Chapitre 12 : Jenna
C'était l'heure de la pause. Après trois heures de cours assez intenses, nous nous retrouvâmes dans la cour, certains prenant un thé ou un chocolat chaud au distributeur. J'avais choisi un thé, car l'air était froid et cela faisait du bien. A peine me fus-je servie que je fus entourée par un groupe de filles, toutes plus excitées les unes que les autres.
- Alors, Jenna ! Dis donc ! T'as fait une sacrée conquête, là ! lança l'une.
- Oui, wahou le mec ! Moto, le blouson de cuir et tout... C'est un rockeur ? demanda l'autre.
- Il est beau comme un dieu, en tout cas ! renchérit une troisième avant de lever les yeux au ciel pour ajouter : je suis certaine qu'il a des muscles en béton, mama mia...
je souris. Je me doutais que les filles n'avaient pu ignorer l'attitude de Lynn avec moi, surtout que, en me faisant encore une fois la surprise de venir me chercher hier soir, il n'avait pas manqué de m'embrasser langoureusement avant que nous ne partions. Et qu'elles avaient dû être un certain nombre à assister à notre baiser.
J'avais encore dans la tête et dans le cœur le souvenir de notre promenade à Fleetwood, le dimanche précédent. Et j'étais ravie qu'il ait pu venir me chercher dès ce mardi soir, pour une nouvelle petite sortie ensemble. Je ne savais pas comment notre relation évoluerait, mais je comptais bien profiter de chaque moment que nous pourrions passer tous les deux. Et, c'était certain, cette promenade marquait un tournant. Un premier baiser, c'était quand même un pas important dans une relation.
Je devais avoir l'air un peu rêveur, car l'une des filles me poussa du coude et dit, en agitant les mains devant mon visage :
- Hé, la belle ! You hou ! T'es où, là ? Dans les bras de ton beau motard ?
- Il s'appelle comment ? renchérit une autre. Il a quel âge ? Il fait quoi dans la vie ?
Non, mais, j'hallucinais. Elles étaient d'une curiosité et d'un toupet incroyable. Mais je choisis vite de rire de leur attitude. Après tout, si l'une d'entre elles s'était retrouvée avec un garçon comme Lynn à l'attendre à la sortie, cela aurait aussi piqué ma curiosité. Mais je serais très certainement restée plus discrète qu'elles et moins envahissante avec mes questions.
La pause n'était pas longue et nous regagnâmes vite l'intérieur du bâtiment. A midi, elles voulurent toutes déjeuner avec moi, mais Ally les fit dégager. Plus d'une s'éloigna d'un air boudeur. Et, ma foi, même si je m'attendais à une réaction sans doute un peu brute d'Ally, je n'étais pas mécontente que l'on ne soit que toutes les deux.
- Alors, Jenna, voilà les curieuses envolées... me fit-elle en se retournant pour voir le groupe de copines s'installer à une table voisine.
Je ne doutais nullement que Lynn et moi ferions l'objet de la conversation et qu'elles seraient d'autant plus curieuses que seule Ally semblait recevoir mes confidences. J'eus un peu pitié d'elle et du flot de questions qui allait lui tomber dessus, mais je la savais coriace et tenace. Et je pouvais aussi lui faire confiance : elle ne dirait rien de plus que ce que j'accepterais qu'elle dise.
- Alors, tu as craqué ? me fit-elle en baissant un peu la tête, comme si nous échangions déjà un secret.
- Oui. Dimanche. On est allé se promener à Fleetwood. C'était chouette.
- Hé, c'est pas tout près ! s'étonna-t-elle en ouvrant de grands yeux.
- Non, c'est vrai. Et je t'avoue que j'avais un peu mal aux fesses en rentrant, à rester ainsi assise sur la moto ! dis-je en riant.
Elle eut un petit clin d'œil amusé et reprit deux bouchées.
