Déchiré.
Qui aurait cru qu'une toute petite perte de contrôle pouvait lui faire perdre l'amour de sa vie ? Pas lui en tous cas.
Jérémy n'était plus que l'ombre de lui-même depuis un an, depuis la nuit où sa moitié a quitté son monde, sa vie. Une part de lui était partie avec Mélanie, sa fiancée.
Il n'avait jamais pensé pouvoir être aussi malheureux. Il n'aurait jamais pu penser que cette sortie qui devait être romantique, puisse se transformer en cauchemar lorsqu'un jeune conducteur s'était pris pour un pilote, de l'alcool dans le sang. Jérémy n'avait eu qu'une seconde pour réagir, et ce tout petit coup de volant pour éviter le chauffard en face, s'était révélé fatal pour Mélanie.
Chaque seconde qui passait, Jérémy regrettait de ne pas être mort à la place de sa fiancée. Il se sentait égoïste d'être toujours vivant alors qu'il n'était que poussière intérieurement. Il s'en voulait chaque jour d'avoir anéanti tant de gens en ne sauvant pas Mélanie.
Sa famille avait essayé de l'aider à ne pas se noyer dans la culpabilité et les idées noires, mais en vain, Jérémy acceptait plus facilement toute la colère venant de la famille de sa fiancée, parce que ça allait dans le sens de ses pensées.
Petit à petit, le jeune homme s'était enfermé dans une bulle de solitude et de profonde tristesse. Il n'ouvrait plus la porte de son appartement quand quelqu'un lui rendait visite pour s'assurer qu'il n'avait pas tenté de rejoindre sa moitié.
Il ne savait même plus s'il cherchait à recoller les morceaux de son âme déchirée en lambeaux. C'était le flou total.
Si un jour, une personne avait dit à Jérémy qu'un coeur pouvait être ressenti comme déchiré, sans l'être réellement, il ne l'aurait jamais cru. Du papier pouvait être déchiré mais pas un organe.
Jérémy broyait du noir. Son appartement ressemblait de plus à une décharge qu'à un appartement soigné. Les mégots de cigarettes remplissaient cinq cendriers, et s'étalaient sur la table, au sol et un peu partout où ils pouvaient se faufiler. Il était impossible de faire un pas sans marcher sur un nombre incalculable de bouteilles d'alcool vides et de cartons de restauration rapide. La poussière semblait être devenue la nouvelle couleur des meubles, auparavant brillants de propreté.
Par chance, il avait réussi à garder son travail en usine, mais plus le temps passait, et plus Jérémy se transformait en zombie. S'il ne se réveillait pas vite, il n'aurait même plus de quoi payer ses factures et tout le nécessaire pour vivre. Mais en avait-il conscience ? S'en fichait-il ?
En dehors de son travail, le jeune homme, presque âgé de trente ans, s'abrutissait en jouant aux jeux vidéos pendant ses heures libres. Il ne dormait qu'une à deux heures, ce qui ne faisait qu'empirer son état.
Se rendait-il vraiment compte de l'état dans lequel il était ? Et s'il le savait, faisait-il exprès de continuer à se tuer petit à petit ? Ou lui fallait-il un déclic pour qu'il se sauve de la pente mortelle vers laquelle il dégringolait ?
Si jamais il se bougeait, combien de temps durerait son combat vers le deuil ? Sera-t-il assez fort pour encore supporter de revivre mentalement toutes ces épreuves ? Sera-t-il épaulé par son entourage ? Acceptera-t-il l'aide proposée ? Choisira-t-il en cours de route d'abandonner, et de commettre l'irréparable ? Ou, au contraire, renaîtra-t-il grâce à ce nouveau combat ?
Elle avait toujours été sa bouée, sans Mélanie, il se noyait en permanence.
De longs mois s'écoulèrent les uns après les autres sans que de gros changements s'opèrent. Mais Jérémy se sentait de plus en plus lourd. Il avait l'impression d'être observé en permanence, comme si quelqu'un était derrière lui, presque collé à son épaule. Cette situation commençait à lui faire peur. Rêvait-il ? Devenait-il fou ?
Posé comme toujours sur son canapé qui était tout autant dégradé que le jeune homme, ce dernier sentit comme une tendre caresse sur sa nuque. Il sursauta de surprise et de stupéfaction, se retourna vers son mur et osa parler à l'invisible.
— Putain, je deviens dingue ! Est-ce que.. Quelqu'un m'a-t-il touché ? J'ai senti quelque chose dans mon cou !
Jérémy n'avait jamais vraiment cru au paranormal ou à la vie après la mort, jusqu'à ce que l'amour de sa vie disparaisse. Il s'était persuadé qu'il recevrait un signe de Mélanie un jour ou l'autre, et ce frisson ressenti après la caresse était totalement la réaction qu'il avait auparavant lorsque sa fiancée le câlinait devant la télé.
Il déglutit difficilement.
— Mé.. Mélanie ? C'est toi ?
Le souffle saccadé de peur et d'excitation, il était aux aguets d'un quelconque autre signe pouvant désigner son âme soeur.
Rien ne se passa pendant quelques minutes, puis il vit sur son meuble principal, un cadre photo qu'il avait perdu les premiers mois après le décès de Mélanie.
— Notre meilleure photo ! C'est toi qui avait caché le cadre ?
Aucune réponse.
Jérémy se perdit dans les souvenirs que la photo faisait remonter en lui. Il aimait tant cette femme.
Tournant le cadre pour voir si le derrière n'était pas cassé, il y vit un mot avec une écriture qui ressemblait à celle de sa fiancée, avec beaucoup plus de maladresse dans la calligraphie.
Les fantômes peuvent-ils écrire ?
Sur ce papier était écrit une toute petite phrase qui fit chavirer le jeune homme.
"Vis pour moi, mon amour."
Les larmes coulaient tel un torrent déchaîné par temps de foudre. Elles refusaient de s'arrêter. Plus d'une année de larmes retenues tombait sur le sol du salon, Jérémy à genoux sur le parquet.
Il ne cessait de chuchoter à travers ses pleurs.
— Tu me manques tellement, Mélanie. Aide-moi.
Plus aucun événement ne se passa, et Jérémy s'endormit à même le sol, à bout de nerfs. Simple hasard ou réelle connexion avec sa fiancée ?
Le lendemain lorsqu'il se réveilla, il se sentit allégé d'un poids écrasant. Il n'avait plus la sensation d'être lourdement observé.
Quelque chose avait changé, et l'électrochoc de la veille l'avait libéré. C'était le point de départ de sa nouvelle détermination. Il allait écouter les signes et suivre le mot de sa fiancée. Il allait vivre, pour elle, pour eux, comme elle aurait aimé. Il allait la rendre fière et se pardonner de toute la culpabilité ressentie à tort.
Un pacte invisible avait été signé et Jérémy semblait sur la voie de la délivrance, du deuil et de la renaissance.
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