Chapitre 57 : Jenna
La pluie tombait dru sur le pare-brise et l'autoroute se déroulait devant nos yeux. Je venais de reprendre le volant après une petite pause : il nous restait environ une heure de route pour atteindre Londres, et un peu plus encore pour arriver jusqu'à l'hôtel. Tout dépendrait de la circulation autour de la capitale, mais, par expérience, je savais qu'à cette heure, un vendredi soir, il y aurait encore du monde. Nous avions quitté tôt Manchester, Ally et moi, dès la fin de nos cours. La veille, elle était venue dormir à l'appartement avec moi, avec ses affaires pour le week-end, afin que nous ne perdions pas de temps ce soir.
Les Dark Angels étaient partis dix jours plus tôt à Londres pour l'enregistrement du deuxième disque. De ce que Gordon m'avait fait savoir et grâce aussi à quelques confidences que j'étais parvenue à arracher à Lynn, c'était un peu tendu et j'avais bien senti le soulagement du manager quand je lui avais annoncé qu'Ally et moi avions l'intention de venir. Snoog ne digérait pas la décision de la maison de disques pour la chanson Mort Ghlinne Comhann : il avait encore tenté d'en imposer l'enregistrement, sans obtenir gain de cause. De plus, la maison de disques estimait qu'un seul guitariste était nettement insuffisant et voulait qu'un second les rejoigne : musicalement, cela pouvait s'entendre. Mais pour les trois membres du groupe d'origine, il n'en était pas question : ils avaient toujours tourné à quatre, ils avaient perdu moins d'un an plus tôt leur guitariste et ami, avaient dû accepter un nouveau musicien à leurs côtés - ce qui n'enlevait rien au talent et au caractère facile de Treddy. Ce deuxième album était pour eux un nouveau départ, une façon aussi d'intégrer Treddy encore un peu plus, d'une autre manière que lors de la tournée estivale. Alors leur demander d'accepter une autre nouvelle personne au sein du groupe, c'était trop.
Connaissant Snoog, je me doutais qu'il commençait à en avoir soupé de se voir imposer des décisions par la maison de disques, sans vraie contrepartie. Le refus de la chanson Mort Ghlinne Comhann était pour lui un non-sens, une fausse excuse, une pleutrerie. "Ces mecs n'ont pas de couilles !", avait-il lâché une fois qu'on en reparlait. "Ils se font un fric monstre sur not' dos !". Cela le révoltait totalement. C'était ce contre quoi il chantait, se battait. Cette forme d'injustice lui était insupportable. Je ne pouvais lui en vouloir : sa réaction était des plus légitimes et, en ce sens, il était fidèle aussi à ce qu'il défendait, aux idées que le groupe portait. Tout en conduisant avec vigilance, je me demandais bien ce qu'Ally et moi allions pouvoir faire et quel rôle nous allions bien pouvoir jouer pour leur permettre d'enregistrer dans de bonnes conditions. Cet album était plus que nécessaire, il était vital pour le groupe. Et la tournée qui s'en suivrait, même si elle signifiait pour mon amie et moi de vivre de longs mois sans nos hommes, était tout autant essentielle. Quand Snoog disait qu'il n'y avait pas de contre-parties, c'était un peu faux et il était de mauvaise foi pour le coup : car la maison de disques avait décidé de mettre le paquet sur leur tournée : des dates partout en Europe, et selon les pays, cela pouvait aller jusqu'à une quinzaine de villes, une promotion à la hauteur.
- Ca va, Jenna ? Tu ne fatigues pas trop ?
La question d'Ally me tira de mes réflexions : mon amie avait conduit un peu après Birmingham, alors que j'avais entamé le trajet. Mais nous avions convenu que je roulerais jusqu'à Londres, connaissant mieux les lieux et la voiture puisque nous étions parties avec la mienne, Ally n'en possédant pas et Stair était descendu avec la sienne.
- Non, ça va. Ma journée de cours n'a pas été trop intense, on a fait pas mal de manipulations.
- Je n'ai eu que des cours théoriques cet après-midi, gémit-elle. J'en ai la tête farcie, mais je peux reprendre un peu le volant avant d'arriver à Londres, si tu veux.
- Merci, je te redirai. Pour l'instant, ça va.
Elle poussa un petit soupir :
- J'ai hâte qu'on arrive.
