...
Une image de lui nu m'apparaît brièvement à l'esprit. Pris de panique, je le repousse sèchement :
- J'y vais...
Je pourrais presque être de mauvais humeur s'il n'était pas aussi charmant. Finalement Elena est vite passé au second plan. Il ne lui a même pas accordé un regard du repas alors qu'elle rigolait avec ses copines à la table d'à côté. Je suis en partie soulagé, même si je sais d'expérience que les choses se règlent rarement aussi simplement. Qu'importe, il est tard et je suis crevé...
Je fouille dans mes affaires et récupère le t-shirt qui me sert de pyjama. Si j'avais su, j'aurais au moins fait attention à mes fringues. Corentin me regarde faire, un sourire amusé aux lèvres. Sans un mot, je disparais dans la salle-de-bain en sentant le rouge gagner mes joues. Pourquoi faut-il toujours que je sois aussi timide en sa présence ?
Au moins, l'eau est chaude, brûlante même, et me débarrasse de ma gêne ainsi que des tensions accumulées au cours de la journée. Mes muscles se délient, je me laisse aller contre le mur et profite de cet instant de détente, oubliant presque Corentin qui attend son tour de l'autre côté de la porte. Je n'échangerais ma place pour rien au monde. J'aime trop la sensation de l'eau qui coule sur ma peau pour culpabiliser de le faire attendre, et l'avantage avec les hôtels, c'est qu'on peut traîner sous la douche sans que personne n'y trouve à redire. Alors je traîne.
Enfin, personne...
- Max ! T'es vivant ?
D'accord, j'ai peut-être un peu abusé...
A regret, je finis par couper l'eau et attrape une serviette pour me sécher, puis enfile boxer et t-shirt, vérifiant le tout dans la glace. C'est vrai que j'ai l'air pâle, même après trente minutes sous une eau bouillante. Et quelques kilos en plus ne me feraient pas de mal.
Max, il faut que tu dormes...
Mon reflet me persuade qu'il est temps d'aller se coucher. Mon cerveau, lui, redoute le moment où je devrais passer devant Corentin dans cette tenue. Boxer un peu trop moulant à mon goût, j'aurais vraiment mieux fait de prendre un pyjama.
Depuis quand tu te préoccupes de tes fringues, Max ?
C'est vrai ça, depuis quand ?
Je réarrange une dernière fois mes cheveux mouillés en sachant très bien qu'il me faudra de toute façon batailler avec le lendemain, puis sors. Corentin m'attend derrière la porte et me jauge de la tête au pied. Son expression se mue en un regard indéchiffrable. Sans me faire prier, je file dans mon lit.
Est-ce qu'il viendra me rejoindre, quand il aura terminé ? Une pointe de déception m'envahit. J'ai presque envie que demain ne commence jamais. Que le temps s'étire, que l'instant se suspende, comme cette fois où il a joué Debussy. Est-ce que si je lui demandais de le rejouer pour moi, il accepterait ?
Est-ce que tu n'es pas en train de trahir la musique, Max ? As-tu seulement la place pour lui dans ta vie ?
Mon cœur se met a battre plus fort, comme si la réponse à cette question me faisait peur. A-t-on le choix de penser à autre chose qu'à la musique, quand on est musicien ?
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