Le Discours de Rentrée

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L’Institut Pandore, l’école des démons. Depuis que tous les maux du Monde se sont répandus sur Terre, ceux sont eux qui en sont les garants. De votre côté du Monde, on les appelle le destin, la malchance, la fatalité. Eux, ils préfèrent qu’on les appelle les Fléaux. Les plus arrogants d’entre eux surtout.

     Mais bon, niveau Fléau, la Promotion Pompéi n’a pas de quoi fanfaronner. De mémoire de merle, mais n’importe quel autre volatile ne me contredira pas, il s’agit de la pire promotion que l’Institut Pandore n’ait jamais connu. Et rares sont les professeurs ou les intervenants qui misent sur la réussite de cette classe-là.


     Bong ! Le bourdon venait de faire retentir sa troisième sonnerie. Les derniers élèvent s’assirent bruyamment mais ne cessèrent pas pour autant leurs conversations. Le silence tardait à venir. L’arrivée de Thémis, la terrible enseignante, n’y avait rien changé. Elle se racla poliment la gorge avant de toussoter plus ostensiblement. Sans résultat. Finalement, le jet d’une craie dans l’occiput d’Ezequiel le fit taire, et il fut bientôt suivi par l’ensemble de ses camardes. Après un long soupir, l’enseignante commença :

     — Je vois, à regret, qu’on commence cette année sur les mêmes bases que la précédente. Pourquoi cela ne m’étonne pas ?

     — Parce que vous ne fondez que peu d’espoir en…

     Une nouvelle craie traversa la classe pour frapper le front de Corentin. Thémis avait acquis, l’année précédente, des talents reconnus dans cette discipline.

     — C’était une question rhétorique, Corentin ! Et je vous rappelle que vous devez levez la main avant de parler. Voulez-vous être le premier à faire la Lecture ?

    Corentin secoua vivement la tête. La menace fut comprise comme il se doit. Le silence était complet et la classe attentive, enfin. Thémis entreprit alors son discours de rentrée.

     — D’ordinaire, en première année, je souhaite la bienvenue aux élèves à l’Institut Pandore. Puisque vous étiez tous là l’année dernière, je passerai cette tradition pour vous présenter les enjeux de cette année. Ils sont simples. Suffisamment pour que vous puissiez les comprendre. Vous réussissez vos examens, vous passez en seconde année. Vous échouez à nouveau, vous serez exilés dans les limbes où vous errerez seul pour l’éternité. Croyez bien que cette seconde option ne me déplairait pas.

      Thémis n’était pas la plus pédagogue des enseignantes. Néanmoins, elle avait formé certains des plus grands esprits de l’institut. On lui devait, disait-on, trois guerres horribles et sept catastrophes. Un beau bilan. Les élèves connaissaient leur professeur, ils ne s’étonnèrent donc pas d’un tel aveu. Mais ce qui arriva ensuite fut plus surprenant.

      — Pour éviter le fiasco de l’année dernière, il a été décidé que vous travaillerez en binôme.

     Un élan de stupeur traversa la classe. Et chacun commença à chercher du regard celui ou celle avec qui il s’associerait. Peine perdue.

      — Par souci d’équité, poursuivit Thémis, ceux-ci seront fait par ordre alphabétique.

      L’équité fut pleinement respectée puisque tout le monde fut déçu par son binôme. Surtout Flora qui se trouvait associée à Ezequiel et Zélie qui se retrouva seule.

      — Miss, demanda Flora après avoir levé la main, Pourquoi ne pas faire avec nos noms de famille ?

      — Parce qu’ils ne veulent rien dire et qu’ils ne représentent rien. Vous vous croyez dans une administration de l’autre Monde, Flora ?

     Etant les seuls à voir eu un TP dans ce genre d’endroit, Agnès, Cerbère et Asmodée eurent un léger éclat de rire que personne d’autre ne comprit. Flora, qui ne voulait vraiment pas être en binôme avec Ezequiel, enchaîna :

      — Dans ce cas, Miss Thémis, permettez-moi de trouver cela terriblement arbitraire. Pourquoi ne pas nous permettre de faire nous-même nos binômes ? Cela ne prendrait que peu de temps et je suis certaine que de cette manière, nous pourrions pleinement révéler tout le potent…

      — C’EST arbitraire, la coupa Thémis. Mais sachez, chère Flora, que la vie est arbitraire, les deux Mondes sont arbitraires, la magie est arbitraire. Alors nous ferons ainsi.

      — Bonjour l’injustice, bougonna Zélie un peu trop fort.

      — Une remarque, Zélie ?

      — Oui, une remarque. Pourquoi tous ont un binôme et pas moi ? Pourquoi ne pas me mettre dans, je sais pas, moi, un trinome ?

      — Moi je veux bien être avec elle, proposa Flora.

      Miss Thémis frappa son bureau en bois noble d’une baguette de métal. Le claquement fut tel qu’il crispa l’ensemble des élèves. Il devenait dangereux de discuter.

      — De plus, poursuivit Thémis, il sera attribué à chacun des élèves de la Promotion Pompéi, un tuteur.

     — Un tuteur ? demanda Zélie qui flairait une arnaque.

     — Tout à fait, vous allez tous recevoir un petit animal qui vous aidera dans vos devoirs.

     La nouvelle fut globalement bien accueillie, même pour Ezequiel qui se voyait déjà entraîner le sien au combat et organiser des paris lucratifs. Une élève doutait néanmoins du bien fondé d’une telle nouveauté.

     — Miss Thémis, comment un ‘petit animal’ pourrait-il donc nous aider dans notre travail ?

     — C’est simple, Zélie, répondit l’enseignante avec un timbre jovial qu’on ne lui connaissait pas. Il guidera vos hésitations et nous permettra de suivre vos progrès.

     Cela fit tilt dans l’esprit de Zélie

     — Suivre nos... Fiente ! C’est des mouchards que vous nous mettez dans les pattes ! Des putains de mouchards !

     Thémis, le regard noir, frappa de nouveau son bureau et l’air résonnant provoqua un acouphène chez les élèves. Zélie exceptée. La professeure saisit un livre dans la bibliothèque de la classe et s’approcha de la jeune femme, comme un félin fondant sur une proie immobilisée par la peur. Elle déposa l’ouvrage sur la table de Zélie et annonça :

     — Cent pages de Lecture, Miss Zélie. Maintenant. Les Morts vont vous adorer...

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