- Tu es en manque ? fis-je avec amusement.
- Grave. Et je m'inquiète vraiment de savoir comment je vais pouvoir tenir durant la tournée. Ils seront partis des mois...
- On a encore un peu de temps pour s'y préparer, Ally, fis-je avec bon sens. Et l'enregistrement de l'album, c'est une façon de le faire.
- C'est ce que je me dis... Mais...
Elle ne poursuivit pas. Je lui jetai un coup d'oeil de côté, avant de me concentrer à nouveau sur la route.
- Je me surprends, tu sais, reprit-elle au bout d'un petit moment de silence.
- Comment cela ? fis-je.
- C'est vrai qu'au début, je m'attendais si peu à ce que Stair ait encore des sentiments pour moi et même qu'il en ait jamais eu...
- Mais aujourd'hui, tu es heureuse, n'est-ce pas ?
- Oui, me répondit-elle en souriant. J'aurais sans doute réussi à passer à autre chose, à avancer. Même si j'avais toujours l'impression que quelque chose en moi s'y refusait totalement, presque viscéralement. Et même si ce quelque chose, je l'enfouissais très profondément.
- Ton coeur y croyait toujours, Ally. Même si ce n'était pas raisonnable, du moins, telles que les choses se présentaient.
- Oui, sans doute, fit-elle en levant légèrement les sourcils.
Puis elle soupira :
- Tu te rends compte que la chanson Reviens ! va figurer sur le deuxième album. Moi, je n'arrive toujours pas à réaliser...
- Il serait vraiment dommage qu'ils ne l'enregistrent pas. Je pense que c'est typiquement le genre de chansons qui peut leur amener d'autres fans.
- Ouais, encore plus de harpies déchaînées, rit-elle.
- Pas seulement, il y a des garçons qui sont romantiques aussi, même chez les hard-rockeurs. Ce n'est pas incompatible, vois ce que des groupes comme Scorpions ont fait, et, d'une certaine façon, Stair l'a prouvé en écrivant cette chanson. Elle permettra même, peut-être, à des hard-rockeurs romantiques de s'afficher comme tel alors qu'ils jouaient les durs jusqu'à présent.
- C'est amusant à imaginer.
Puis elle se replongea dans ses pensées. La circulation devenait plus dense au fil des kilomètres, nous approchions de la capitale. Nous terminâmes le voyage en parlant d'autre chose, mais je me sentis bien contente d'arriver. La fatigue de la route s'était ajoutée à celle de la semaine de cours, plus un certain stress pour le groupe. J'avais hâte de confier Ally à Stair, de retrouver Lynn et de passer à nouveau une nuit dans les bras de mon homme.
**
J'arrêtai la voiture sur le parking de l'hôtel. La pluie s'était intensifiée en arrivant dans la banlieue londonienne. Le studio n'était pas, fort heureusement, situé en centre-ville et avec l'une des rocades, j'avais pu gagner assez aisément la banlieue nord-est. L'hôtel était d'un confort supérieur à celui dans lequel les garçons avaient été hébergés l'an passé : la maison de disques semblait avoir voulu leur donner de meilleures conditions de séjour encore, histoire peut-être de les amadouer et de faire passer les différentes pilules. Mais je doutais que cela suffise.
J'eus à peine le temps de sortir de la voiture que les bras de Lynn m'entourèrent. Il m'embrassa avec fougue, puis me tira par la main et nous courûmes jusqu'à l'accueil. Même en étant rapides, nous arrivâmes trempés. Un peu essoufflée, je me tournai pour voir si Ally avait pu suivre : Stair l'avait carrément prise dans ses bras et portée. Elle s'accrochait à lui, les bras autour de son cou, les jambes enroulées autour de ses reins. Il n'arrivait pas à la déposer à terre. Je me fis la réflexion qu'il n'avait pas vraiment l'air d'en avoir envie non plus.
- Salut, les minettes ! Bon, il était temps qu'vous arriviez ! Vos mecs, ils sont à bloc !
Je souris à l'accueil de Snoog. Je lui répondis en faisant la bise à Treddy qui était le plus proche de moi :
- Pas toi ?
- On préfère pas vous dire de quoi il a été capable il y a deux jours... soupira Treddy avec un sourire amusé et en désignant le chanteur du pouce.
