Chapitre 88 : Jenna
- Allo, maman ?
- Oh, ma Jenna ! Je suis contente de t'entendre ! Comment vas-tu ?
- Je vais bien, maman, répondis-je d'une voix aussi claire que possible. Et vous ?
- Ca va... Ton père s'inquiète un peu de la tournée... Je t'avoue que je n'aurais pas pensé qu'il aurait cherché à savoir où vous vous trouviez de manière aussi précise...
- Nous sommes maintenant à Glasgow et nous allons y rester jusqu'au début de l'année. Le groupe marque une pause pour les fêtes...
- Oh ! Mais... Mais alors...
Elle s'arrêta un instant, je la laissai réfléchir. Elle reprit, un peu hésitante, mais j'entendais bien à sa voix qu'elle était heureuse.
- Est-ce que... Est-ce qu'on pourrait vous voir pour les fêtes ? Est-ce que tu crois que Lynn... accepterait de venir pour le repas de Noël, ici ?
Je souris doucement. Je m'étais un peu attendue à cette réaction et j'étais très heureuse qu'elle ait pris l'initiative de proposer cette invitation, sans même demander son avis à mon père. Maman avait désormais totalement accepté Lynn et l'idée que je faisais ma vie avec lui. Mon père, je m'en doutais, marquait encore des réserves. Mais la situation s'était nettement améliorée depuis un an, même si nous n'avions pas eu l'occasion de nous revoir, du fait de la tournée.
- Maman, je suis très touchée par ta proposition et je suis certaine que Lynn l'aurait acceptée, mais... Mais j'avais autre chose à suggérer... car même si la tournée est suspendue le temps des fêtes, nous avons beaucoup voyagé et bougé et nous aimerions vraiment nous poser à Glasgow. Alors, est-ce que vous, vous voudriez venir pour Noël, pour fêter Noël avec nous, ici ?
- Je... Oh... Jenna...
Et je compris que si ma mère ne pouvait pas en dire plus, c'était qu'elle était en train de pleurer.
- Excuse-moi, ma chérie. Je suis tellement émue... Oh, oui, j'aimerais tellement voir où tu... où vous vivez... Oui, j'en serais vraiment heureuse.
- Lynn serait content de vous recevoir ici. Et nous pourrions visiter un peu la ville, Glasgow est une ville étonnante, je m'y sens très bien, tu sais. Et puis, je crois que Lynn serait assez fier de vous montrer le studio aussi. Promis ! ajoutai-je en riant, le groupe ne jouera pas durant votre visite !
- Ah, mais... Tu m'avais dit que c'était bien isolé ?
- Ca l'est, maman. Je disais juste cela pour le moment où vous seriez passé voir le studio. Tu sais, Ally et Stair sont à Manchester, Treddy profite de sa fille et Snoog... Bah... Lui, il est libre comme l'air, alors... Chacun voit ses proches, en cette période, et c'est pour cela que nous aimerions vous voir aussi.
- D'accord. Je vais me débrouiller pour convaincre ton père.
- J'espère que ça ne le chagrinera pas de venir... et de ne fêter Noël qu'avec nous, cette année.
- Nous aurons l'occasion de voir le reste de la famille avant ou après, ne t'inquiète pas.
Nous parlâmes encore un petit moment, elle me donna des nouvelles de ma grand-mère. Je sentais maman très enthousiaste et j'espérais sincèrement qu'elle réussirait à convaincre mon père de faire ce voyage.
**
Maman me rappela deux jours plus tard pour m'annoncer qu'elle était parvenue à décider mon père. Il ferait même le voyage en train, ce qui m'étonna presque encore plus que leur venue. Il préférait séjourner à l'hôtel, aussi maman me demanda-t-elle de lui indiquer ceux qui me sembleraient le mieux convenir, tout en étant proches de chez nous. Il n'y avait pas vraiment d'hôtels grand luxe à proximité, mais je fis de mon mieux pour lui trouver quelques adresses. J'étais un peu déçue que papa ait refusé de loger chez nous, je pouvais néanmoins comprendre que c'était déjà un grand pas pour lui de venir jusqu'ici.
Peu après avoir raccroché, Lynn me rejoignit. Il était parti faire quelques courses et revenait les bras chargés de décorations. Il voulait donner un côté très festif à l'appartement et je le voyais s'amuser comme un petit garçon à installer le sapin, les boules et les guirlandes.
- Alors, baby, ça va ? fit-il en s'asseyant près de moi, sur le sofa où je m'étais allongée.
Il souleva un peu ma tête, pour que je puisse la poser sur ses genoux et glissa le petit oreiller pour que ce soit bien confortable. Il était vraiment un amour et me bichonnait autant qu'il le pouvait depuis le retour du groupe à Glasgow.
- Oui, ça va. Je suis restée tranquille durant ton absence, tu vois. J'ai reçu un appel de maman.
- Ah ?
