Terne.
Jérome ne comprenait pas comment son couple avait pu partir autant à la dérive. Il était assis comme chaque matin sur sa chaise à la cuisine, tandis que sa femme terminait de lui préparer son petit déjeuner.
Aucune discussion, aucun regard, juste des signes muets et agressifs indiquant d'enlever les couverts de l'assiette, de manger en haut de la table et de manger rapidement au lieu de lire le journal à la lenteur d'un escargot.
Des soupirs comblaient le silence entre les deux adultes qui ne partageaient en commun plus que le lit. Ils étaient devenus des fantômes errant çà et là en s'évitant le plus possible.
Pourtant, ils avaient été un couple heureux pendant des années, puis petit à petit une routine s'était installée. Une routine mortelle qui avait rendu le couple terne, usé et malheureux.
Mais après quarante ans de vie de couple dont trente de mariage, ni Jérome, ni Marguerite ne se sentait capable de briser le cercle vicieux dans lequel ils se trouvaient. La sécurité et la stabilité rendaient la situation confortable, chacun était sûr de la présence de l'autre en rentrant d'une sortie entre amis. Mais l'inactivité dans le couple, l'ennui et les plaies psychiques non refermées tiraient les deux adultes vers le bas.
L'amour était toujours présent, pour l'un comme pour l'autre, mais les sensations s'étaient fanées au fil du temps et aucun d'eux n'avait la force ou la solution pour sauver le couple.
Parfois, ils allaient en courses ensemble mais c'était uniquement lorsque Jérome se sentait d'être confronté aux regards des gens. Pendant une heure ou deux, Marguerite et son mari donnaient l'image d'un mariage heureux et soudé parce qu'ils avaient honte de dire la vérité. Le fait de dire à voix haute leurs problèmes risquait de leur faire un choc trop brutal à encaisser.
Une fois de nouveau à la maison, la routine reprenait de plus belle et la mort dans le couple régissait de nouveau leur quotidien jusqu'à leur prochaine sortie.
Jérome s'était perdu dans ses pensées et n'avait pas vu que sa femme lui faisait des signes agacés.
— Bon dieu Jérome ! Tu vas les manger tes foutus oeufs, ils vont être dégueulasses après !
La voix de Marguerite se voulait agressive mais en vérité elle résonnait terriblement fatiguée. Son mari ne répondit rien et se mit à manger ses oeufs sans aucun plaisir, réalisant une nouvelle fois le peine qu'il ressentait lui avait coupé l'appétit.
— J'en ai assez, Marguerite.
Sa femme se retourna vivement pour lui faire face.
— T'en as assez de quoi ?
— De tout !
Il se leva rageusement, faisant sursauter Marguerite.
— De ça ! Toujours faire les mêmes choses, des mêmes façons ! On ne se parle plus, on ne se regarde plus ! On meurt à petit feu et on le sait mais rien ne change pour autant !
Marguerite serra ses mâchoires en tentant de calmer sa respiration. Elle se prenait beaucoup plus la tête à ce propos qu'elle ne le laissait paraître. Toutes ses pensées tournaient en boucle et elle luttait à chaque seconde pour ne pas perdre le contrôle, mais son mari venait de raviver tout qu'elle voulait faire taire en elle.
Elle voulut crier sa colère et faire comprendre à Jérome à quel point cette situation la bouffait intérieurement, mais elle ne réussit qu'à tomber à genoux sur le sol de la cuisine, en pleurant. Elle n'avait plus la force de continuer, elle était exténuée de ces longues années de vide.
Jérome fit le tour de la table pour la rejoindre. Il se baissa à la hauteur de sa femme et l'encercla de ses bras pour tenter d'apaiser sa douleur.
— Il faut qu'on fasse quelque chose, je ne veux pas qu'on soit si malheureux tout le reste de notre vie et je sais que je veux t'aimer jusqu'à la fin de mes jours, Marguerite.
Les paroles de Jérome réchauffèrent un peu le coeur de son épouse et elle ressentait les mêmes choses que lui.
— Je ne sais pas quoi faire, je suis si fatiguée, si tu savais à quel point..
— On a besoin d'une thérapie de couple, ça nous aidera.
Le couple resta de longues minutes au sol, sans communiquer mais partageant une étreinte forte.
Après quelques jours passés dans une atmosphère plutôt confuse, Jérome s'était renseigné pour consulter un spécialiste pour couple.
Les deux époux espéraient pouvoir sauver leur mariage, c'était leur seule option avant le point de non retour.
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