Je fis la bise à Snoog, renonçant à saluer Stair : il était occupé à embrasser Ally.
- Ally... Lâche-le un peu... Vous êtes dégoûtants. Vous devriez attendre d'être dans la chambre pour faire ça... On va se faire jeter de l'hôtel si vous continuez, poursuivit Snoog.
- A t'entendre, on croirait que c'est toi qui es "à bloc", fis-je alors que Lynn me rattrapait et m'enlaçait.
Je m'appuyai contre son torse et ses mains se refermèrent sur mon ventre. Snoog passa outre ma réponse et poursuivit :
- Ouais, jolie brune. Heureusement qu'on a prévenu l'ingé-son que, demain matin, on ne serait sans doute pas très tôt au studio because deux des guest-stars retrouvaient leurs copines. La grasse matinée serait au programme...
- C'est c'qu'on verra, fit Ally en se tournant vers lui, rompant son baiser avec Stair. Je parie qu'on est levé avant toi demain matin.
- Pari tenu, poupée !
**
Le lendemain matin, avant que nous ne rejoignîmes les autres, Lynn me confia que Snoog était à cran et que sa bonne humeur de la veille n'était qu'apparente. J'appréhendais vraiment comment les choses allaient se passer. Lui aussi était en colère, mais tentait de se maîtriser. Il avait bien en tête que, ce qui comptait, c'était d'enregistrer le disque. Et pour cela, il fallait un minimum de sérénité.
- Je crois que c'qui est dur aussi, Jenna, c'est qu'là, on tente d'enregistrer Dark Night. Et il n'est pas content de lui. De c'qu'il donne au chant.
- Je comprends... soupirai-je.
- Faut qu'on arrive à le calmer, baby. Parce que sinon... Stair est pas loin de péter les plombs. C'est bien qu'Ally soit v'nue avec toi. Et pas qu'pour une partie d'jambes en l'air.
- Je vois : la situation est vraiment grave.
- Oui, poursuivit-il, parce que si Stair craque, je sais pas c'que Treddy va faire. Si ça s'trouve, tout ça, ça va le gaver et il pourrait nous dire "ciao les mecs, c'était sympa de bosser avec vous, mais là... J'vais voir ailleurs". Et j'tiens pas à c'que Treddy s'en aille. On aura du mal à trouver un mec aussi bien. Cool et bon gratteux. Et qui s'entend bien avec nous, qui a fait un super boulot avec Stair pour tous les arrangements.
- Est-ce que tu penses que, au cours du week-end, vous pourriez envisager d'enregistrer une chanson qui soit moins "émotionnellement prenante" ? Qui fasse un peu plus consensus ?, proposai-je.
Il se frotta le menton, puis dit :
- Tu veux qu'on essaye de calmer l'jeu ?
- Oui. Ca reposerait Stair et ça empêcherait Snoog de focaliser sur Dark Night. Je comprends qu'il veuille la réussir, la rendre poignante, y mettre toutes ses tripes. Mais si c'est aussi mal parti que ce que tu me dis, il n'y arrivera pas. Il faut relâcher la pression de la cocotte-minute, là.
- Explique-moi plus, baby ? fit-il vivement intéressé.
- Vous repartez sur une autre chanson, pourquoi pas Reviens ! puisqu'Ally est là, ça permettra à Stair de complètement penser à autre chose. Me regarde pas avec cet air niais ! m'exclamai-je en levant les yeux au plafond.
- Tu sais qu'c'est dangereux pour Ally, c'que tu suggères, là ? me répondit-il en rigolant.
- Ally tiendra le coup, ne t'inquiète pas. Bon, tu me laisses finir ?
- Ok, je t'écoute.
Je le regardai un peu furieuse encore, mais je vis bien qu'il était redevenu tout ce qu'il y avait de plus sérieux.
- Je disais donc, pendant que vous commencez l'enregistrement d'une autre chanson, je parle de tout cela avec Gordon et avec le gars de la maison de disques. Il y a trop d'incertitudes pour vous. Je vais voir quelle marge de manoeuvre vous pourriez obtenir pour cette histoire de guitariste supplémentaire.
- Ok. On te donne du mou et nous, on s'vide un peu la tête de toute cette embrouille.
- Exactement.