Son front se plissa un peu. Cette question de fêter Noël avec mes parents, même s'il était à l'origine de la suggestion, était quand même une question délicate pour lui. Nous avions convenu que ce serait une belle occasion de leur annoncer la venue du bébé. Je ne voulais plus tarder non plus, espérant que cet enfant nous rapprocherait encore un peu plus, même si, je devais bien me l'avouer - et même si je n'avais pas fait part de mes pensées à Lynn - je me demandais quand même bien comment mon père allait prendre la nouvelle. Maman, je le savais, en serait heureuse. Mais mon père...
- Oui, ils acceptent de venir à Glasgow.
- Ils se doutent de rien ?
- Non. Je crois que maman a totalement accepté mes raisons, sans soupçonner celle qui m'empêche de me déplacer.
- Ok...
- En revanche... Papa préfère aller à l'hôtel.
- Ah ?
Le front de Lynn resta plissé ; je devinai cependant un certain soulagement à cette nouvelle. En même temps qu'il en était un peu ennuyé, voire contrarié. Hum, petite bombe à désamorcer, là.
- Tu sais pourquoi ?
- Pas vraiment, non. Même si je soupçonne ses raisons. Et je pense que c'est aussi bien : il avance moins vite que maman en notre direction, mais c'est un nouveau grand pas qu'il franchit là. Pour moi, l'essentiel est qu'il ait accepté de venir passer Noël ici, avec nous.
- J'espère qu'il nous imposera pas un repas au resto... grogna-t-il.
- Je saurais lui faire comprendre que nous tenons vraiment au repas à la maison, souris-je en tendant la main vers lui, main qu'il prit aussitôt pour enlacer nos doigts.
- Pff... Il est compliqué, quand même, ton paternel...
- Je sais, Lynn. Mais reconnais qu'il a déjà beaucoup progressé... et sans nous avoir revus, en plus.
- Ouais, t'as raison, baby. C'est moi qui m'emballe... J'voudrais vraiment t'faire plaisir pour ce Noël, puis là, chuis un peu déçu quand même...
- Ne le sois pas, dis-je en me redressant. Ils viennent. Je te le redis, c'est le plus important pour moi.
- D'accord. Bon, tu m'guides pour mettre les dernières décos ?
- Ca marche, lui souris-je en le laissant se lever, puis en me réinstallant sur le canapé.
Il avait placé un grand sapin entre la fenêtre et le canapé. Il était décoré de rouge et de blanc. Puis il avait accroché de nombreuses guirlandes aux murs, des amas de boules aux piliers. Mais il manquait, selon lui, quelques guirlandes notamment autour de la rambarde de l'escalier. Il m'avait bien fait rire, au moment des premiers achats, à me demander si je tenais à une crèche. Je lui avais certifié que je pouvais m'en passer. Il en avait eu l'air soulagé. La visite de mes parents, c'était déjà une chose, mais une "bondieuserie" dans l'appartement, ça lui serait plus difficile à supporter que la présence de mon père.
**
Mes parents arrivèrent le 23 dans l'après-midi. Il faisait très froid et la neige était tombée en abondance depuis deux jours, donnant vraiment un air très féérique à ce Noël. J'étais rassurée qu'ils aient choisi de faire le voyage en train et maman m'avait prévenue, la veille, de ne pas nous embêter à venir les chercher à la gare : ils allaient prendre un taxi, déposer leurs affaires à l'hôtel et nous rejoindre à la maison. Ils avaient accepté de prendre un repas léger avec nous le soir.
Si mon père avait été moins guindé, j'aurais peut-être proposé d'aller dans un pub, même un peu chic. De toute façon, il valait mieux que j'évite encore de faire des efforts et de trop me déplacer. L'amniocentèse s'était bien passée, la cicatrisation se faisait bien, mais le médecin m'avait demandé de rester prudente durant la période des fêtes. Sans compter qu'avec toute la neige qui était tombée, Lynn ne voulait pas que je sorte et que je risque une chute. C'était effectivement plus prudent.
Quand mes parents se présentèrent devant le studio, Lynn descendit pour leur ouvrir et les guider à travers le rez de chaussée. De ce qu'il allait m'en raconter après, le salut de mon père avait été poli, à peine plus chaleureux qu'un an auparavant. Il avait eu l'air un peu impressionné par les locaux. Maman, elle, se montrait déjà curieuse, mais Lynn avait bien senti qu'elle avait hâte de me revoir, il les avait donc fait monter directement à l'étage.
J'étais assise dans le sofa, ayant quitté la position allongée dès l'annonce de leur arrivée pour ne pas les inquiéter. J'espérais ne pas avoir trop mauvaise mine. Lynn m'avait rassurée : lui trouvait que j'avais l'air reposé, dormant mieux depuis quelques temps - et je devais bien reconnaître que son retour à la maison y était certainement pour beaucoup -, et ne pleurant plus à longueur de journée comme cela avait encore été le cas au début du mois.