- En tout cas... Enfin, je ne veux pas que tu te fasses d'illusions, mais... Mais je voulais te dire que je me suis peut-être trompée.
- Comment cela ? m'étonnai-je.
- Et bien, je n'aurais jamais pensé que Lynn t'aurait fait la cour ainsi. En plus, il a l'air vraiment accro... Ca fait quoi... Plusieurs semaines que tu l'as rencontré et il ne t'a sauté dessus que dimanche dernier ? J'en reviens pas.
- C'est pourtant la vérité, dis-je, bien décidée cependant à ne pas trop lui en dire : si elle pensait que Lynn et moi avions passé la nuit qui avait suivi ensemble, autant lui laisser ses illusions.
- Oui, je te crois, ajouta-t-elle. Hier, c'était quand même la première fois qu'il t'embrassait devant tout le monde.
- C'est vrai, répondis-je en rougissant légèrement. C'était choquant, tu crois ?
Elle éclata de rire.
- Non ! Mais ça fait jaser, ça... Je crains que tu ne connaisses des journées difficiles, Jenna : elles vont toutes vouloir en savoir plus...
- Je crois que, toi aussi, tu vas passer des journées difficiles, fis-je en souriant. Elles vont toutes croire que je te fais des confidences et elles te tomberont autant dessus !
- Alors, on va faire front commun, me dit-elle.
- Ca marche !
Et nous levâmes nos mains pour frapper nos deux paumes l'une contre l'autre, ce qui provoqua un petit bruit de claquement et ne manqua pas d'attirer à nouveau l'attention sur nous...
**
Le soir, je parvins à échapper aux copines et à rentrer rapidement chez moi. J'étais un peu fatiguée : même si Lynn ne m'avait pas ramenée trop tard hier soir, j'avais travaillé en rentrant et ma nuit avait été écourtée. Ce soir encore, j'avais du travail personnel à fournir. Je décidai de manger d'abord, m'offrant ainsi une petite pause, et je me mis ensuite au travail jusque vers 23h.
Puis, sentant que je n'avançais plus à grand-chose dans la mémorisation des molécules, je m'arrêtai là, pris ma douche et me glissai avec délectation dans mon lit. Mais je tournai un moment, malgré la fatigue, ne trouvant pas le sommeil. Si les réactions des copines m'avaient amusée, c'était surtout la conversation du midi avec Ally qui me revenait à l'esprit. Et surtout ce "il a l'air accro" et le fait que Lynn m'ait "fait la cour". Même si je trouvais que l'expression avait vraiment quelque chose de désuet le concernant.
Contrairement à notre première discussion au sujet de Lynn, Ally ne m'avait cette fois pas mise en garde. Comme si elle acceptait à son tour une réalité insoupçonnable. Je devais aussi m'efforcer de ne pas m'emballer. Ce n'était pas parce que Lynn semblait "prendre son temps" avec moi que notre relation durerait. Il pouvait également se lasser aussi vite qu'il s'était enflammé.
Et moi, dans tout ça ?
Je pouvais simplement dire que je me sentais heureuse de la tournure des événements. Il m'avait attirée, il m'avait plu dès notre première discussion. Je me sentais toujours aussi curieuse de lui, j'avais envie d'apprendre à mieux le connaître. J'appréciais aussi de découvrir sa musique et je souris en repensant à une de ses réflexions, la veille. Quand je lui avais dit que j'avais eu la curiosité d'écouter plusieurs morceaux d'Iron Maiden, dont le fameux The Trooper que Stair aimerait tant maîtriser à la basse. Dès la première écoute, j'en avais saisi toute la difficulté, mais aussi la formidable construction. C'était vraiment un morceau bien écrit, musicalement parlant. Et les paroles avaient aussi de quoi toucher.
Il m'avait dit : "T'as écouté du Maiden, baby ? Non ? Et t'as aimé ? Mais on va faire de toi une vraie rockeuse !"
Et il ne croyait pas si bien dire...
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