Nous nous rendîmes donc au studio, y retrouvant Gordon. Alors qu'Ally s'asseyait aux côtés de l'ingénieur du son, toute curieuse de découvrir comment se déroulait un enregistrement, je m'éloignai avec le manager dans une pièce voisine. Nous nous installâmes dans de confortables fauteuils, avec une boisson fraîche pour lui et un thé pour moi et commençâmes à parler. Il me fit le récit des premières journées d'enregistrement : selon lui, les choses avaient plutôt bien commencé avec la mise en boîte de No man's land et de Dark City. Mais se retrouver après dix jours de travail avec juste deux chansons sur la douzaine que devrait compter l'album, c'était déjà trop juste. Le retard s'accumulait et les dents commençaient à grincer, autant du côté des garçons que de la maison de disques. L'ingénieur du son, lui, faisait son boulot : c'était le même que pour le premier album et il avait encouragé les garçons à sa façon, soulignant leur réelle évolution et leur maturité grandissante.
- Le courant est tout de suite passé entre lui et Treddy, je me suis dit que ça augurait bien... J'ai été optimiste trop vite, soupira Gordon. J'aurais dû me méfier.
- Snoog ? demandai-je un peu inquiète.
- Ce n'est pas lui qui a attaqué le premier, Jenna, je regrette de le dire. A peine avaient-ils achevé la première journée, les repérages, les calages avec l'ingé-son, que Mark Seakly est venu leur parler. Et là, ça a commencé à partir en vrille. Le lendemain, Snoog est arrivé en disant qu'ils allaient enregistrer Mort Ghlinne Comhann et que personne n'avait intérêt à venir le faire chier - excuse-moi du mot, Jenna, mais c'est ce qu'il a réellement dit. Evidemment...
- Evidemment, ce n'est pas passé, complétai-je.
- Tu as tout compris. Je suis parvenu à le calmer un peu, à lui dire qu'on reverrait cette question plus tard, qu'il y avait d'autres priorités. Ils ont donc bien voulu commencer les enregistrements, mais Mark était là tous les jours et ça leur a mis une pression folle. Je pense qu'ils n'ont pas supporté de le voir rôder.
- Quels sont ses arguments ? Que veut-il exactement ?
- Il pense - et d'autres dans la boîte aussi - qu'il faut un deuxième guitariste pour donner plus de richesse aux morceaux. Rares sont les groupes de rock et de hard-rock qui ne jouent qu'avec un seul guitariste. Et je t'avoue que je partage assez cet avis, artistiquement parlant. Or Snoog n'est pas capable d'assurer, même pour une rythmique de base.
- Il ne touche sa guitare que pour gratouiller une mélodie, fis-je.
- Je le sais, oui. Donc, il faut une autre personne. Et là, ça coince. Ils ne veulent pas en entendre parler.
- Mais est-ce qu'ils acceptent l'idée qu'un guitariste supplémentaire apporterait quelque chose de vraiment positif aux morceaux ?
- Je n'en sais rien, Jenna, soupira Gordon. Franchement, on est mal barré. Je crains qu'ils ne claquent la porte et là... Je n'ai pas besoin de te faire un dessin. Ils vont se retrouver sans rien.
Je fis tourner un moment ma petite cuillère dans ma tasse, puis bus quelques gorgées. Je réfléchissais à la situation.
- L'insistance de Mark a donc amené Snoog à remettre la question de Mort Ghlinne Comhann sur le tapis ?
- Oui. Et maintenant, au lieu d'avoir un seul point d'achoppement, on en a deux.
- Gordon... Si... Si on parvient à faire admettre aux garçons qu'un second guitariste est nécessaire, est-ce que Mark et les autres accepteraient l'enregistrement de Mort Ghlinne Comhann en contrepartie ?
- Je ne pense pas.
- Eux aussi, il va falloir qu'ils fassent des concessions s'ils veulent qu'on avance, dis-je en fronçant les sourcils. Sinon, les gars vont avoir l'impression de tout donner et de ne rien avoir en retour. Il faut du donnant-donnant.
- Je discute avec Mark tous les jours. Mais il est assez intransigeant, tu sais.
- Je vois bien le genre, fis-je en songeant à mon propre père.
- Tu pensais à quelque chose de particulier, Jenna, pour le second guitariste ?
- A ton avis, est-ce que Treddy pourrait jouer les deux ?
Il me regarda avec des yeux ronds :
- Les deux parties ?