Maman fut la première à apparaître en haut de l'escalier. Son regard fit de le tour de l'appartement, comme se demandant où je pouvais me trouver dans ce grand espace. Je me levai alors et me dirigeai vers elle. Elle sourit et me prit dans ses bras.
- Ma chérie ! Que je suis heureuse de te revoir !
- Bonjour, maman ! fis-je en lui rendant son étreinte. Moi aussi, je suis heureuse de vous voir. Cela me fait très plaisir que vous soyez venus. Vous avez fait bon voyage ?
- Oui, répondit mon père. Et l'hôtel est très bien. Tu as bien conseillé ta mère.
Je laissai donc ma mère pour embrasser mon père. Les effusions furent plus sobres, mais il souriait.
- Comment vas-tu, ma chérie ? demanda-t-il.
- Bien, répondis-je, même si je forçai un peu sur mon sourire. Asseyez-vous. Vous voulez prendre quelque chose ? Un thé ou un rafraîchissement ?
- Un thé, volontiers, dit maman en s'asseyant dans le canapé alors que papa prenait place sur le fauteuil, non loin d'elle.
- Je m'en occupe, dit Lynn.
Et il fila vers la cuisine.
Le regard de mes parents continuaient à découvrir l'appartement. Maman prit la parole la première :
- Même si tu me l'avais décrit et avais envoyé quelques photos, Jenna, je n'imaginais pas que c'était aussi grand.
- Il y a une belle hauteur de plafond, dit mon père, en effet. Mais c'est très moderne.
- Nous avons voulu utiliser au mieux le bâtiment, expliquai-je. Lynn avait beaucoup d'idées, notamment pour mettre en valeur les briques, et les marier avec du bois et une touche de métal, par endroits. Pour les piliers, il fallait les conserver, pour soutenir le toit. Au départ, je me demandais vraiment quel en serait l'effet, si ça ne couperait pas trop la pièce, mais non. Lynn pensait que ça donnerait vraiment quelque chose de bien. Il imaginait mieux les choses que moi.
- Mais tu as eu aussi de belles idées, Jenna, fit-il en apportant un plateau avec le thé.
Je fis le service alors qu'il s'asseyait dans un des fauteuils, presque en face de mon père.
- C'est dommage qu'il fasse déjà nuit, car on ne voit pas bien dehors, fit maman.
- Vous verrez mieux demain, dis-je. On a une belle vue et en cette saison, quand il fait soleil, il entre jusqu'à la cuisine. C'est très lumineux. J'apprécie beaucoup.
Nous discutâmes assez aisément, tout en sirotant notre thé, puis nous passâmes à table pour le repas léger que Lynn avait préparé. L'ambiance était moins tendue que lorsque nous étions allés à Londres. Mon père demeurait quand même peu loquace. Néanmoins, il posa quelques questions à Lynn sur la tournée, ce qui m'étonna un peu.
**
Le lendemain, ils nous rejoignirent en tout début d'après-midi et nous fîmes une petite promenade dans les alentours, puis nous regagnâmes l'appartement et Lynn leur montra le studio. Les Dark avaient rapporté là leurs instruments, sauf Stair qui avait emporté sa basse avec lui. Papa posa quelques questions techniques à Lynn et maman s'étonna vraiment de la qualité de l'insonorisation. Je les fis monter à l'étage alors que Lynn jouait un peu et ils purent constater qu'on n'entendait vraiment rien.
Puis je mis la table et maman m'aida pour la décorer. Le repas était prêt, j'avais passé une commande chez un traiteur et fait cependant quelques petites préparations, aidée en cela par Lynn. Papa avait tenu à apporter une bouteille de champagne. Avant qu'il ne la débouche, je leur demandai cependant d'ouvrir le premier cadeau que j'avais pour eux. C'était une enveloppe contenant un petit texte que nous avions élaboré, Lynn et moi :
Je suis encore toute petite. Je ne mesure que quelques centimètres et vous ne pourrez me voir que dans six mois. Je vous offrirai mes sourires et mes rires, et peut-être quelques pleurs parfois. Qui suis-je ?
Et au dos de la carte : Joyeux Noël, Grand-Mère et Grand-Père !
Maman porta ses mains à sa bouche pour étouffer son cri, papa resta interloqué. Lynn me tenait la main, et je pouvais sentir sa nervosité : l'un comme l'autre nous nous demandions bien comment ils allaient prendre la nouvelle. Maman ne put s'empêcher de me prendre dans ses bras. Papa, je le compris d'emblée, avait plus de mal à encaisser. Heureusement, la joie de maman déteint sur lui et il nous adressa même un petit sourire.
En fonction de leur réaction, j'avais décidé de révéler ou pas les soucis et les craintes que nous avions eus lors des premières semaines de ma grossesse. Voyant que papa demeurait quand même en retrait, je préférais me taire, me bornant à leur dire que j'allais rester à Glasgow pour la fin de la tournée pour ne pas trop me fatiguer.
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