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— Bonjour, bafouilla le jeune homme à la vue de la femme qui se trouvait en face, avant d'enfouir à nouveau sa tête dans la pile de livres qu'il épluchait.
Jade lui sourit sympathiquement, ne voulant pas brusquer cette personne qui semblait particulièrement mal à l'aise. A la place, ses pieds la guidèrent à travers les allées remplies de livres vieux de quelques siècles. La jeune femme se trouvait donc dans une vieille bibliothèque vouée à l'abandon, dans laquelle un homme venait entretenir les quelques ouvrages qui avaient survécu. Elle en prit un qui manqua de se décomposer au contact de sa peau lisse, elle le reposa immédiatement ne voulant pas abîmer le travail de cette personne.
Tout semblait très vieux ici, mais on pouvait ressentir la passion et l'amour du livre. Elle voyait dans les étagères les livres rangés par ordre alphabétique, par tailles, par genres. Il y avait même un petit espace dédier aux coups de cœur du jeune homme. Ils seraient tous bien triste quand ils verront que leur maître ne reviendra jamais s'occuper d'eux.
Ses yeux parcoururent la pièce, analysant chaque recoin, chaque objet, chaque emplacement. Tout était poussiéreux et mal entretenu. La vision extérieure reflétait bien l'intérieur de la bâtisse : miteuse et puante. L'odeur du vieux livre et de la poussière firent déglutir la jeune femme, c'était infecte. Ses mains agrippèrent un petit échantillon de parfum qu'elle avait dans son petit sac à mains et le répandirent autour d'elle, rendant l'air un peu plus respirable. Les meubles étaient très mal agencés, on pouvait à peine circuler. Les détritus jonchaient le sol, laissant peu de place pour poser un pied en lieu sûr. Un effluve de vieux fromage pourri vint titiller les narines de Jade, la dégoutant encore plus, comment cet homme faisait-il pour vivre ici ? Seul un rat pourrait survivre dans cet habitat.
Tu es donc un rat, pensa-t-elle en posant son regard sournois sur le bibliothécaire, un parfait petit rat parfaitement dégueulasse, tout ce dont je rêvais.
Jade fit mine de prendre un livre et de l'ouvrir pour discrètement détailler le rongeur qu'elle venait de prendre en chasse. De loin, il aurait pu être le parfait petit citoyen, un homme qui ne pouvait ni heurter, ni blesser, ni faire souffrir quiconque, le gendre idéal que chaque père rêverai pour sa fille, le parfait petit toutou qui répondrait sans soucis à chaque caprice de sa belle. La jeune femme pesta en découvrant la singularité de ce personnage, si ennuyant et si excitant à la fois. Elle se voyait déjà en face de lui, lui racontant de belles choses pour l'amadouer et mettre fin à ses jours au moment où il s'y attendrait le moins.
Elle étudia chaque partie de son corps frêle et peu attrayant pour le commun des mortels. Jade bloqua quelques instants sur son visage, essayant d'en déchiffrer chaque partie. Deux grands yeux se cachaient derrière une paire de lunettes noires beaucoup trop imposante pour son petit visage. Ses lèvres étaient d'une épaisseur qui aurait fait jalouser n'importe quelle influenceuse beauté, elles n'allaient en rien avec son visage, comme si elles étaient une pièce rapportée qui essayait de trouver sa place dans tout ce fouillis. Ses cheveux étaient séparés par une raie bien droite, aucun d’entre eux ne manquaient à leur place. Il portait un pull trop grand pour lui, qui ne permettait pas à la jeune femme d'admirer ses potentielles formes. Son regard se planta ensuite sur le nez de l'homme, petit, pointu et recourbé vers le haut, il se plissait au rythme de ses respirations, ses narines se levant et se baissant pour aspirer ou éjecter l'air. Un poussière vint se loger dans cet organe, ce qui le fit éternuer, faisant frémir son petit nez de rat.
Toujours cachée derrière son vieux bouquin, elle s'approchait furtivement de ce rongeur grandeur nature, pour mieux étudier sa proie. Un grincement résonna dans la bibliothèque, ce qui mit le jeune homme en état de veille, scrutant les alentours comme si quelque chose allait lui sauter dessus. Il replaça maladroitement ses lunettes sur son nez et lança un regard à la jeune femme qui était entrée dans sa boutique, que faisait-elle là ? Personne ne venait ici, il avait l'habitude de passer ses journées reclus dans ce bâtiment, seul, sans contact humain. Jade lui souriait pour essayer de détendre l'atmosphère et lui montre que tout allait bien. S'il commençait déjà à se méfier d'elle, elle n'arriverait jamais à ses fins.
Jade avait besoin d'un plan, comment l'aborder sans qu'il ne prenne peur ou qu'il se doute de quelque chose ? Lui qui sursautait à chaque petits bruits anodin. Elle ferma brièvement les yeux, essayant de matérialiser sous ses paupières la meilleure méthode pour l'aborder. Elle pourrait jouer à la jeune femme timide qui cherche un peu de réconfort dans les bras d'un parfait inconnu. Non, ça ne marcherait certainement pas avec lui. Elle secoua sa tête en souriant, pourquoi faire compliquer quand on pouvait faire simple, Jade se trouvait dans une bibliothèque, il était bibliothécaire.
— Excusez-moi ? dit Jade à l'autre bout de la pièce.
L'intéresser ne sembla pas remarqué les paroles de la jeune femme. Jade soupira, comprenant maintenant pourquoi personne ne venait dans ce trou pourri, s'il ne prenait pas la peine de s'occuper de sa clientèle, personne ne voulait revenir. Elle se rapprocha de lui, se raclant la gorge pour signifier sa présence. Il leva les yeux vers elle, ses lunettes tombant sur la pointe de son nez, l'obligeant à pencher la tête en arrière, ce qui lui donna un air abruti. Elle lui montra son plus beau sourire avant de replacer délicatement ses lunettes, il recula suite à ce contact inattendu, méfiant.
— Je ne vais pas vous manger, ria-t-elle, toujours souriante.
— Désolé, je ne suis pas coutumier du contact humain.
— J'avais cru le comprendre, il n'y a pas de soucis. Je m'excuse si je vous ai offusqué, je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise.
Elle vit sa pomme d'Adam faire un aller-retour dans sa gorge, il prit soudainement une posture plus sûr de lui et il posa les livres qu'il avait dans les bras, dévoilant un torse qui se bomba presque immédiatement. Que voulait-il faire par là, l'impressionner, la faire fuir, montrer qu'il était chez lui et que personne n'avait le droit de venir le déranger ? Ce changement d'hatitude fit rire intérieurement la jeune femme, trouvant ça royalement ridicule. Comme un animal qui se trouvait face à un obstacle, prêt à se défendre coûte que coûte.
— Je peux peut-être vous renseigner, mademoiselle ? commença-t-il avec une voix un peu plus grave.
— Bien sûr, pouffa-t-elle, n'arrivant pas à se contrôler face à son comportement.
— Hm... Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?
— Rien, je suis désolée, c'est nerveux... Je m'appelle Jade, dit-elle en lui tendant la main.
— Jonathan, répondit-il en serrant la main de la jeune femme, toujours sur la retenue.
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