- Oui. En studio, bien entendu. Pour la tournée, c'est un autre problème, j'en conviens. Mais pour le disque ?
- Ma foi... Je pense que oui, fit-il alors qu'un air pensif s'affichait sur son visage. En général, la ligne rythmique est assez simple, épurée et facile à jouer. Je pense que Treddy en a largement les capacités. Il faudrait avoir un peu plus de temps pour lui permettre de faire les deux. Mais si le climat s'améliore, que les gars se calment, il pourra travailler plus sereinement aussi.
- On va lui en parler, dis-je. Ca permettrait aux trois autres d'accepter l'idée de cet apport rythmique supplémentaire, et je pense que Stair ne sera pas fermé à l'idée. Et ainsi, ils resteraient à quatre.
- Si tu penses qu'on peut entamer la négociation avec eux ainsi, on essaye. S'ils acceptent, j'en fais mon affaire de calmer Mark et les autres. Ca ne veut pas dire pour autant qu'on obtiendra leur aval pour Mort Ghlinne Comhann...
- Je l'entends bien, fis-je, compréhensive. On va essayer de bien dissocier les deux problèmes dans l'esprit des garçons.
Nous quittâmes la petite pièce cosy pour rejoindre le studio. A peine avions-nous fait quelques pas dans le couloir que je compris que la situation était vraiment délicate, alors que la séance avait à peine débuté : Stair et Treddy étaient déjà dans le couloir. Ally s'était blottie dans les bras de son bassiste et Treddy attendait, le visage un peu fermé et le front soucieux. Le regard de Stair avait perdu de sa douceur et je voyais une flamme dangereuse y vaciller. Je ne l'avais jamais vu ainsi. Les moments où Stair avait perdu son calme en ma présence étaient liés à l'accident de Ruggy, ainsi que le soir où je lui avais parlé d'Ally et que la douleur avait remplacé la douceur dans ses yeux noisette.
Je ne savais que dire et fus bien heureuse d'entendre Gordon prendre la parole :
- Vous faites déjà une pause ?
Stair leva les yeux vers le plafond. Sa main ne cessait de passer dans les cheveux d'Ally. Il répondit :
- Snoog est "à chier". C'est mal barré pour avancer d'un pouce aujourd'hui.
Treddy acquiesça et compléta les propos de son ami :
- Lynn est resté avec lui, nous deux, on a préféré sortir. On s'est dit que notre attitude le ferait peut-être réagir.
Gordon hocha la tête, puis fit :
- Treddy, Jenna et moi aimerions te parler un instant. Stair nous rejoindra après.
- Ok, fit le guitariste et il nous emboîta le pas.
Je lançai un regard confiant et un petit sourire qui se voulait rassurant à Ally et Stair, mais ce dernier fixait un point lointain et ne réagit pas.
**
- Je suis d'accord.
Treddy nous avait écoutés, Gordon et moi, et après quelques courts instants, il avait pris sa décision.
- Il n'y a pas de soucis, dit-il. Je peux le faire. Je veux dire, on peut enregistrer les deux lignes de guitare séparément, ça ne pose aucun problème. La seule chose, c'est que cela va demander de remanier un peu les morceaux, Stair va devoir faire quelques changements aussi de son côté. Et ça prendra un peu plus de temps. Il faut qu'ils nous donnent plus de temps.
Le "ils", je le compris, c'était pour Treddy la maison de disques.
- Je m'occupe de cette question, dit Gordon avec assurance. Mais puisque tu es d'accord, on va voir maintenant ce que les autres en pensent.
- Je vais les chercher, dis-je.
Je sortis de la pièce et ne trouvai qu'Ally dans le couloir.
- Stair est reparti avec les autres ? demandai-je, étonnée.
- Non, il est parti fumer un joint. Il n'arrive pas à décompresser, Jenna. Tu crois qu'on va trouver une solution ? me demanda-t-elle, inquiète.
- Oui, ça commence à se dessiner. Mais il faut que les trois autres nous écoutent maintenant et acceptent ce que l'on va proposer.
Puis je lui expliquai en deux mots ce qu'il en était, avant d'entrer dans le studio. L'ingénieur du son était à ses manettes, concentré. Dans la salle, Lynn était assis derrière sa batterie, mais ne jouait pas : il demeurait là plus pour être une présence pour Snoog. Ce dernier tentait de chanter. C'était pitoyable. Il était temps d'arrêter le massacre.
