Chapitre 69 : Lynn et Jenna
- Ca va, Lynn ?
- Ouais, ça va, répondit-il.
Stair l'avait accompagné pour le ramener, après le passage chez le tatoueur. Il avait le bras gauche bandé. Le tatoueur le regarda et sourit :
- C'était un peu long... J'espère que le résultat te plaira. J'ai fait au mieux avec la photo que tu m'avais fournie.
- J'te fais confiance, Steevy. Tu as bien réussi l'autre...
- Ouaip, mais c'était presque plus facile. Là...
Lynn secoua doucement la tête. Oui, c'était vrai, il espérait que Steevy ne s'était pas planté. C'était un des meilleurs tatoueurs de tout le Royaume-Uni, il travaillait avec beaucoup de soin, de minutie.
- Je te rappelle les précautions à prendre... Nettoyage soigneux tous les jours, désinfectant. Au moins trois semaines ainsi, le temps que ça cicatrise. L'expose pas au soleil, attends un peu...
- Pas de risque. Il pleut tout l'temps dans ce pays d'merde, rétorqua Lynn en rigolant.
- C'est pas faux, dit Steevy, amusé.
Le jeune homme quitta la table du tatoueur, enfila avec soin son t-shirt, puis son blouson. Ca lui tirait un peu et il n'était pas mécontent que Stair soit venu le récupérer pour le ramener à l'appartement : il aurait eu du mal à conduire, même la voiture.
Il régla le tatoueur, ils le saluèrent, puis sortirent de la petite boutique. Ca ne payait pas de mine, mais c'était un des lieux les plus prisés des amateurs de tatouages. Stair ne s'était pas garé trop loin et ils rejoignirent rapidement sa voiture. En le ramenant, son ami demanda :
- Jenna est au courant ?
- Non, elle croit qu'on se voyait pour répéter. J'veux lui faire la surprise.
- Tu crois qu'elle va aimer ?
- On verra... En fait, j'pense qu'elle va le kiffer grave.
- Sérieux ? fit Stair.
- Ouais. Une Walkyrie qui a ses traits...
Stair eut un mince sourire. Quand Lynn lui avait demandé de lui rendre ce petit service, qu'il avait évoqué ce deuxième tatouage, il avait bien pensé qu'il y aurait un lien avec Jenna, mais il n'avait pas du tout imaginé ce que cela pourrait être.
- T'aurais pu choisir un gros cœur barré par son prénom...
- Ouais, mais c'est pas très original. La Walkyrie, j'aimais bien l'idée. Son côté combattante, courageuse, tu vois.
- Yep, c'est bien vu. Un peu indépendante aussi.
- Ouais, et rebelle. Et puis, j'trouvais que ça irait bien avec le dragon.
Ils restèrent quelques instants silencieux, puis Lynn demanda :
- T'aurais envie de t'faire un gros coeur barré avec le prénom d'Ally, toi ?
- Nan. Mais...
- Mais ? fit Lynn car Stair tardait à poursuivre sa pensée.
- Mais j'réfléchis sérieusement à m'en faire un autre, ouaip. Pour Ally. Mais chais pas quoi encore...
Lynn opina. Ils arrivaient à l'appartement. Stair se gara dans la rue et accompagna Lynn jusqu'à l'étage. Jenna était dans le salon, assise à la table, en train de travailler ses cours. Depuis qu'elle avait pu reprendre ses études, elle bûchait dur et Lynn était admiratif de l'énergie qu'elle déployait pour réussir son concours. Elle tenait à ses études et à son futur travail, même s'il doutait qu'elle exercerait beaucoup puisqu'elle voulait aussi pouvoir les suivre en tournée.
**
- Oh, vous voilà ! dis-je en levant les yeux de mon écran d'ordinateur.
- Ouais, Stair m'a déposé. Tu veux une bière ? demanda Lynn à son ami.
- Ok. Mais juste une. J'me tape pas l'incrust', répondit ce dernier. Ally m'attend à l'appart'.
- Elle va bien ? demandai-je.
- Oui, ça va, répondit Stair. Elle te passe le bonjour.
Maintenant qu'Ally était diplômée et assurait des remplacements dans une clinique de la ville, nous nous voyions moins souvent toutes les deux. Dans quelques mois, si je réussissais ma dernière année et si j'obtenais mon diplôme, je pourrais faire comme elle. Je commençais aussi à réfléchir à mon avenir professionnel et je me disais que si l'opportunité se présentait, j'opterais certainement pour le libéral. Cela me donnerait plus de souplesse pour suivre le groupe. Mais contrairement à mon amie, je ne chercherais pas un poste à Manchester, mais à Glasgow, puisque ce serait là que nous nous établirions dans quelques mois, quand le studio et notre propre appartement seraient terminés.
Stair s'installa dans le sofa et Lynn disparut dans la cuisine.
- Tu veux prendre quelque chose, baby ? me lança-t-il de là-bas.
- Comme vous ! répondis-je.
Il revint avec trois bouteilles. Ce fut à ce moment-là que je remarquai le bandage sur son bras gauche, car il en avait profité pour enlever son blouson.
