Le Cri du Renard

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    Pour passer le temps, le Merle-tuteur avait longtemps suçoté le grain de blé. Sans surprise, cela n’avait pas suffit à tarir sa faim. Il jeta donc son dévolu sur une proie plus dodue et surtout plus vivante : une araignée aux longues pattes.

    La bestiole s’était réfugiée dans un interstice entre deux pierres graniteuses et le bec de l’oiseau peinait à s’y introduire. Pazuzu, dans sa grande malice, allait y parvenir enfin lorsqu’un cri le fit sursauter :

    — Ouah ! Ouah !

    Il se retourna d’un bond et reconnut Zélie. Enfin, une nouvelle version de Zélie. Sa peau était plus pale, ses yeux plus rouges et son souffle saccadé. Elle en avait fini avec la Lecture. Au sourire forcé de la jeune fille, le Merle-tuteur répondit par une inclinaison de la tête sur le côté et un œil rond de surprise.

    — Zut. Ça fait quel cri un renard ? Demanda-t-elle avec une légère malice.

     L’oiseau reprit un brin de consistance et comprit que la jeune fille avait tenté une blague mais qu’elle n’était manifestement pas doué pour cela. Et, c’est une vérité des deux côtés des limbes, les blagues mal exécutées créent toujours un malaise. Malaise que Zélie s’empressa rapidement de balayer :

    — Tu es resté m’attendre tout ce temps ?

    — Oui, il semblerait. Mais ce n’est rien.

    — Oh… répliqua la jeune fille en s’étirant. Moi, j’ai l’impression que ça a duré une éternité.

    — Haha ! Ta notion de l’éternité est fort divertissante.

    — Ma notion de… tu es vraiment un tuteur ?

    Le merle, comme piqué au vif, gonfla ses plumes et s’envola pour se poster à hauteur de sa protégée.

    — Bien sûr que j’en suis un, quelle question ! Regarde : fais tes devoirs, ne dis pas de gros mots, redresse ta cravate. Alors ? Ce sont pas des choses qu’un tuteur dirait ?

    — Si sans doute mais…

    — Remets ta cravate, d’ailleurs.

    Zélie se rappela en effet l’avoir légèrement desserrée pour mieux reprendre son souffle lors de la Lecture. Elle allait obéir, davantage parce qu’elle appréciait une tenue impeccable que parce qu’elle craignait le Merle-tuteur, mais elle préféra stopper son mouvement.

    — Et si je refuse, merle piteux ?

    — Merle pi… Oh et puis zut.

    L’oiseau se posa par terre et eut besoin de trois petits sauts pour bien se stabiliser. Le sol, irrégulier, était un calvaire pour des pattes aussi délicates.

    — J’ai bien réfléchi pendant ta punition, avoua Pazuzu. Ecoute, je m’en fous que tu insultes tes professeurs, que tu ne fasses pas tes devoirs ou que tu te couches à pas d’heure.

    — Parce que vous contrôlez ça aussi ?

    — Oui. Mais bon. Tout ce qui m’intéresse, c’est que tu passes en seconde année.

   — Oui ben comme tout le…

   — Peu importe le moyen.

   Le silence qui suivit vit le gracieux volatile faire quelques sauts pour se rapprocher de l’interstice de l’araignée. Un laps de temps idéal pour que Zélie intègre ses paroles.

    — Comment ça « peu importe le moyen » ? s’interrogea-t-elle.

    — Oh, cu m’as cré bien...

    Pazuzu retira son bec du mur pour donner une version plus audible de sa réponse :

    — Tu m’as très bien compris.

    — Mais… Et Thémis ?

    — Je lui ferai des rapports, bien entendu. Mais… hum... elle n’a pas besoin de tout savoir. Fais ce qu’il faut pour réussir, c’est tout.

    — Je peux tricher ?

    — Oui.

    — Je peux mentir ?

    — Oui.

    — Je peux… mordre, frapper, insulter, copier, voler, escroquer…

    — Oui, oui et oui.

    Zélie n’en revenait pas. Elle ne ferait pas le quart de ce qu’elle avait proposé mais elle savait déjà qu’elle pouvait faire bien plus, au cas où. Une occasion en or. Mais cela faisait un bon moment que la jeune fille n’avait pas croisé le regard du merle et cela, en plus de tout le reste, lui parut suspect.

   — C’est quoi l’arnaque ?

   — Il n’y en a pas. Réussis, point.

   L’oeil rond du volatile se fixa vers la jeune fille. Puis il tourna la tête pour que son autre œil fasse de même. Puis de nouveau le premier.

   — Raahh, pesta-t-il. Je ne peux même pas te regarder bien avec cette tête-là !

   Et il la secoua de nouveau.

   — Et les murs ? s’inquiéta soudain Zélie.

   — Quoi les murs ?

   — Eh ben, ils ont des oreilles. Ils auront entendu notre accord et…

   — Et rien du tout, c’est des murs à gros mots. Ils n’entendent rien d’autre. Regarde.

   Pour mieux prouver ses dires, l’oiseau se gratta la gorge, émit une petite vocalise virtuose et annonça tout haut :

    — Prend garde Thémis, je suis venu pour te tuer.

    Après un instant de silence pendant lequel Zélie s’il s’agissait là d’une promesse ou d’un exemple, le Merle-tuteur ajouta :

    — Tu vois, si elle avait entendue, les murs trembleraient de sa colère.

    Un lent vrombissement gargouillant résonna dans le couloir, qui vint interrompre Pazuzu. Il se figea, interdit.

    — Mon estomac… avoua Zélie avec une moue gênée.

    Le merle se détendit et siffla un petit air guilleret pour terminer de se rassurer.

    — Ton ventre dit vrai, jeune fille, il est tard. Quel tuteur je serais si je te faisais manquer un repas ?

    — Quel tuteur es-tu tout court ? Demanda Zélie.

    Le merle jugea la question comme étant rhétorique et n’y répondit pas. Il prit son envol pour rejoindre la cantine quelque part dans l’autre aile de l’Institut. Zélie le suivait la tête farcie d’espoir et de questions. Ils avançaient à la même vitesse, en silence. L’oiseau, de façon chaotique, ménageait ses battements d’ailes pour ne pas aller trop vite.

    Le grand hall de l’aile ouest était encore vide, cela signifiait que tous étaient encore à table.

    — Un instant. Fit le Merle-tuteur.

    Il se tourna vers Zélie et grimpa sur l’une de ses épaules, du côté de l’oeil vert.

    — Tourne la tête vers moi, s’il te plaît.

    L’oiseau asséna quelques timides coups de becs sur la pommette de la jeune fille. Cela chatouilla plus que ça ne fit mal. Il répéta l’opération du côté de l’oeil sombre.

    — Voilà qui te redonnera un peu de couleur, jeune fille. Ils ne doivent pas sentir que tu as peur de ce qu'il y a derrière le palladium.

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