En m'entendant, l'ingénieur se tourna brièvement vers moi. Il me dit :
- Il n'y arrive pas. Je ne comprends pas. Pour les deux autres chansons, ça s'est bien passé. Je ne retrouve pas le chanteur du premier album non plus.
- C'est la chanson pour Ruggy, expliquai-je. Il y a trop d'affect. Il va la réussir, mais il lui faut un environnement plus favorable. Je vous propose qu'on arrête les tentatives pour cette chanson, pour le moment. On a aussi une solution pour la deuxième guitare, Treddy accepte de la faire, d'enregistrer les deux lignes. Mais ça va leur demander un peu de travail pour réadapter les morceaux.
- Ok, ça, c'est gérable. Et je peux les y aider. Je l'arrête, alors ?
- Oui.
Et je le vis pousser une petite manette. Sa voix s'entendit autant dans la cabine que dans la salle.
- Pause, dit-il.
Snoog leva les yeux vers lui. Son visage était pâle, son regard furieux. Une vraie bombe. Qu'il allait falloir désamorcer. Déjà, Lynn quittait son siège et sortait de la pièce. L'instant d'après, alors que Snoog était encore debout, les mains crispées sur son micro, il nous rejoignait.
- Les nouvelles, Jenna ? me demanda-t-il d'emblée.
- On va discuter tous ensemble. Gordon et moi avons une proposition à vous faire.
- Ok. Stair est dehors ?
- Ou de retour dans le couloir, je ne sais pas. Ally m'a dit qu'il était parti fumer.
Il hocha la tête, l'air de signifier : "Tu vois, j'te l'avais bien dit : Stair est à cran".
La discussion entre le groupe, Gordon, Ally et moi se passa plutôt bien, même si elle dura assez longtemps. Stair embraya dès qu'il sut que Treddy avait accepté de jouer les deux lignes de guitare. Lynn ne dit de particulier. Quant à Snoog, il grogna un peu, mais le fait qu'il n'y aurait pas d'autres musiciens à venir le calma et il accepta finalement l'idée. Nous sortîmes tous de cet échange un peu fatigués et surtout affamés et nous décidâmes d'un commun accord de faire une pause. Il y avait plusieurs restaurants dans les alentours et nous trouvâmes aisément un endroit pour nous sustenter. Gordon et l'ingénieur du son ne nous accompagnèrent pas, et le premier me glissa avant de nous séparer de ne pas hésiter à faire durer la pause avec les garçons et qu'il allait, de son côté, entamer les discussions avec Mark Seakly.
Le samedi soir, Mark Seakly accepta que Treddy joue les deux lignes de guitare. Sans attendre son avis, les garçons, après le repas, étaient tous retournés au studio. L'ingénieur du son les y attendait et à eux cinq, ils discutèrent un bon moment des arrangements possibles, au moins sur les deux morceaux déjà enregistrés. Le soir-même, vers 23h, les deux nouvelles versions de No man's land et de Dark City étaient en boîte. Une façon de repartir du bon pied.
Le lendemain, dimanche, tout le monde aurait dû faire relâche, ce qui d'ailleurs était encore prévu jusqu'en milieu de semaine. C'était aussi la raison pour laquelle, Ally et moi, nous avions fait le déplacement à Londres, pour pouvoir passer une journée tranquille avec nos hommes. Mais face à la situation, les quatre musiciens décidèrent d'un commun accord de poursuivre le travail : il fallait, comme l'avait souligné Treddy, réécrire en partie les arrangements de tous les autres morceaux. Ils avaient convenu, sur une suggestion de Stair, de commencer par Reviens !. Ainsi, avant que nous ne reprenions la route, Ally et moi, nous pûmes assister aux premiers essais d'enregistrement pour cette chanson. Nous les quittâmes un peu tard, mais soulagées de les sentir à nouveau sur de bons rails. Bien entendu, plusieurs problèmes demeuraient, et notamment la façon dont Snoog aborderait le chant pour Dark Night, mais aussi comment résoudre la question du deuxième guitariste pour la tournée. C'était désormais à la maison de disques de s'en dépêtrer et de faire venir un musicien pour les accompagner.
Annotations
Versions