- Qu'est-ce que tu t'es fait ! m'écriai-je en me levant d'un bond et en me précipitant vers lui.
- Doucement, baby, me dit-il. Touche pas, ça fait un peu mal encore. Pas que j'sois douillet, mais...
- Qu'est-ce qui s'est passé ? insistai-je en regardant Stair.
Ce dernier avait un petit sourire en coin et il avait vraiment l'air de s'amuser de mon inquiétude, de ma réaction.
- C'est juste... Qu'on n'était pas en répét', baby, dit Lynn.
Puis il ajouta, après avoir bu deux longues gorgées, comme s'il avait voulu bien prendre son temps pour me laisser griller encore un peu plus sur des charbons ardents :
- J'étais chez le tatoueur, baby. C'est un nouveau. Donc pas touche pour l'instant, ça pique encore.
Je soufflai et retombai sur ma chaise. J'avais craint qu'il ne se soit blessé en faisant je ne savais quoi... Puis j'enregistrai ce qu'il m'avait dit et demandai :
- Un nouveau tatouage ? Tu as choisi quoi ?
- Tu verras bientôt. Bon, les premiers jours, j'te préviens, on voit pas grand-chose et c'est assez moche. Mais une fois que ça a cicatrisé, que la peau s'est refaite... En général, c'est pas mal.
Bien sûr, je lui avais déjà posé quelques questions sur son dragon, sur les tatouages en général, si ça faisait mal, les produits utilisés, etc... Et il m'avait dit, une ou deux fois, qu'il s'en ferait faire un autre, sur l'autre bras, quand il aurait assez d'argent pour ça. Mais je n'en savais pas plus. Je ne savais pas ce qu'il avait choisi et je pensais même, un peu innocemment sans doute, qu'il m'aurait demandé mon avis.
Ce ne fut donc que quelques jours plus tard, quand il allait estimer pouvoir me le montrer, que j'allais découvrir son choix.
**
- Bon, t'es prête, baby ?
- Prête, répondis-je avec une certaine fébrilité dans la voix.
Cela faisait maintenant une dizaine de jours qu'il était passé chez le tatoueur. Lui seul avait regardé, jour après jour, en apportant les soins nécessaires. Mais il avait toujours fait très attention à ce que je ne voie pas le résultat. Je me posais vraiment beaucoup de questions au sujet de ce nouveau tatouage. Avait-il choisi quelque chose de fantastique, comme le dragon ? Avait-il voulu évoquer le groupe ? Je n'osais penser qu'il avait choisi quelque chose qui parlerait de nous, car se faire tatouer, c'était irrémédiable. J'espérais seulement qu'il n'avait pas choisi un dessin morbide, ses t-shirts me suffisaient amplement pour cela.
Il était torse nu et avait encore le bras entouré d'un bandage. Il s'était assis sur une chaise et je lui faisais face. Il défit l'attache, puis déroula la gaze lentement. Sa peau apparaissait déjà, encore rougie, et son bras me parut un peu gonflé, mais rien d'alarmant ou de notoire par rapport à l'autre. Puis le dessin commença à se laisser voir.
J'en restai sans voix une fois qu'il eut retiré toute la gaze et qu'il l'eut déposée sur la table. Il y avait appuyé son coude et tourna légèrement son bras pour que je puisse bien regarder.
Malgré les rougeurs et quelques boursouflures qui ne tarderaient pas à disparaître, je voyais nettement les traits du tatouage, et cette unique couleur bleutée. C'était le dessin d'une walkyrie, une femme assez élancée, musclée, tout en étant sexy. On distinguait nettement sa poitrine et ses cuisses, entourées par des pans de tissus qui volaient autour d'elle avec une impression de fluidité. Ses cheveux se fondaient par endroits avec ses vêtements, et leur mouvement n'était pas sans rappeler celui des flammes du dragon. Il y avait une grande similitude, je le vis d'emblée, entre la chevelure de la jeune femme et les flammes du dragon, de même entre les mouvements du corps du dragon et ceux du corps de la walkyrie.
Mais le plus étonnant, c'était qu'elle avait mes traits.
Je m'étais penchée un peu au-dessus du bras de Lynn et je ne me rendais pas compte du temps qui passait, de mon long silence alors que j'observais déjà des détails, que j'essayais d'en distinguer certains malgré la peau encore rougie.
- Alors, baby ? finit-il par demander, un peu impatient d'avoir mes premières réactions. T'en penses quoi ?
- C'est... Lynn, je ne sais pas quoi dire ! Je le trouve déjà très beau... Mais... Mais son visage... C'est... C'est...
J'étais incapable d'en dire plus. Je me sentais profondément bouleversée. Il glissa doucement sa main droite sous mon menton, pour me faire relever le visage et me fixer droit dans les yeux :
- J't'ai dans la peau, baby. Vraiment. Et encore plus, maintenant.
Puis il m'embrassa et, incapable de résister plus longtemps, je nouai mes bras autour de son cou, en prenant soin toutefois de ne pas appuyer sur son tatouage. Quand nous rompîmes notre baiser, je gardai mon visage très proche du sien et soufflai :
- Moi aussi, j't'ai dans la peau.
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