Perdu dans la Savane (2)
J’ai marché longtemps, lentement. Loin. Mais pas assez.
Quand le soleil s’écroula définitivement à l’horizon, il ne me restait plus la force de faire un pas de plus. J’avais repéré un monticule pierreux, loin devant moi. Mirage ou mauvaise estimation de ma part, je n’avais pas compris qu’il était si loin. Les heures ont défilé, plus vite que je ne voulais, mais ce n’était que pour m’exposer ma méprise. Terrible méprise… Quand j’ai commencé à comprendre, il était déjà trop tard. Cette stupide colline restait loin de moi, frappée de l’intransigeante obstination d’une promesse impossible à tenir.
A mon erreur, j’ai tenté alors d’apporter remède, au moins une solution. Malgré le soleil de lave, j’ai ôté ma chemise, en faisant un sac vulgaire et fragile pour y amasser tous les petits branchages que je trouvais en vue de me faire un abri. Puisqu’il me fallait faire le deuil d’une bonne rasade d’eau pour aujourd’hui, au moins me fallait-il m’entourer de quelques chances de voir le soleil se lever demain. Comme un marin fixant deux amers à la côte, je me retournais souvent pour aligner deux repères, deux arbustes, deux rochers, deux aspérités quelconques pour garder une ligne droite à suivre.
Les traces de mes chaussures, presque déjà défoncées, brûlantes et lourdes de cette maudite poussière rouge qui n’en finissait pas, faisaient deux lignes parallèles et droites, jusqu’à se perdre dans le lointain que je quittais avec la détermination de celui qui sait qu’il mourra s’il s’arrête, ne serait-ce qu’un court moment.
Pas le droit, pas le temps de me reposer, ni même celui de m’allonger pour renoncer.
Tout autour de moi, à mesure que la lumière cédait sa place à la pénombre, j’entendais déjà les pas furtifs et prudents de quelques animaux invisibles mais dont je sentais la présence et l’odeur incommodante. Quelques grognements, et puis aussi, quelques glissements discrets dans les herbes hautes.
Et plus le soleil plongeait vers le néant, plus j’allongeais mes pas pour ne pas prendre le risque de rester dans un endroit trop facile pour un plus fort et plus vorace que moi. La sueur qui coulait alors de moi n’était pas que celle de l’effort, c’était aussi celle, froide, de la peur qui s’insinuait en moi.
Quand j’eus enfin récolté assez de bois, que je trainais de plus en plus péniblement dans ma chemise-fardeau, je repérais in extremis une misérable élévation de terre. Ce furent les dernières centaines de mètres, peut-être plus mais je n’avais plus assez de force pour en juger vraiment, que je pouvais encore faire.
Rapidement, je me mettais en devoir de faire du feu. Celui-ci, je le savais à la perfection et je m’accrochais à cette conviction avec ferveur, repousserait les prédateurs et me rendrait aussi visible à toute personne, pour peu que la civilisation ait poussé jusque là. Le bois sec ne consenti à s’enflammer qu’après que j’eusse au préalable brulé les paumes de mes mains, et encore n’obtins-je qu’un maigre feu trop vite rendu à l’état de braises paresseuses. Plus question de me bricoler un abri ; tout mon bois disparu en flammes orangées, me réchauffant à peine du froid mordant d’une nuit sans nuage. Je n’avais plus d’autre choix que de m’en contenter.
Épuisé, il me fallut pourtant lutter contre le sommeil, jusqu’aux premières lueurs du jour. Lentement, trop lentement, je vis le ciel se colorer, loin, à l’autre bout de la Terre presque, devenant moins noir, puis bleu profond, puis bleu froid, puis bleu clair. Quand rose, rouge, orange, jaune vinrent, je sus que j’avais gagné le droit de vivre quelques heures de plus.
C’est peut-être bien à ce moment que j’ai commis la plus grave erreur ; je ne m’étais fixé comme objectif que celui de voir poindre un jour de plus. Funeste erreur. A peine le soleil montra-t-il le bout de ses premiers rayons que je m’écroulais de sommeil, terrassé comme après une trop longue lutte contre un invincible adversaire.
Je sombrais donc, le nez dans la poussière rouge de ces lieux inconnus, frissonnant du terrible froid d’une nuit désertique, perdu quelque part près d’un feu mourant.
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